Comment faire tourner les usines sans les travailleurs vigoureux, nourris, blanchis, qui occupent la chaîne de montage ? Loin de se limiter au travail invisible des femmes au sein du foyer, Federici met en avant la centralité du travail consistant à reproduire la société : combien couterait de salarier toutes les activités procréatives, affectives, éducatives, de soin et d’hygiène aujourd’hui réalisées gratuitement par les femmes ? Que resterait-il des profits des entreprises si elles devaient contribuer au renouvellement quotidien de leur masse salariale ? La lutte contre le sexisme n’exige pas tant l’égalité de salaire entre hommes et femmes, ni même la fin de préjugés ou d’une discrimination, mais la réappropriation collective des moyens de la reproduction sociale, des lieux de vie aux lieux de consommation – ce qui dessine l’horizon d’un communisme de type nouveau.
Auteurice.s:
Silvia Frederici
Commentaire
Le livre est un ensemble d'essais allant de 1975 à 2016 (j'ai vu que ces dates) et qui sont divisés en deux parties : une première partie sur une lecture critique de Marx et des concepts qu'il a pu créer (par exemple que le capitalisme est nécessaire au communisme; que par ce dernier, l'automatisation et la réappropriation des moyens de prod. on deviendrait libre etc.) et la seconde s'interesse plus au capitalisme de manière plus concrete comme par exemple l'essai qui parle de la naissance de la ménagère.
Ce livre a de très bons points. Je parlais des critiques de Marx, et parmis elles ont pourra aussi citer son impasse sur la reproduction conçue comme un travail. Marx s'interesse avant tout à l'usine et naturalise le travail domestique qu'il ne conçoit pas vraiment comme un travail en définitive.
“ [...] Marx présupposait que : (i) les femmes n'avaient jamais pris part à la production sociale auparavant, autrement dit, le travail reproductif ne devait pas être considéré comme un travail nécessaire à la société; […] ” (P.38)
On retrouve aussi dans pas mal de ses essais l'idée que la remise au foyer de la femme à permis le passage de l'industrie légère à l'industrie lourde (plus focus metal / charbon). En effet, les femmes pouvant s'occuper de la maison; même s'il y avait moins de travailleureuse dans les faits, on pouvait s'attendre à des ouvriers plus sains, plus robuste nécessaire à ce type d'entreprise.
J'apprécie beaucoup aussi un lien que je crois voir avec Foucault (il est vraiment partout, putain, même quand il est pas cité). En effet, à la page 135 cette dernière écrit :
“ Derière la création de la ménagère prolétaire [...] il y avait la nécessité d'un nouveau type de travailleur, plus sain, plus robuste, [...] et sourtout plus discipliné et « domestiqué ». ”
“ D'où l'expulsion des femmes et des enfants des usines, [...] un nouveau « contract social » ”
En comparaison avec Foucault, dans Surveiller et Punir :
“ Le veritable objectif de la réforme, [...], ce n'est pas tellement de fonder un nouveau droit de punir à partir de principes plus équitables; mais d'établir une nouvelle "économie" du pouvoir de châtier, trop concentré en quelques points privilégiés […] ” (P.96)
On voit vraiment dans les deux cas que derrière une volonté - à minima - affichée de faire bien, d'être "humaniste", en réalité il s'agit d'avantage de prendre avantage d'une situation. Tout comme l'allègement des chatiments ne se fit pas sous fonds d'humanisme; de réduction de la souffrance; l'écartement des enfants des usines ne se fit pas dans une notion de réduction de la souffrance.
Enfin, j'ai trouvée très interessante l'analyse de la prostitution qu'elle fait :
“ Surtout, la création de la famille prolétaire et d'une main-d'oeuvre plus productive et en meilleure santé exigeait l'institution d'une séparation nette entre la ménagère et la prostituée, car [ils] reconnaissaient qu'il ne serait pas facile de convaincre les femmes de rester au foyer et de travailler gratuitement [...] [alors que] leur amies gagnaient plus et travaillaient moins en vendant leur corps dans les rues. ” (P.139)
“ L'institutionnalisation de la prostitutée et de la mère comme des figures et des fonctions féminines qui s'excluent mutuellement, c'est-à-dire à la [création] d'une maternité sans plaisir et d'un « plaisir » sans maternité. ” (P.151)
CEPENDANT, plusieurs points méritent d'être soulevés que je trouve dommageable.
Tout d'abord, concentrons-nous sur le titre « Le capitalisme patriarcal ». Alors que l'analyse capitaliste ne manque pas (j'ai arrêtée de compter le nombre de fois qu'elle mentionne le mot); le patriarcat n'est que très peu abordé, et même parfois - oserais-je dire - "sous-côté"; ce qui me donne l'impression qu'elle réalise l'égalité capitalisme ~ patriarcat à l'image de sa phrase en page 121-122 :
“ Le capital à besoin de nous dans les usines pour remplacer les autres travailleurs qui sont trop cher mais il a aussi besoin de nous au foyer pour empêcher de potentiels trublions de traîner dans les rues. ”
Un moment où elle sous-estime le patriarcat est selon moi en page 154-155 :
“ Malgré cela, la construction de la sexualité féminine comme service, et sa négation comme plaisir, a longtemps entretenu l'idée qu['elle] était un péché qui ne pouvait s'expier que par le mariage [...] chaque femme était considérée comme une prostituée potentielle [...] Dans le même temps, la prostitution, tout en faisant l'objet [...] d'un contrôle de l'état, à été reconnue comme composante nécessaire de la reproduction de la force de travail. [...] Ce qui explique pourquoi le travail sexuel a été le premier aspect du travail domestique à être socialisé. Le bordel public [...], typique de la première phase de la planification capitaliste […] ”
Genre, là typiquement, ça parle de capital, mais ça parle pas de patriarcat alors que l'idée que la femme est une prostituée potentielle est imo plus patriarcal qu'elle n'est capitaliste. Ce que je reproche à cette partie de l'argumentation, mais c'est aussi présents dans d'autres endroits, c'est que tout est mis sous le compte du capital. Dans Theorizing Patriarchy, de Sylvia Walby, que j'ai pu lire avant, elle en a une vision bien différente (elle écrit en 1990) :
“ On the one hand, capitalists have interests in the recruitment and exploitation of female labour, which is cheaper than that of men because of patriarcal structures. On the other, there is resistance to this by that patriarcal strategy which seeks to maintain the exploitation of women in the household. [...] An alternative patriarcal strategy developed of allowing women into paid employment, but segregating them from men and paying them less. [...] Whether the exclusionnary or the segregation strategy was followed depended upon the balance of capitalist and patriarcal forces in a particular industry in a particular locality . ” (P.185-186)
En gros, je trouve que Frederici est trop homogène dans son approche, et comme le dit Walby à la page 73 du même ouvrage :
“ The strength of Marxist feminism analysis of gender and production in the household is its exploitation of the link with capitalism. Its weakness is the overstating of this at the expense of gender inequality itself. […] ”
Ce qui me fait une lisaison parfaite avec l'autre point dont je voulais parler : la reproduction et l'intersectionnalité.
Le livre se concentre sur le travail domestique et la reproduction; mais peut de place est laissé à l'adoption (jamais mentioné). Car s'il est vrai que la reproduction est la manière de créer la nouvelle génération de travailleur, je pense qu'oublier que l'adoption existe est tout de même dommage et met de côté les femmes infertiles - sans parler des femmes trans. Alors, on me dira "calme, les essais ont été écrits en 1975, logique" et je reponderais que c'est une contre-critique valide, si ce n'est que deux des textes qui évoquent la reproduction L'invention de la ménagère et Omnia Sunt Communia ont été respectivement écrits en 2016/2014, et on pourra pas me dire que l'adoption n'était pas légal à cette époque en Italie. Ce qui me fait me dire que c'est une pente très glissante. Certes l'analyse de la reproduction est essentielle, mais à ne pas à prendre en compte le reste - ou tout du moins à reconnaitre l'existence d'autre, ne serait-ce que dans une note de bas de page - je me demande s'il n'y a pas une démarche d'essentialisation de « la femme » surtout quand on sait que - semble-t-il - dans son livre Beyond the periphery of the skin elle écrit:
“ Paradoxically, a testimony to the relevance of difference in our experience of our physical makeup comes from a large section of the trans movement that is strongly committed to a constructivist view of gender identities, as many undergo costly and dangerous surgeries and medical treatments in order to transition to a different gender. ” (P.50)
Alors, j'avoue que j'ai pas lue le bouquin (EDIT : je l’ai lue, je confirme que j’aime pas Frederici), mais, elle est décrite sur wikipédia comme faisant partie de la branche du feminisme radicale, donc bon. On remarquera aussi que bien qu'elle reconnaisse l'importance d'avoir une analyse en terme de race de classe et de genre :
“ Non seulement sa méthode [a Marx] historico-materialiste a aidé à démontrer le caractère construit des hiérarchies et des identités de genre [et elle critique Butler ?!], mais son analyse [...] à donné aux féministes de ma génération des outils puissants pour repenser les formes spécifiques d'exploitation auquelles les femmes sont soumises dans la société capitaliste et le rapport entre « sexe, race et classe » ” (P.28)
On sera tout de même très étonné.es qu'elle ne fasse jamais réference à la colonialisation dans ses essais qui, selon Vergès quand je lisais Une théorie féministe de la violence, est pourtant est un rouage qui entretient d'étroites relations avec le capitalisme.