Avec De la marge au centre, son deuxième essai paru aux États-Unis en 1984, bell hooks poursuit la réflexion initiée dans Ne suis- je pas une femme ? Étudiant les succès et les manquements des mouvements féministes qui ont traversé le xxe siècle, elle constate l’échec de la création d’un féminisme de masse qui s’adresserait à toutes. Elle s’attache ainsi, dans un style toujours accessible, à bouleverser les représentations habituelles de la pensée féministe majoritaire en plaçant au centre de sa réflexion les femmes noires et/ou des milieux populaires, insistant sur le besoin profond d’une approche révolutionnaire de ces questionnements. Cet ouvrage percutant a imposé bell hooks comme l’une des voix les plus influentes et stimulantes de la scène féministe.
Auteurice.s:
bell hooks
Commentaire
De la marge au centre. Théorie Féministe est le second bouquin de Hooks (je crois) et qui est en continuation direct avec son premier livre Ne suis-je pas une femme. Dans ce livre, Hooks nous fait part - toujours en critiquant les angles morts du féminisme - de sa vision de ce que devrais être le feminisme, à commencer par une redéfinition même de ce dernier. Car en effet, et déjà à son époque, il apparaissait que le féminisme mainstream était quelque chose de presque apolitique, quelque chose de vague que personne n'arrivait bien à définir et qui permettait ainsi à tout le monde, quelque orientation politique qu'el ait - y compris des personnes de (l’extreme) droite - de pouvoir se revendiquer féministe. Ainsi, la vision de Hooks est de redéfinir le féminisme comme d'un mouvement pour mettre fin à l'oppression sexiste et non plus à mettre en avant l'égalité des sexes comme du fondement même de ce dernier. Car en effet, le voir de cette façon, le voir comme d'une égalité sociale avec les hommes, c'est faire preuve de racisme et d'élitisme. Car effectivement, « À partir du moment où les hommes ne sont pas égaux entre-eux au sein d'une structure de classe patriarcale, capitaliste et supprémasiste blanche, de quels hommes les femmes veulent-elles être les égales ? » (P.86). Et cette vision du féminisme comme de la fin de l'oppression sexiste (et que l'on pourrait même étendre - au vu des liens entre les divers systèmes d'oppressions - à la fin de l'ensemble des oppressions) permet dès lors de complexifier le tableau. Car dès lors que l'accent n'est plus mis sur un binarisme douteux (égalité H/F, H oppresseurs/F oppréssées), « À partir du moment où l'on définit le féminisme comme un mouvement pour mettre fin à l'oppression sexiste, cela permet tant aux femmes qu'aux hommes, tant aux filles qu'aux garçons, de participer à la lutte révolutionnaire » (P.153). Voir les hommes comme « l'ennemi » est un discours fallacieux et ce à plusieurs titres. Tout d'abord car il exclut. Nombre de femmes ont éprouvées le fait que « [l]eurs véçu leur avaient prouvés qu'elles avaient plus en commun avec les hommes de leur groupe social/racial qu'avec les bourgeoises blanches » (P.155), ce que ce discours les a éloignées du mouvement. Ensuite, car cela est aussi preuve de racisme. En définissant l'homme comme l'ennemi absolu qu'il faut combattre, les femmes blanches bourgeoises pouvaient ainsi se placer en victime absolue (par symmétrie) et ainsi totalement faire fit de leur biais racistes et nier totalement leur rôle propre dans l'oppression.
Parlant des hommes justement, Hooks reconnait tout à fait l'ampleur des violences masculines, et ne cherche bien evidemment pas à minimiser ces dernières. Cependant, toujours dans une optique d'élargissement du problème qui cherche à sortir de la dichotomie, Hooks voit la violence masculine comme manifestation d'un schéma plus globale, et qui concerne aussi les femmes, bien que dans une bien moindre mesure. Elle identifie cette racine, cause dans « le cadre de la famille occidentale traditionnelle, avec ces règles masculines autoritaires et ses règles adultes autoritaires » (P.225, Paroles indirectes de John Hodge). Selon elles ces schémas de dominations consitutent la base de tous nos schémas de relations, et dès lors, il n'est donc pas étonnant de la voir resurgir autre part. Autrement dit, « les [...] interactions sociales prennent généralement la forme d'une structure hiérarchique [...] entre contrôleur et contrôlé » (ibid. pareil, citation de Hodge).
Un autre pan tout aussi important de la critique de Hooks est celle des relations économiques. La deuxième vague du féminisme est surtout connue pour avoir voulue sortir les femmes (blanches) de la sphère du privée, du foyer. Des discours ont vu les jours qui visaient à promouvoir des emplois attractifs pour les femmes (blanches). Or, ce que cela ocultait était le fait que certaines femmes, et particulièrement les femmes non-blanches, ont toujours travaillées durant leur vie et qu'au contraire une vraie révolution pour elles auraient été de quitter leur travail pénible. Il y avait (et j'imagine a toujours dans une certaine mesure) une vraie cassure entre les personnes soumises à une exploitation économique et celles qui ne la subissent pas, entre celles qui souhaitaient un travail ayant un sens, et celles qui voulait un bon travail tout court. Et cela permet de faire une bonne transition avec une autre idée de Hooks qui est la révolution de la parentalité. Car bien que de nombreuses femmes eu peurent accéder à l'emploi, el s'est trouvé.e que cela n'a fait que servir des interêts capitalistes. Hooks rejoint d'ailleurs Delphy, lorsque cette dernière énonce dans l'ennemi principal que
“ le problème fondamental qui est posé est le suivant : comment justifier, sur le fond, que des sociétés qui ont aboli l'esclavage, et qui n'admettent même pas l'esclavage volontaire, traitent des êtres humains, pour raisons que le droit n'explicite jamais et dont la version de sens commun n'est gère convaincante, à beaucoup d'égards comme les propriétés d'autres [personnes] ? » ” (P.194, l'état d'exception, dans L'ennemi Principal).
Effectivement, Hooks plaide pour un modèle de parentalité qui ne soit pas uniquement dépendant que sur les parents biologiques. Elle cherche à généraliser le modèle familliale bien plus courant dans les communautés noires et dans lequel peuvent participer à l'éducation des enfants les voisin·es, les ami·es etc. Mais, nous dit-elle, « ce type de responsabilité partagée dans la prise en charge des enfants [ne] peut exister [que] dans un contexte de petites communautés où les gens [...] se font confiances. » (P.260) et non pas dans un contexte social où ces même enfants sont vus comme des biens dont les parents ont l'exclusivité affective. Permettez-moi d'ailleurs ici de faire un rapide apparté entre les similitudes entre Hooks et Delphy. Et bien que je suis sûre qu'il y aurait beaucoup de divergeances entre elles (à commencer, potentiellement par la rémunération du travail ménager [je crois pas que Delphy le dise explicitement tho]), je trouve aussi qu'il y a des points commun que je souhaiterais mettre en valeur. J'ai pu parler plus haut des enfants comme des biens, mais tout aussi important à titre d'exemple est le cas de la violence. Dans son chapitre, Un mouvement féministe pour mettre fin à la violence, Hooks rédige la chose suivante :
“ En cautionnant et en perpetuant la domination des hommes sur les femmes afin de prévenir toute rebellion au travail, l'élite capitaliste masculine s'assure que la violence des hommes s'exprime dans les foyers et non dans les usines. [...] Les femmes en sont les cibles, car les hommes n'ont aucunes crainte de devoir subir des conséquences ou être severement punis s'ils blessent des femmes [...] [a]lors qu'ils [le] seraient s'ils agressaient violemment des policiers. ” (P.227)
Or, je trouve que ce point entre en parfaite résonnance avec un autre dire de Delphy (même livre) dans lequel cette dernière parle des droits spécifiques, et tout particulièrement de l'acceptation de la force en société. Il ne s'agit bien sûr pas du même contexte, mais il y a selon moi des ressemblances qui permettent de s'entre-renforcés. Car, selon Delphy, la création de droits spécifiques (et donc hors du droit commun, applicable à touste) et la source d'oppressions et de la création d'une classe inferieure. Elle précise dans le passage suivant que les endroits où la force est accepté est un choix social :
“ De même, c'est la société, et elle seule, qui décide de ce qui peut être réglé par l'exercice de la force individuelle, et donc créer la force individuelle (je souligne). [Cette force] peut bien préexister en tant que trait physique: tant qu'elle n'a pas de reconnaissance sociale, elle n'existe pas. [...] Certes, on peut toujours « casser la gueule à quelqu'un ». Mais cela ne procure pas d'ascendant sur cette personne [...] [cela] ne peut susciter aucun bénéfice durable. [...] Ce qui explique les violences conjugales, c'est la conjugalité: c'est que la société à créer une catégorie sociale - le « privé ». Les règles qui s'appliquent partout ailleurs [...], bannissent l'usage de la force, [...] hormis dans des situations considérées, précisement en raison de l'opérabilité de la force individuelle, comme des situations de non-droit [...]. Dans le « privé », ces règles, qu'on appelle le droit commun, sont suspendues [...]. ” (P.176-7, l'état d'exception, L'ennemi principal).
Il y aurait encore de nombreuses choses à dire sur ce livre, et je n'ai pas évoquée la question épineuse entre la théorie et la pratique, entre l'université et le millitantisme que Hook aborde et dont elle dénonce une purté militante qui ne voit que dans l'acte militant la véritable action et qui dénigre la théorie. Je n'ai pas évoquée [1] sa vision d'un changement radical de paradigme en ce qui concerne notre vision du pouvoir et qui « au sein du mouvement féministe reflétaient les reflexes de classes des individues [...]. » (P.176). Enfin, je n'ai faite que brièvement introduire tout son chapitre sur la maternité au travers du prisme de la parentalité en général. Et aussi, je n'ai pas expliciter sa défense implicite des personnes Aces ! [2]
En conclusion, tout comme Ne suis-je pas une femme, De la marge au centre est un livre que je regrette de ne pas avoir lue plus tôt tellement il me semble important et continue à révolutionner ma vision des choses. Refusant une vision simpliste du monde et critiquant le racisme du mouvement féministe de son époque, je suis encore choquée de la pertinance de plus des trois-quarts des propos de Hooks encore valable à notre époque, 40 ans plus tard.
[1] faut que je mange aussi, sinon j'en suis encore là à 22h.
[2] A la page 269 : « Pourtant, une des normes liées à la sexualité que beaucoup de gens trouvent oppressante est l'idée qu'on « doit » forcément avoir une vie sexuelle active. [...] Les défenseurs et défenseuses de la libération sexuelle sous-entendent souvent que tout.e individu.e qui ne se soucie pas de la nature son experience sexuelle, ou qui ne souhaite pas exercer d'avantage de liberté [...], est mentalement perturbé.e ou sexuellement réprimé.e. »