L'école enseigne-t-elle l'hétérosexualité? Y apprend-on les bonnes et les mauvaises manières d'être une fille ou un garçon? Dans la cour de récréation comme en classe, les jeunes ont tôt fait de comprendre quels corps, quels comportements et quelles attirances sont admissibles. Et c'est peut-être dans les cours d'éducation à la sexualité que ces messages sont transmis le plus directement. Ce livre passe au crible une culture scolaire qui contribue à reconduire des normes de genre et de sexualité, souvent à son insu. Il montre comment les programmes, les manuels et les pratiques enseignantes peuvent maintenir les élèves dans l'ignorance quant à leur identité et leurs désirs, voire alimenter la violence. Dressant un portrait sans complaisance de l'éducation à la sexualité en France et au Québec, il propose des pistes d'intervention afin de rendre les contenus scolaires véritablement inclusifs, positifs et antioppressifs.
Auteurice.s:
Gabrielle Richard
Commentaire
Introduction
Après avoir rappelée que des titres tels que " Education affective " ou encore " Education à la santé sexuelle " sont tout sauf neutre idéologiquement parlant, l'autrice déplore le peu de temps consacré au cours liés à la sexualité dans les programmes scolaires. Or, ces horaires restreints sont le terreau d'une éducation qui, loin d'éduquer, permet le renforcement des stéréotypes et autres idées reçues en ce qui concerne le genre. Ainsi Richard avance le fait que cette configuration de l'éducation, dans toute la normativité quelle propose, et bien plus que de ne concerner que les élèves LGBTQIA+, est tout aussi nocive pour les élèves, qu'els soient hétéros ou cis. L'objectif de ce livre est dès lors de dessiner les contours de la pédagogie Française (Quebec + Métropole) et d'en proposer une vision alternative : une pédagogie antioppressive.
Chapitre 1
Posant les premiers jalons de ce qui consituera le coeur du livre, el s'agit pour Richard d'évoquer le sujet de la sexualité de façon générale. S'attachant dans un premier temps à rappeler les définitions de sexe, genre et orientation sexuelles, son premier chapitre progresse doucement vers la sexualité.
Rappelant l'existence de nombres de comportements genrés tels que les gender reveal party, la ségrégation des courts de récréations ou encore la banalisation des agressions et violences sexuelles [1], el s'agit pour l'autrice de montrer comment tant les parents que les élèves participent à la reproduction de l'hétérosexualité dans des cadres tant scolaires que peri-scolaires. Ceci lui permet en conséquence d'aborder naturellement le cadre de la sexualité à l'école, de son présuposé d'hétérosexualité (injonctions, ségrégation etc.) et des trois modèles pré-dominant à l'époque actuelle : le modèle traditionel, préventif et critique, le second étant le modèle majoritaire dans la francophonie.
Chapitre 2
Dans ce second chapitre, l'autrice nous retrace une courte généalogie de l'éducation à la sexualité tant au Quebec qu'en France. Sans surprise, les deux tracés historiques ont un fort ancrage religieux, terreau de contestations des programmes proposés. Une différence entre les deux pays cependant, la france à réussi plus tôt que le Quebec à introduire à l'école l'éducation à la sexualité sous l'angle de la prévention des risques. L'objectif médical, quoique lui-même non exempt de défaut, aura au moins permis d'encrer plus tôt la sexualité comme un fait objectif à transmettre bien plutôt qu'une information subjective laissée au bon vouloir des parents (que cela soit de part des cours non obligatoires, ou bien que l'éducation même soit laissée aux parents).
Autre point important, l'echec des programmes. Car si la religion est un point de contension qui s'oppose aux nouveaux programmes; el y a des problèmes même lorsque ces derniers sont acceptés. La chose n'est pas nouvelle et les raisons connues : pas ou peu de formation des enseignant·es, programmes peu clairs et heures pas assez nombreuses; tout un parfait cocktail de manque de ressources qui créer des programmes en définitif presque inutile.
Chapitre 3
Après avoir passée deux chapitres à spécifier globalement les mécanismes à l'oeuvre dans l'établissement d'un monde scolaire hétéronormatif, Richard s'interesse plus spécifiquement au cas des injonctions et des manuels scolaires.
Concernant les injonctions, l'autrice remarque qu'encore aujourd'hui (publié en 2019) ces dernières sont monnais courantes et vont d'une conception encore trop réduite du concept de sexe - et de son enseignement comme impliquant de manière déterministe le genre - jusqu'à la banalisation d'insultes. Injonctions qui forment d'ailleurs un double standard puisqu'alors que l'homosexualité est réprimée comme personnelle et sensible; retardant sa mention aux élèves, « les élèves ne sont jamais trop jeunes pour qu'on leur explique [l'hétérosexualité] » (P.90)
Le cas des manuels scolaires est lui-même représentatif. Lorsque le sujet de l'orientation est évoqué, et s'il n'est pas juste tout simplement mis sous silence, c'est bien souvent sous un angle marginalisé (encadré etc.) ou tout simplement négatif (biologie et anomalie, contexte historique négatif etc.) qu'il est abordé. Et d'ailleurs pourrais-je ici complexifier un peu le tableau. Car si ce livre se penche sur l'angle hétéronormatif, ce n'est pas à oublier qu'un angle capitaliste n'influe pas dans l'équation. Reprenant ici Genre, Corps, Espaces - et plus spécifiquement l'article " De l'invisibilité des femmes dans la géographie à enseigner. Analyse de photographies des manuels scolaires. - Magalie H. - el s'agit pour l'auteurice de faire remarquer que les éditeurs ont en tête un objectif de rendement qui a son tour entraine un cercle vicieux. Car si « l'objectif des maisons d'édition est de maximiser les ventes », alors « [p]ourquoi prendre le risque d'innover en abordant la question du genre [...] si les utilisateurs ne le demandent pas », pourquoi « créer [des] controverses qui pourraient nuir à leur commercialisation » (P.43). Au travers de témoignages et de cas concrets, et dans une analyse très Foucalienne du pouvoir, l'autrice montre donc bien comment l'école, loin d'être un lieu idéologiquement neutre, participe et perpetue les stéréotypes et les injonctions de genre comme d'orientation, favorisant par là un apprentissage cishétéronormatif de ces deux concepts.
Chapitre 4
Dans un tel contexte qui a été décrit précedemment, el devient évident que les élèves concerné·es patissent d'une telle éducation. Dans ce chapitre, deux exemples sont abordés. Tout d'abord, l'autrice fait mention des filles dans leur généralité. Dans une éducation sexuelle axée sur la reproduction et dans laquelle la puberté est vu d'un côté sous l'angle des régles (collectif, grossesse) et de l'autre sous l'angle des éréctions (individuel, agentivité) le message véhiculé est que ces dernières sont les garantes de l'ordre morale et sexuel, tandis qu'el s'agit pour les garçons d'aller " explorer le monde ". Mais bien sûr, les filles ne sont pas les seules laissées pour compte du système, et les témoignages que nous livre Richard nous permettent d'enfoncer le clou sur ce qui a pu être précedemment dit·e. Tel que l'aurait dit Foucault, el ne s'agit pas tant de faire attention à ce qui est dit et ce qui ne l'est pas, mais bien plutôt aux différentes manières de ne pas dire, et l'autrice de rappeler en ce sens que le sujet des réalités TPGB est complexe. Car s'el arrive bien aux enseignent·es d'évoquer le sujet, c'est souvent sous des angles problématiques et qui les stigamtisent davantage.
Enfin, l'autrice critique l'approche de la pédagogie dite " tolérante " - qui à des airs d'intégration - et selon laquelle el s'agit avant tout d'éduquer aux différences. Une telle approche à plusieurs défauts majeurs, dont celui d'avoir toujours le travail à refaire. Prenant en compte que les normes traversent l'école et toute la société en général, elle en oublie cependant ce point lors de la mise en pratique. Car si effectivement les normes impregnent l'ensemble de la société, éduquer à la différence en oublie que les élèves évoluent dans des contextes très différents et potentiellement plus conservateur. Ainsi, et quand bien même elle tente de bien faire, cette pédagogie manque le coche en ne critiquant pas le problème à sa source : les normes de pouvoir.
Chapitre 5
Critiquant dans le chapitre précedent la pédagogie de l'éducation aux différences, Richard se propose dans ce cinquième et dernier chapitre de développer plus en détail une alternative concrète : la pédagogie queer.
Je l'ai dit juste au-dessus, la pédagogie queer n'insiste pas tant sur les discriminations que sur les normes et rapports de pouvoir, et ce faisant permet de tisser des liens entre les divers oppressions, là ou la pédagogie de la tolérance ni voit que des problèmes séparés. La pédagogie queer se distingue en outre par trois pilliers que sont : positivisme, inclusivité et antioppression. El s'agit pour les contenus et activités de s'axer non plus sur une vision absentéiste ou même préventive, mais bien plutôt concevoir la sexualité comme l'ocassion pour les jeunes d'être acteurices de leur développement. Enfin, elle doit être inclusive en ce qu'elle reconnait que Sexe/Genre/Désir sont moins rigide, si ce n'est décorélés qu'el n'y parait; mais qu'en même temps - et c'est là le caractère antioppressif - ces identités ne se construisent pas en vase clos et sont en ce sens parti prenant de rapport de pouvoir. En ce sens, l'autrice nous propose quelques exemples d'activités pouvant être mises en place et favorisant une telle pédagogie. Que cela soit l'exercice du " pas en avant " [2], de " l'inversion " [3], ou encore des interventions des enseignant·es spécifiques à leur domaine d'étude, l'autrice nous donne quelques exemples qui ont fait leur preuves.
Cependant, Richard n'est pas dupe. Car s'el est vrai que de telles démarches sont nécessaires, cette dernière rappel que l'hétérosexualité est un système et qu'il ne pourrait incomber qu'aux seul·es enseignant·e de faire leur travail. Rappellant les deux obstacles majeurs que sont le manque de temps et l'absence de support de la part de la direction, el s'agit pour elle de souligner que le problème n'est pas tant le manque de ressource. Car remettre en question les normes de genre et de sexualité, c'est s'opposer à un lourds status quo qu'el est difficile de faire évoluer; et bien que les enseignant·es cherchent déjà, et comme els le peuvent, à négocier avec le système (par exemple, en utilisant le réglement scolaire pour asseoir la possibilité d'en parler).
Conclusion
Ce livre est vachement cool en tant que porte d'entrée. Ce n'est bien sûr pas avec lui que l'on va apprendre de grandes théories sur qu'est-ce que le genre ou des choses du style, mais pour quelqu'un cherchant à en apprendre plus, c'est un bon point, d'autant plus qu'il propose une alternative. Car non seulement il m'est en lumière les normes dans le cadre de l'école, mais en plus propose une pédagogie alternative pour les critiquer.
Si je devais critiquer ce livre, je le ferais cependant sur deux points. Le premier point que je souhaiterais critiquer est la simplification des définitions. Dans le chapitre 1, Richard pose les définitions de ce que sont Sexe/Genre/Orientation. Or, et c'est là où le bas blesse, quand bien même Richard évoque très pertinnement de ne pas voir le genre comme corrolaire du sexe, elle bute cependant toujours sur la notion que le sexe est biologique. Reconnaissant les cas d'intersexuation comme mis en crise de la binarité de sexe, elle n'en assure pas moins sa réification dans le naturel. Alors oui, I get it, ce livre n'a pas vocation à faire une critique approfondie du concept de sexe, et comme je l'ai dit plus haut, en tant que porte d'entrée, c'est suffisant·e; mais bon, je trouve ça un peu dommage. Autre point que je voudrais aborder, et toujours dans cette idée d'aller " toujours plus loin ", c'est la critique que Zappino à pu faire à l'éducation. Critiquant la pédagogie de l'éducation aux différences sous la raison que cette dernière ne sert à rien tant et si bien que, d'un point de vue materiel, les enseignant·es TPBG ne sont toujours pas présents dans les écoles (ou peu); c'est la "même" critique que je souhaiterais faire à Richard. Certes cette dernière évoque que les normes ne se font pas qu'à l'école, mais s'enfermant dans un cadre que je trouve purement réformatif, l'autrice me donne l'impression qu'une fois que la pédagogie queer sera mise en oeuvre, tout ira pour le mieux. Et quand bien même el s'agit là que d'un point important, je ne peux m'empêcher de penser qu'elle la voit comme une fin, et non un moyen.
[1] Je pense ici tout particulièrement au jeu du chat (mes mots) que Richard met en lumière : « Dans les jeux ou il s'agit pour les fille d'attraper les garçons (ou l'inverse), il n'est pas rare que les personnes qui ne parviennent pas à échapper à leur adversaires reçoivent un baiser, souvent contre leur gré. » (P.23)
[2] Un exercice consistant à donner des cartes à des élèves avec des descriptions de personnes fictives. L'enseignant·e va ensuite évoquer des affirmations telles que " personne ne m'a jamais demandé si j'étais un garçon ou une fille ". Si une telle affirmation correspond à la carte, alors l'élève concerné·e doit avancer d'un pas. Cet exercice permet de mettre en lumière les privilèges tout en ne faisant pas culpabiliser les élèves (les personnages sont fictifs).
[3] Cet exercice est d'ailleurs une méthode bien plus générique que le cas de l'école seul. El s'agit de prendre des énoncés courants en matière de sexualité par exemple, et de les retourner pour en montrer leur ridicule (le fameux retournement queer des normes). Par exemple, " t'as jamais essayé·e, tu peux pas te dire gay ", pourra être retourné en " t'as jamais essayé, tu peux pas te dire hétéro ".