Aujourd’hui, l’intelligence artificielle serait capable de distinguer un cerveau de femme de celui d’un homme. Pour certain·e·s, cela constituerait la preuve irréfutable de la pertinence indépassable de ces deux catégories figées d’êtres humains. Mais que peux vraiment dire la science à ce sujet ? Cet ouvrage décortique le sexe et le genre tels qu’ils sont mobilisés dans les sciences biomédicales, notamment en épidémiologie. Il propose aussi des stratégies originales, innovantes et cohérentes pour « capturer le genre » (au sens de système structurel normatif) par le biais d’analyses quantitatives. En explorant les mécanismes sociaux de genre en jeu dans la construction des différences biologiques entre les hommes et les femmes, on révèle l’intrication complexe du social et du biologique. Tout au long de ce livre passionnant, on découvre une biologie plus complexe et dynamique que ce que les thèses essentialistes nous présentent comme étant « naturel ».

Auteurice.s:

H. Colineaux

  • Biologie Epidémologie sociale
  • Commentaire

    En commençant par la conclusion, le bouquin de Colineaux cherche à montrer si oui ou non el existe des différences biologiques expliquables, ne serait-ce qu'en partie, par des mécanismes de genre. C'est-à-dire, si certains écarts biologiques peuvent résulter de l'action de systèmes normatifs tel que la performance de genre ou les assignations de comportements. Au travers d'une étude d'une certaine population, et par l'établisement de trois méthodes d'analyses (le genre comme « variable, effet et interaction ») qui amènent à l'établissement d'un score de séparation des individus sur un axe feminin - masculin, Colineau montre effectivement que certains ecarts peuvent être effectivement expliqués par le social, mais tout en rappelant par là-même que séparer le biologique du social est compliqué, si ce n'est tout bonnement impossible; que la part du dymorphisme sur ce résultat est incertaine, et que ses résultats ne sont pas généralisables (aka, les ecarts explicables par le social peuvent changer selon les populations). Ce livre critique aussi les méthodes et outils employés dans le cadre de l'épidémiologie sociale qui est aussi le champs de recherche de Clineaux. Car en effet, dans ce champs de recherche, et quand le genre est pris en compte, bien souvent, el se trouve qu'il n'est pris en compte que d'une façon bien spécifique : comme proxy du sexe au travers de score dit "sexe-spécifique". Que sont ces score ? Un score sexe-spécifique est une limite, un seuil que l'on impose et qui puisse permettre de binariser une variable pour définir l'anormal. Ce score est dit sexe-spécifique car il est différent selon la catégorie de sexe visée. Les critiques que l'on peut adresser à ce type de méthode sont nombreuses et ne date pas de ce livre, et l'apport de l'auteur est avant-tout d'enfoncer le clou en se demandant si oui ou non un tel score peut être utile à l'analyse, bien plutôt que de vouloir les supprimer totalement ou même d'en mettre partout for that matter.

    On va dire que, venant d'une approche bien plus " science humaines ", je suis frustrée par ce livre. L'ouvrage de Colineaux montre très bien que le biologique et le social sont intriqués, que « penser la nature [...] comme étant construite, non seulement conceptuellement, mais aussi très concrètement par la culture [...] c'est justement servir à délégitimer son potentiel pouvoir essentialisant » (P.37), c'est éviter de voir « [l]a catégorie de sexe et toutes les différences biologiques observées [...] comme étant immuables, car implicitement associées à une cause génétique [...] » (P.129). Et en ce sens, Colineaux se rapproche beaucoup de Butler ou de Kosofsky Sedgwick dans leur critique du binarisme nature/culture. Mais pour moi qui pense - et ce, à la suite de Butler entre autre - que le sexe est une construction venant totalement du genre; pour moi qui pense que le fait de donner une signification à la réalité materielle est le genre en ce qui concerne le sexe; pour moi qui pense que l'on peut voir un penis comme étant biologiquement tant masculin que féminin dépendemment de qui le porte; en définitive, pour moi qui pense que le sexe est in fine un peu ce que l'on veut en faire; bah je suis frustré·e. Qu'on soit clair, Colineaux avance d'emblée et dès le début de son ouvrage qu'el lui a fallu « définir [le genre] d'une façon qui paraitera peut-être excessivement simplifiée, voir déformée, aux yeux d'un lectorat plus habitué à la litterature issue des sciences humaines et sociales » (P.13), et je comprends tout à fait l'argumentaire de vouloir dumb down ces notions pour integrer un contexte de sciences dites dures. Cependant, dans un ouvrage tel que celui-ci, je ne peux m'empêcher d'être frustrée. Colineau est à deux doigts de citer Butler par exemple, mais il ne le fait pourtant pas. La raison, je vais pas la supposer, mais je trouve cela dommage.

    S'el y a bien une critique que je peux faire, c'est la phrase suivante. A la page 42, il énonce que

    “Le débat « est-ce que le sexe précède le genre ou l'inverse ? » occupe nombre de discussions, mais les deux propositions ne sont pas contradictoires : d'une façon le sexe précède le genre, car c'est le sexe assigné à la naissance et certaines caractéristiques liées à une catégorie de sexe [...] qui va en partie déterminé le genre d'un individu [...] Mais d'un autre côté, le genre, en tant que système symbolique, produit le sexe dans le sens où il nous fait percevoir et classer les personnes en deux catégories non confondables [...]” (je souligne)

    Je serais d'accords avec lui, si ce n'était pour l'ambiguité qu'il semble introduire dans son propos. Qu'el y est des caractéristiques physiques pré-sociétales et qui viennent jouer, bien sûr; mais Colineau semble ici biologiser le sexe assigné à la naissance.