Non le concept d'intersectionnalité ne représente pas un danger pour la société ou l'université, ni ne fait disparaître la classe au profit de la race ou du genre. Bien au contraire, cet outil d'analyse est porteur d'une exigence, tant conceptuelle que politique. Une synthèse nécessaire, riche et argumentée, pour comprendre de quoi on parle. Les attaques contre les sciences sociales se font de plus en plus nombreuses. À travers elles, ce sont certains travaux critiques qui sont particulièrement visés, notamment ceux portant sur les discriminations raciales, les études de genre et l'intersectionnalité. À partir d'un article de 2019, devenu référence et paru dans la revue Mouvements, entièrement revu et actualisé, voici, pour toutes et tous, une synthèse salutaire et nécessaire sur ce qu'est réellement la notion d'intersectionnalité. Les autrices, sociologues, s'attachent d'abord à rappeler l'histoire du concept élaboré il y a plus de trente ans par des théoriciennes féministes de couleur pour désigner et appréhender les processus d'imbrication et de co-construction de différents rapports de pouvoir – en particulier la classe, la race et le genre. Il s'agit ensuite de s'interroger sur les résistances, les " peurs ", les discours déformants et autres instrumentalisations politiques que l'intersectionnalité suscite particulièrement en France. Mais justement, défendre les approches intersectionnelles, n'est-ce pas prendre en compte, de manière plus juste, les expériences sociales multiples et complexes vécues par les individu·es, et donc se donner les moyens de penser une véritable transformation sociale ? Pour l'intersectionnalité : " Qui nos institutions académiques accueillent-elles et quels savoirs valorisent-elles et font-elles éclore sont donc deux questions indissociables. Et ce n'est qu'en tentant d'y répondre et en donnant toute sa place à des travaux potentiellement porteurs de transformation sociale pour les groupes marginalisés que l'enseignement supérieur et la recherche pourront continuer de jouer un rôle politique et social en France, car elles produiront une recherche scientifique qui renouvelle notre compréhension du monde social et le donne à voir dans sa complexité. " Éléonore Lépinard et Sarah Mazouz.

Auteurice.s:

Eleonore Lépinard, Sarah Mazouz

  • Intersectionnalité
  • Commentaire

    Une convergence qui ne doit rien au hasard & les stratégies de délégitimisation à l'oeuvre

    La première partie de ce livre constitue une défense face aux détracteureuses de l'intersectionnalité. Reprenant l'ouvrage de Noiriel et Beaud comme d'un exemple typique de ses attaques, les auteurices nous disent qu'ils et elles la critiquent sur plusieurs points que sont une réification des identités, un oubli de la classe et, en conséquence, une focalisation sur la race.

    Or, ses critiques n'ont rien de fondées. El est tout à fait vrai qu'el existe des débats quand au concept en lui-même, et par exemple à sa tendance à réifier les intersections qu'elle met en lumière, mais c'est bien plutôt les critiques grossières qu'els entendent démontées ici. Car en effet, critiquer, rejeter même, l'intersectionnalité en bloc et de la façon dont le font ces dernians, c'est faire partie de la longue histoire de l'hégémonie française. Tout ce que ces attaques montrent, encore une fois, est que plus un concept est dérangeant, plus il sera la cible de critiques grossières et ce, de part et d'autres du spectre politique. Car la droite n'est pas la seule à rejeter ce concept. Quand bien même elle rejette le concept dans son entièreté, el ne faut pas oublier non plus ce pan de la gauche qui cherche à diriger, à se placer en arbitre objectif du débat (comme si cela était possible) et qui de la sorte se ralie à la droite dans une conception universaliste.

    Dans un pays encore très entaché de cette notion particulièrement problématique qu'est l'universalisme républicain, el n'est donc pas étonant de voir la race se faire attaquée au profit de la classe. La race - et contrairement à la classe - est un sujet de division car c'est un sujet qui vient casser l'illusion de l'abstraction à la française et qui nous voudrait touste pareil. Ainsi, l'attaque d'essentialisme alors même que l'intersectionnalité se concentre sur des rapports sociaux dynamiques et la focalisation sur la race alors même que dès son commençement, ce champ d'étude s'est aussi intéréssé à la classe puis à d'autres champs croisés tels que la sexualité ou la religion, ne sont que des parades pour délégitimiser un concept vu comme dérangeant pour l'ordre établi, et en ce sens el est d'ailleurs tout à fait pertinent de se demander pourquoi la classe, n'est-elle pas, elle « considéré par les sciences sociales comme problématique ou destructrice pour la société » (P.23).

    Contre le surplomb : les épistémologies du point de vue & Experiences et savoirs minoritaires : pour une politique de la présence

    Rappelant ce qu'els avaient déjà évoqué·es précedemment et concernant les nuances dans les critiques que l'on peut apporter à l'intersectionnalité, les auteurices enfoncent le clou de la critique de l'objectivité. Rappelant l'historique marxiste et féministe de ce que l'on appelle l'épistémologie du point de vue, les auteurices insistent sur la nécessité de démystifier l'objectivité prétendue des positions dominantes qui n'est en réalité rien d'autre qu'un des mécanismes de la blanchité. En outre, loin de cette idée que " seule les femmes peuvent parler des femmes, les noirs des noirs etc. » (P.43), ce qui ne serait d'ailleurs qu'une autre position autoritaire, el s'agit pour els de faire comprendre que chaque point de vue vient avec son lot de subjectivité et dont une auto-reflexion visant à toujours plus de neutralité seule ne serait nous sortir, n'en déplaisse à Bourdieu. Contrairement aux modes de connaissances des domiant·es qui se fait au travers d'un point de vue individuel et isolé, el s'agit au contraire de penser la connaissance collectivement.