Même les femmes les plus féministes se surprennent à aimer le regard conquérant des hommes sur elles ou à préférer des tâches ménagères à des activités censément plus épanouissantes. Ces désirs sont-ils incompatibles avec leur indépendance ?Les scandales sexuels qui ont agité le monde ces dernières années ont jeté une lumière crue sur l'envers de la domination masculine : le consentement des femmes à leur propre soumission.Tabou philosophique et point aveugle du féminisme, la soumission des femmes n'est jamais analysée en détail, dans la complexité des existences vécues. Sur les pas de Simone de Beauvoir, Manon Garcia s'y attelle avec force, parce que comprendre pourquoi les femmes se soumettent est le préalable nécessaire à toute émancipation.

Auteurice.s:

Manon Garcia

  • Féminisme
  • Commentaire

    Je commence par ce que j'ai bien aimée. Je trouve le bouquin vachement intéressant dans un premier temps. Tout comme l'indique le titre, c'est une analyse Beauvoirienne de la société, et plus précisement de la soumission. L'autrice accentue la vision de Beauvoir de la femme comme situation. C'est-à-dire que, dans une perspective non essentialiste mais non constructiviste non plus, il s'agit de voir la femme comme déjà signifié au monde. Contrairement à la vision "classique" qui voudrait que l'humain soit d'abord "seul en lui-même", puis seulement après "en relation avec les autres"; elle reprends Heidegeer qui voit l'humain comme directement incorporé au monde. L'humain est le monde en quelque sorte, il est "aussi primitif que lui". Appliqué au cas de la différence sexuelle, il s'agit ainsi de comprendre un monde dans lequel « la différence sexuelle existe déjà et, en même temps, tout individu, par son existence même, va avoir un impact sur ce que l'on entends par différence sexuelle ». Cela à une grande importance en ce que, en naissant, on est déjà en partie determiné.e, ne serait-ce par des normes qui nous pré-existent. « On comprends [...] alors comment Beauvoir peut à la fois nier l'eternel feminin ou toute autre nature [...] sans pour autant considérer que cette construction impliquerait [...] une absence de réalité de la différence sexuelle. Dans la mesure ou tout individu est toujours d'abord dans un monde déjà interprété, déjà structuré par des normes [...], l'individu ne peut se construire autrement que par rapport à ces normes [...] ». Je trouve l'idée de situation vachement intéressante, et j'ai l'impression que dans la lecture que Garcia en fait, il y a tout de même des points communs avec Butler, des fois explicites (refus du determinisme biologique), mais aussi des fois implicites (on ne peut pas sortir du social).

    De plus, le livre insiste enormément sur la femme en tant que Corps. On parle ici de soumission, et ça passe par l'objectification etc. Il est donc pertinent de parler de la corporalité de la femme. Enfin, je trouve interessante sa reflexion sur "l'ordinaire de la soumission". La soumission étant quelque chose de péjoratif, et qui plus est, qui agit dans le cadre quotidien, qu'il y a t il à en dire, et en plus, de philosophique ? « Dans la mesure où elle renvoie à une experience quotidienne, elle [la soumission] échappe sans cesse à l'analyse; en tant qu'elle nécessite un renversement de la perspective sur le pouvoir, elle semble impossible [car] [...] elle ne peut être faite que par les opprimée.s et [...] elle est hors de leur portée puisque l'oppression consiste précisement à les empêcher de parler de leur experience et de les analyser ».

    Cependant

    Je trouve que c'est cet appuie sur la corporalité qui en est aussi le défaut. Dans le début du livre, Garcia nous dit la chose suivante : « Ce livre à pour ambition d'examnier la soumission des femmes dans les rapports interindividuels entre hommes et femmes dans les sociétés occidentales. Une telle restriction du problème peut [...] paraître hétéronormative et hégémonique; nous pensons que cela n'est pas le cas. ». Alors que je suis d'accord avec la restriction à l'occident (ne pas parlez pour les autres), je suis moins d'accord avec le caractère cisgenre implicite de ce discours. Pourquoi dis-je cela ? Parce que, bien que l'autrice se concentre enormément sur le corps des femmes (elle à un chapitre entier dédié à la phénoménologie comme experience du corps véçue des femmes), elle ne fait mention des personnes trans qu'à un seul moment (tellement que j'aurais du noter la page XD) : « Lorsque l'on fait partie d'une classe sociale défavorisée, d'un groupe racialisé, que l'on est femme, homosexuel.le, trans [...] on est plus susceptible de se retrouver dans des relations hiérarchiques individuelles dans lesquelles on occupe la position inferieure » et ne parle pas du tout des personnes intersexes. Et je trouve ça extrêment dommage, voir même préjudiciable, et fait le lien avec ma deuxième critique.

    Elle ne critique pas Beauvoir. J'ai l'impression qu'elle la suit à la lettre, sans vraiment remettre en question son discours, sans chercher à le dépasser. Elle fait bien mention de certaines limites, mais c'est tout. Et je trouve ça dommage pour un livre qui veut montrer la soumission comme destin (dans le sens qu'on pousse à). Par exemple, à titre personel, et je vais invoquer ici un passage de mon [Coming-In],

    “ Apprécier le BDSM et être Soumis, s'être dit qu'il s'agissait bien là de quelque chose de feminin d'une certaine manière, égaliser cela au fait d'être, ou de vouloir être une femme. ”

    Et je trouve que prendre en compte de telles choses pourrait apporter un gros plus à l'argumentation. Après, je suis pas aveugle non plus et je relativise, je suis consciente qu'elle a 1. pas forcément envie d'écrire sur quelque chose qu'elle ne maitrise pas 2. qu'il n'y a pas forcément de textes à dispositions pour cela. Mais en même temps, qu'à cela ne tienne, tu ventes la phénoménologie de Beauvoir (sa compliation d'experiences directe des femmes dans le volume II du Deuxième Sexe) alors pourquoi ne pas faire la même chose ? On est en 2018 (sorti du bouquin), c'est pas comme si tu pouvais pas faire un questionnaire en ligne ou je sais pas quoi. L'accès à l'information est aussi beaucoup plus facile qu'à son époque. Je sais pas, peut-être que je suis trop exigente. Et d'un point de vue plus large, ce manque de prise en compte je trouve, rend le texte un peu essentialiste, même si elle à l'air de vouloir s'en prévenir. Quand je parlais de son manque de critique :

    “ Appliqué à la différence sexuelle, le concept de situation permet donc de comprendre la nécessité d'étudier la différence sexuelle pour comprendre ce que c'est que d'être une femme, sans recourir à l'essentialisme ni au constructivisme total [jusqu'à là, oui] : la première réponse à la question « Qu'est-ce qu'une femme ? » est fondée sur l'experience quotidienne et sociale que l'on [en a] : « [Elle cite Beauvoir] Il suffit de se promener les yeux ouverts pour constater que l'humanité se partage en deux catégories [...] ». ”

    Et ça, elle à pas l'air de le remettre en question par exemple, même si à un moment (que je retrouve pas bien sûr) elle parle de l'obsoléscence de visions scientifiques je crois.

    EDIT : Après, je suis d'accord qu'actuellement, allez, 95% des gens peuvent être facilement séparés en deux selon leur phénotype, mais c'est arbitraire et sociétal, là où j'ai l'impression que Beauvoir voit ça comme un acquis. Ne définissant pas différence sexuelle, j'ai du mal à voir ce que recoupe ce terme. Mais aussi, cela nie totalement le caractère psychique de l'identité (sans entrer dans le débat Butler). Genre, et là c'est moi qui part en vrille, de tout temps on a vu l'esprit au dessus du corps, comme lui étant superieur, alors pourquoi nier l'identité psychique des personnes trans, le discréditer comme inferieur et, inversant les termes, remettant le corps en priorité ?

    Bref, de bon points sur la question de comment les femmes cis sont soumises en sociétés etc. mais, imo, un défaut de prise en compte des personnes trans et intersexes qui selon moi nuit à l'argumentation et vient contredire son « nous pensons que cela n'est pas le cas ». Et je trouve même que ça rend son propos un peu trop binaire (je lis la partie sur la beauté, et clairement c'est une vision het (logique, elle concentre son analyse là dessus), mais surtout, elle parle pas du fait qu'on peut vouloir se faire belle pour soi et pas pour les autres, et de comment ce pour soi peut être caractéristique de normes), et "préhistorique" en ce qu'elle décrit les femmes un peu telles qu'elles étaient en 1970~ j'imagine.