Depuis des ancrages disciplinaires multiples, cet ouvrage apporte une contribution majeure à la théorie féministe contemporaine. À partir de matériaux historiques et empiriques variés, il permet de comprendre comment les sciences humaines, sociales et politiques problématisent et analysent les rapports de pouvoir du point de vue de leurs multiples expressions et imbrications : de genre, de sexualité, de couleur, de classe. Cette question est l'une des plus innovantes dans la recherche contemporaine européenne, largement documentée aux États-Unis sous le terme d'« intersectionnalité ». Cet ouvrage collectif fait donc le point sur un chantier crucial et offre des contributions émanant de spécialistes français, belges ou allemands, mais il met également à disposition des articles de référence pour la première fois accessibles en français.

Auteurice.s:

Elsa Dorlin

  • Race Féminisme
  • Commentaire

    Dynamique et consubstantialité des rapports sociaux - Danièle Kergoat

    résumé

    L'article de Kergoat - revisitant son article de 78 - s'articule en trois temps. Dans un premier temps rappeler ce qu'est un rapport social, le distinguer par là-même de la relation et de la pratique sociale, et ensuite en définir les propriétés. Ce faisant, Kergoat continue sur les relations complexes entre les differents rapport et s'attaque au concept d'intersectionnalité. Enfin, elle précise sa méthodologie pratique.

    Dans un premier temps, la sociologue cherche donc à définir rapport social. Ce dernier est ancré dans une vision sociétal en ce qu'elle le définit comme « une relation antagonique entre deux groupes sociaux, et établie autour d'un enjeu » (P.112 du présent ouvrage). Ces rapports sociaux, ont peut en donner quelques exemples : l'abilité, la religion ou encore le genre. Mais Kergoat nous contraint à les penser comme monolithique et en ce sens " le genre " est différent selon les groupes en présence. Par exemple, il prendra telle forme entre le groupe des femmes/hommes blanc ou encore telle autre entre les personnes blanches/les femmes racisées dans le cadre du ménage; ce qui lui permet ainsi de théser : les rapports sont consubstantiels et coextensifs. Ils se créent et se modifient ensemble et ne peuvent être séparés. Cette vision est importante puisqu'elle permet de distinguer rapport de relation; une relation sociale étant interpersonnelle et contrairement au rapport qui, lui, est collectif. Cette distinction est importante puisqu'elle permet de mettre en lumière le fait que bien que les lignes de tensions aient été déplacées au gré des luttes et des réactions, ces même tensions existent cependant toujours, et qu'ainsi en est-el de même du rapport associé. Enfin, elle précise le terme de pratique sociale, une sorte de généralisation des relations puisqu'el s'agit de partiques collectives et pouvant amener à des changements.

    En définitifve, el s'agit toujours pour Kergoat d'ancrer les personnes dans l'hypersingularité. Une femme n'agit jamais en tant que femme, mais en tant qu'ouvrière ou qu'infirmière; « le sujet des luttes ne se juxtapos[isant] pas avec le sujet de la domination » (P.114). Forte de cette affirmation l'autrice enchaine. Nous rappelant que la prise en compte des mécanismes multiples d'oppressions n'est pas une invention etats-unienne qu'el nous a suffit d'importer, elle montre comment, au contraire, cette démarche était déjà présente en france dans les années 80, mais que, minoritaire qu'elle était, elle fut reléguée à la marge. En ce sens Kergoat applaudie les études post-coloniales et le féminisme noir, mais non pas pour la découverte de ce champ de recherche bien plutôt que pour leur revitalisation du débat dans le contexte français. Cependant, elle les critique tout autant. Avec la revitalisation du débat nous dit-elle, en vient-on à déconsidérer la classe. En outre le terme de catégorie serait-el un moyen d'essentialiser les rapports sociaux (elle critique ici Crenshaw) et, reprenant ici Dorlin, d'affirmer qu'il peine « à penser un rapport de domination mouvant et historique [...] » (P.117). Cette opposition à une réification est d'importance capitale pour elle puisque contre elle, elle lui permet d'affirmer, et peut-être de manière étonnante, qu'un rapport social « n'est pas en soi source d'antagonisme ou source de solidarité », et que cela dépends « de la configuration ici et maintenant » (P.118).

    Enfin, Kergoat s'interesse à la façon pratique de réaliser sa méthodologie. Elle rappelle tout d'abord pertinennement qu'un rapport social a des conséquences tant materielle qu'idéologique et que les séparer comme si la classe était la structure est une impasse. Ses impératifs méthodologiques sont les suivants :

    - matérialiste : les rapports sont des rapports de production (et donc d'exploitation etc.)

    - historique : les rapports sociaux sont dynamiques

    - invariant : quand bien même historicité el y a, cela n'empêche de dégager des grandes lignes communes aux diverses variantes.

    - négociation : être attentifve aux re-négociation des rapports sociaux par les groupes minoritaires.

    Avis

    Après lecture de l’article de kergoat, je me suis mise à m’interesser de plus près aux questions liées à l’intersectionnalité. C’est donc dans ce contexte plus large que je vais me permettre de critiquer son article.

    Sur les trois critiques majoritaires formulées à l’encontre de l’intersectionnalité (prise en compte de mauvaises identités, essentialisme et abandon de la classe) [1], seule l’une des trois me perturbe toujours. Kergoat n’est pas partisante de la première critique et cette dernière évoque d’ailleurs très justement qu’ « Aucun rapport social n’est permier » [2]. C’est une approche avec laquelle je suis d’accord et nombres de personnes ont déjà pu critiquer le réductionnisme, parmis lesquelles bell hooks (1984 [2017], Cambouraki, P.86), Christine Delphy (1997, [2013], Sylepse), Kimberlew W. Chrenshaw (1991 [2023], PBP) ou encore Lorenzo Kom’boa Ervin (1990~, Speaking of anarchism, racism and black liberation); et en ce sens je suis parfaitement contre toute critique formulant un tel envie de réductionnisme. Sans forcément parler de la critique d’abandon de la classe au profit de la race et quand bien même cette dernière ne serait pas une « mauvaise identité »; sans prendre donc en compte cette critique plus avant et nonobstant que des travaux tels que ceux de Davis (1981), Crenshaw (1991) ou encore plus récemment Larcher (2017), en plus d’avoir un fort ancrage marxiste en ce qui concerne les plus vieux, prennent pleinement en compte la classe dans leur analyse, c’est surtout envers la dernière critique que je souhaiterais m’exprimer: l’essentialisme.

    Dorlin [3], et tout comme Kergoat qui reprends sa critique [2], critiquent l’intersectionnalité en ce qu’elle réifierais les rapports sociaux pris comme des catégories, la critiquant comme trop abstraite et anhistorique. Je leur accorde tout à fait qu’une telle vision puisse effectivement avoir cet effet. Comme l’énonce Dorlin, créer des « secteurs d’interventions » - par exemple « femme blanche ouvrière » – à la tendance à uniformiser et occulte tout à fait qu’une telle personne puisse vivre son positionnement differement selon les contextes. Dans son article « Faire des différences. Ce que l’ethnographie nous apprend sur l’articulation des modes pluriels d’assignation », Sarah Mazouz nous montre comment des mécanismes de race, de sexe et de classe viennent s’entre-méler dans le contexte d’une administration française et dans le cadre de deux femmes sous la direction d’un homme. L’une d’entre-elles, Daniel Durand tantôt se hisse en confondant son status social avec celle de sa collègue (se sont toute deux des femmes sous la direction d’un homme), tantôt rabaisse cette dernière de part une assignation raciale. Or, el me parait pertinent, si ce n’est évident, de soulever que cette dernière, la « femme blanche ouvrière » [4], aurait peut-être agit différement si elle n’avait pas été sous l’égide d’un homme. Je leur accorde aussi l’ambiguité de Crenshaw dans ses propos, ambiguité qu’elle reconnaitera d’ailleurs dans un article ulterieur de 2013 [5]. Car en effet, et bien que dans son texte fondateur, cette dernière fasse à plusieurs reprises mentions de différences au sein d’un même rapport social [6], les termes parfois employés peuvent effectivement préter à confusion.

    Mais ce que je critique n’est pas tant la critique intersectionnelle, bien plus la portée de leur critique. Car el se trouve que dans ces deux textes, la seule mention d’intersectionnalité étudiée et rejettée – et comme si cette dernière représentait l’ensemble du mouvement – est la mention du texte de Crenshaw, « Cartographier les marges ». Je me pose donc bien evidemment la question de savoir comment un champ entier de recherche et de méthodologie, et s’ettallant entre les années 1980 et 2006 au moment de l’écriture de leur texte, peut être subsumé sous les écrits d’une seule personne. Par exemple, l'article suivant et décrit ci-dessous fait mention du fait que « Leslie McCall définit l'intersectionnalité » dans « son article remarqué de 2005 » (je souligne). De ce point de vue, el n'est d'ailleurs pas tout à fait ininteressant·e de remarquer que ce même article que je cite indirectement ici dit de McCall qu'elle et d'autres « réclament à juste titre l'usage de catégories fixes [...] », mais que pourtant ce n'est que Crenshaw qui apparait dans leur critique. Ainsi, plutôt que de s’interesser au champ de recherche dans son ensemble et de regarder, concretement, ce que les chercheuses qui l’ont adoptée en ont fait, de regarder si et comment ces dernières ont reprises à leur compte son concept – potentiellement tel quel ; j’ai l’impression qu’elles utilisent Crenshaw comme d’une femme de paille pour leur critique; et qu'elles n'ont pas cherchées à regarder plus loin que la personne emblématique du concept.

    Et peut-être pire encore selon moi est l’hypocrisie que me semble afficher Kergoat dans son article. Car au-delà de critiquer l’intersectionnalité, elle ne le fait selon moi que pour illustrer son concept et le mettre en valeur ; mais tout en se gardant bien de préciser que « si nous ne voulons pas isoler les rapports sociaux, si nous ne voulons pas fonctionner sur des catégories réifiées », un des imperatifs qu’el faille utiliser est celui « d’historicité » [2]. En conséquence, je trouve bien hypocrite de critiquer l’intersectionnalité pour sa prétendue essentialisation nécessaire (Chose par ailleurs qu’el me reste encore à prouver puisque ni Kergoat ni Dorlin ne cite personne d’autre que Crenshaw), et de l’autre côté reconnaître que « [son] approche nécessite la mise en oeuvre d’un certain nombre de principes », reconnaitre qu’elle puisse amener à une essentialisation, à un « fourt-tout ». En fait, j’ai l’impression que Kergoat se place en opposition à Crenshaw, presque comme si elle était exterieure au débat et non pas partie prenante; comme si el n'y avait que l'intersectionnalité qui pouvait amener à essentialiser. Et alors même que ses conseils méthodologiques pourraient être appliqués aux deux concepts, elle s’empêche de les proposer à l’intersectionnalité, comme si cette dernière était beyond salvation, proposant son concept par dessus tout. Et en ce sens, je trouve d’ailleurs bien plus pertinent la critique de Fenstermaker et West [7] lorsqu’elles énoncent qu’un tel système peut amener à créer un classement des oppressions (j’ai plus d’intersections que toi), et effet réel qui s’est trouvé être vérifié dans la pratique (Nidergang, 2023, P.107. Il cite Halberstam sur ce point). Enfin, je suis aussi d’accord que se focaliser sur l'intersectionnalité comme d'un concept mettant en avant les privilèges individuels (le fameux, « je suis blanche, lesbienne, de classe moyenne etc. c'est bon, j'ai faite ma liste de course, j'ai faite mon job »), et comme le font souvent des gens s'appropriant le concept n'est clairement pas suffisant (Cf. Mon résumé du livre de Alice Coffin le génie lesbien pour une discussion de ce point-ci).

    Ainsi, et quand bien même j’aurais tendance à préferer la consubstantialité évoquée par Kergoat pour son image bien plus clair de co-construction et de co-modification et outre le problème des « oppression olympics », je m’interroge sur le bien-fondé de leur critique qui, selon moi, à tendance à opposer binairement les états-unis à la france. De ce point de vue-ci, el est d’ailleurs ironique que Kergoat se targe de ne pas « pour autant [...] prendre sans précaution [ces] concepts [provenants des US] », surtout sachant que « la racialisation [et] l’antagonisme de classe aux USA ne peut se supperposer à la situation française » (P.117), quand on sait aussi de l’autre côté, et d’après Fatima Ait Ben Lmadani et Nasima Moujou, que « Danièle Kergoat, l’une des principales théoriciennes de la division  sexuelle du travail, se penche aujourd’hui sur la division raciale du  travail mais ne cite pas les spécialistes du sujet, comme Sabah Chaib,  une des fondatrices de la recherche sur genre, travail et migration en  France. Abdelmalek Sayad ne trouve également pas de place dans ce  travail comme dans les « nouveaux » travaux féministes se penchant sur  l’intersectionnalité ou sur l’immigration en oubliant l’histoire de la  migration, la dimension post-coloniale du contexte français ainsi que  l’histoire des savoirs de minoritaires dans ce contexte. » [8]. Peut-être que son point de vue est correcte, mais en tout cas, la forme que prends son agumentation m'aide pas à aller en ce sens.

    Et je pense, ce qui me perturbe encore plus n'est pas tant le fait que Kergoat effectue sa critique. Car en effet, l'intersectionnalité étant arrivée en france dans les années 2000, et Kergoat ayant écrite sa critique en 2006, on pourrait donc lui laisser le bénéfice du doute en disant qu'el n'y avait pas beaucoup de travaux en france à l'époque (ce qui n'empêche de regarder du côté US, mais bon). Par contre, que ces critiques soient encore d'actualité en 2021…

    [1] Pour l’intersectionnalité, Eleanore Lépinard, Sarah Mazouz, anamosa

    [2] Dynamique et consubstantialité des rapports sociaux, Danièle Kergoat, citée dans Sexe, Race, Classe, pour une épistémologie de la domination.

    [3] De l'usage épistémologique et politique des catégories de « sexe » et de « race » dans les études sur le genre, Elsa Dorlin.

    [4] Elle n’est techniquement pas ouvrière, mais fonctionnaire de catégorie C. On me permettera - je l’espère - cette approximation, pour se concentrer sur le fonds de mon propos.

    [5] Toward a Field of Intersectionality Studies: Theory, Applications, and Praxis, Sumi Cho, Kimberlé Williams Crenshaw et Leslie McCal.

    [6] Par exemple, « des militantes désireuses de fournir des services d’assistances à des femmes asiatiques ou afro-americaines ont fait état d’une forte resistance de la part de ses communautés [Note : L’origine de la resistance révèle une différence intéressante entre les deux communauté [...] » (P.107) ou encore que « Selon mon interlocuteur au LAPD, des representants de diverses minorités s’opposaient également à la transmission de ces statistiques [sur les violences inter-communautaires]. On s’inquiétait de ce que ces chiffres brossent une représentation érronée des communautés noires et racisées comme particulièrement violentes [...] Ces inquiétudes reposent sur l’idée répendue, et fondée, que certains groupes minoritaires – en particulier les hommes noirs – souffrent déjà d’une image de violence incontrolable. » (P.99). Cela me fait d’ailleurs penser à la remarque de Lépinard et Mazouz pour qui, « l’intersectionalité appelle à sortir d’une lecture arithmétique de la domination pour insister sur des configurations plurielles et toujours contextualisées [...] Le genre masculin n ‘[étant] donc pas toujours et de manière absolue porteur d’un privilège social » (P.27).

    [7] « Faire » la différence, Cadance West et Sarah Fenstermaker

    [8] Peut-on faire de l'intersectionnalité sans les ex-colonisé-e-s ?, Fatima Ait Ben Lmadani et Nasima Moujoud

    Différences, pouvoir, capital. Réflexions critiques sur l'intersectionnalité - Patricia Purtschert & Katrin Meyer

    La première partie de cet article qui est séparé en trois partie s'attache à faire une courte généalogie de l'intersectionnalité. Utilisant McCall et son appel à ne pas se concentrer sur la formation des groupes sociaux en catégories, mais plutôt à en étudier les rapports d'inégalités entre elles, les autrices proposent d'aller plus loin. Vouloir utiliser des catégories fixe comme le veut McCall pour le besoin de l'analyse est interessant. Cependant, el ne faut pas oublier que les catégories même sont issues de rapport de pouvoir, et qu'en ce sens les utiliser de manière fixe et non-critique est un angle mort d'une telle analyse et qu'el faille donc pouvoir aussi introduire de nouvelles catégories si besoin.

    Cela n'aura manqué à personne, le terme d'intersectionnalité à été créé par Crenshaw en 91. Cependant, ce que l'on sait moins, c'est que l'intersectionnalité était déjà à l'oeuvre avant même sa formalisation. Des autrices telles que bell hooks, Angela Davis, ou même Olympe de Gouge dans le contexte français se sont toutes attachées à articuler plusieurs systèmes de dominations ensemble, les premières critiquant les catégories de genre et de femme pour leur biais blanc. Progressivement, elles en arrivent à formuler une topologie différente. Contre cette vision du monde qu'Adrienne Rich appelle le Solipsisme blanc, ces autrices agrumentent pour un centre hégémonique qui relègue aux marges les minorités qu'il créer. C'est dans ce mouvement critique des normes qu'intervient des auteur·ices telles que Butler et qui ne vont plus chercher à étudier les marges, mais le centre lui-même. Butler va s'attacher à montrer que le genre n'est pas sexuellement neutre et qu'au contraire, les deux s'articulent ensemble. Or, et c'est là où c'est interessant·e; une des grosses critiques que l'on peut effectuer au queer, c'est... son solipsisme blanc ! De retour à l'intersectionnalité donc. En effet, on remarque qu'à force de critiquer la norme hétérosexuelle que ces mouvements ont contribués à mettre en lumière, et de par sa réification en un ensemble fixe et uni, la norme est venue à signifier la norme [blanche]. Or, et comme le rappel très bien les autrices, l'hétérosexualtié est très différente selon les contextes, et un enfant n'aura pas la même signification qu'il soit "attribuer" à un homme blanc ou une femme noire. Ainsi, et au travers de se rapide détour qu'est la généalogie de l'intersectionnalité et de l'étude critique des normes, on voit donc bien comment, bien plus que d'être une méthode, l'intersectionnalité constitue un veritable paradigme de recherche, un paradigme qui peut permettre l'intervention critique et la création de nouvelles catégories comme la blanchitude.

    L'attitude à avoir est alors toujours délicate. Car si l'intersectionnalité implique une reflexion auto-critique sur son positionnement qui peut toujours déjà être hégémonique, c'est au contraire qu'el ne faille pas anticiper ces critiques puisqu'agir ainsi ne ferait que re-créer un sujet absolu; et d'ailleurs les autrices d'ajouter qu'un discours contre-hégémonique contient toujours deja en lui sa part même de fausse universalité et de marges (Cf. Butler, la norme créer l'anomal etc.). Ainsi, un tel positionnement doit accepter qu'il exclue mais sans pour autant pouvoir savoir à l'avance qui [1]. C'est un positionnement qui est dans la position inconfortable d'être prêt à se voir remis en cause, mais inconfort qui est nécessaire à la démocratie.

    Dans un tel contexte, les autrices s'étonnent de voir que la fragmentation est mal reçue. Dans nombre de débats, ne serait-ce qu'intersectionnel, on s'interroge sur cette démultiplication des identités qui non seulement saperait la base commune du féminisme [2], mais en outre créerait de nombreuses différences politiquement inutile et amenant aux fameuses " culture wars " à l'image des critiques formulées par Klinger et McCall. Ainsi, et pour contrer cette peur d'une perte de contrôle, les autrices avancent tout d'abord qu'un retour à l'ordre ne peux se faire par une fixation des catégories politiquements pertinente à l'avance et qu'au contraire, c'est en laissant le champ ouvert, en laissant les catégories se réclamer de l'utile que l'on pourra avancer, faute de quoi on réitère cette absolu que l'on voulait éviter. En conséquence, et pour permettre cela, les autrices proposent de juger les théories sur leur capacité à prendre en compte la diversité des inégalités.

    Comment donc faire une analyse intersectionnelle dans ces conditions ?  El est important de préciser que pour Purtschert et Meyer, le débat intersectionnel - et comme on l'a vu plus haut - ne se situe pas tant dans la création d'identités individuelles que dans l'inégalité de leur champ d'action, le " politiquement pertinent ". Dans ce contexte, el parait donc logique de s'interesser non pas à la formation d'identité et à leur reconnaissance bien plus qu'à ce que cette reconnaissance permet de faire. Dit autrement, s'interesser à la production structurelle et inégalitaire de la capacité d'agir au travers de la reconnaissance. Partant d'une vision poststructuraliste et dans laquel le pouvoir ne fait pas que réprimer, mais aussi construit socialement les sujets et ce, au travers de processus tels que les discours et les normes, les autrices proposent donc de réaliser une étude dans laquelle micro et macro, « inégalité structurelle et capacité d'agir individuelle » (P.138) s'entrecroisent pour ainsi dépasser une étude des rapports entre les groupes et le dissensions quant à leur nombre pour s'interesser davantage à la question de la répartition du pouvoir, mais sans la figer une fois pour toute.

    L'étude de cas choisie est celle du capital humain. Ce concept, proche de celui plus connu de capital culturel, designe l'ensemble des domaines dans lequel um individu·e peut investir de sorte à obtenir de l'argent (savoir, santé etc.). C'est un concept très néolibéral puisqu'il insiste sur la capacité d'agir de l'individu·e pour "s'améliorer". Or, et comme vu plus haut, tout concept créer des exclusions. El s'agit donc pour les autrices de chercher à de-universalité ce concept et à en montrer les limites propres.

    La critique que les autrices formulent à la conception du capital humain peut-être résumé en une critique de " vouloir, c'est pouvoir ". Car alors même que l'auteur original de ce concept, Becker, reconnait que les discriminations peuvent jouer sur cette forme de capital, il n'en reste pas moins persuadé que qui que l'on soit, un certain rendement, même inferieur est toujours possible. A cette vision, les autrices y oppose le cas de la migration. Car quand bien même l'on voudrait migrer que le capital humain dégagé ne dépends pas que de nous, mais bien aussi de facteurs exterieurs (reconnaissance des qualifications, migration légal etc.) qui peuvent aller jusqu'à l'annulation de ce capital. D'autres formes, moins dures, existent cependant aussi et à cet effet les autrices evoquent le cas des femmes qui, bien qu'ayant des formations plus grandes, n'en ont pas forcément un plus grand capital humain. Cependant, loin de vouloir fixer une fois pour toute les exclusions occasionées par ce type de capital, et fortes de leur " critique de l'ouverture ", Purtschert et Meyer reconnaissent que ces dernières sont variables et historique, et c'est même ce dernier point qui est des plus interessant. En effet, il permet encore une fois de critiquer cette conception néoliberale et selon laquelle el suffirait pour les minorités de faire " un peu plus d'effort " pour que l'égalité advienne. Tout d'abord parce que l'inégalité étant historique, l'égalité n'est pas atteinte une fois pour toute [3]; mais aussi parce qu'une telle conception présuppose que l'accès à " la logique du marché " (P.145) est la même pour touste.

    [1] On le voit très bien avec Butler et _Trouble dans le genre_. Butler avait écrit son livre dans un contexte où le sujet trans n'avait pas été créer, et de nombreuses critiques du livre proviennent de cette position qu'iel n'a pas pu anticiper.

    [2] Et que, personnellement, j'attends toujours de voir (clin d'oeil aux gens qui disaient deja ça de Butler).

    [3] Imaginons que l'on arrive à l'égalité H-F demain, que les personnes TPGB soient reconnues correctement etc. Ca n'empêche pas de créer des exclusions non-prévues dans le futur.

    Avis

    Sans forcément parler de l'argumentation même et qu'en tout cas je partage à priori (même si j'aurais bien aimée une plus grande précision au sujet des processus discursifs dans la pratique), c'est avant tout sur la discussion de l'intersectionnalité même que je souhaiterais me pencher ici.

    La remarque que je voudrais formuler est la suivante. Contrairement à l'article de Kergoat qui cite vaguement l'intersectionnalité, et surtout pour en faire - de mon point de vue - un " ouin ouin, on a pas utiliser mon concept, je me fache toute rouge " - et ce qui lui permet soit-dit en passant de tirer binairement et définitivement un trait sur l'ensemble du concept - les autrices font ici et selon moi preuve d'un réel engagement avec la discipline visible au travers de la généalogie qu'elle en font et des discussions qu'elles entreprenent [4]. Contrairement à Kergoat qui semble se placer en arbitre du débat [5], et loin de réduire l'intersectionnalité au fait d'une seule personne, elles n'en formulent pas moins des critiques pertinentes et entre en réelle discussion avec le champ de recherche, en témoignent leur discussion - certes succinct - avec McCall et Klinger.

    [4] Rappel soit dit en passant que critique n'égal (pas forcement) radiation total.

    [5] Je pense que cela est visible, et comme j'ai pu l'évoquer dans mon avis, dans le fait que Kergoat ne s'interesse jamais aux personnes concrètes

     

    Sous le regarde de l'occident : recherche féministe et discours colonial - Chandra Talpade Mohanty

    Dans cet article, Mohanty s'interesse aux discours coloniaux qui se répendent dans le féminisme occidental, et plus précisement les catégories analytiques qui y sont très majoritairement employées. Elle critique cette construction binaire de " la femme occidentale vs la femme du tier-monde ", homogénéisation problématique voyant dans la première un sujet émancipée tandis que la seconde serait enchainée, entre autre, par son genre et sa religion. Refusant cet universalisme qui veut taire son nom, elle met en lumière trois principe qui le créer :

    - La croyance en un sujet femme commun

    - La "vérification" de cet universel dans lequel le "tiers-monde" est vu comme une simple data-pool, et le plaquage de concepts commun en conséquence (patriarcat etc.).

    -  Le modèle politique sous-jacent qui vient à créer cette conception binaire.

    Bien sûr, el ne s'agit pas pour Mohanty de critiquer unilateralement les travaux féministes occidentaux - quelque soit leur origine d'ailleurs - mais bien plutôt de mettre le doigt sur la tendance problématique à l'oeuvre. Car quand bien même le féminisme reste un champ d'étude minoritaire dans nombre des pays occidentaux, cela n'empêche pas qu'il participe aussi à cet hégémonie.

    La première critique de Mohanty consiste à mettre le doigt sur cette tendance problématique à l'uniformisation. Dans les cinq texte qu'elle étudie, el est frappant de voir comment le sujet discursif de " femmes " vient remplacer une analyse plus complexe, local et historique. Ainsi, plutôt que d'étudier les conditions spécifiques qui forment un certain groupes de femmes comme dominées, les femmes sont constituées dans ces textes comme d'un sujet a part entière et abstrait avant même leur étude spécifique. Ceci permet en conséquence de trouver des "exemples" de l'oppression commune des femmes et dès lors de "confirmer" la thèse binaire oppresseur/oppréssées aux dépends de relations existantes entre differentes catégories de femmes, ou même entre femmes et hommes. L'exemple de Huston (1979) est revelateur. Etudiant l'impact des politiques de développement (économiques) sur les femmes de divers pays, cette dernière les mets toute dans le même panier en postulant « que toute les femmes du tier-monde ont les même problèmes et les même besoins » (propos indirect de Mohanty), ce qui n'est évidemment pas le cas puisque « les femmes égyptiennes de la classe moyenne, ne partagent certainement pas les même interêts que leurs domestiques pauvres et illéttrées » (P.164).

    La deuxième critique de l'autrice peut être résumée dans le fait de confondre description et signification. Comme je l'ai dite plus haut, bien souvent, la théorie féministe occidentale fonctionne de la façon suivante : « le sud fonctionne surtout comme une gigantesque mine de données, alors que l'accumulation des données et la théorisation se concentre dans le nord global » (Repenser le genre, Connell, PBP, P.75). En ce sens, el n'est donc pas étonnant que c'est dans ce sud même que l'on cherche à "prouver", "universaliser" nos théories.

    Mohanty décrit trois argumentaires types de cette confusion, mais qui ont tous en point commun de plaquer une idée/un concept - et ainsi de l'universaliser - sans chercher plus loin. Ainsi évoque-t-elle par exemple le concept de division sexuel du travail. Dans de nombreux cas, ce concept bien qu'utile si utilisé en aval d'une analyse pertinente, est bien plutôt utilisé en amont et après avoir décrit un état de fait. Voyant par exemple que « les femmes sont concentrées dans les secteurs des services », les chercheuses vont faire le saut analytique d'en déduire sans critique une division sexuelle du travail sans pour autant s'interesser à la signification que cet chose revète. En conséquence, que cela soit une vision arithmétique indiquant que " plus y en a, plus c'est la preuve que " ou que cela soit le plaquage d'un concept analytique, voir même d'une méta-catégorie [1]; toutes sont la preuve d'un manque de reflexion critique.

    En dernière partie, Mohanty revient sur les conclusions d'un tel raisonnement. Car bien evidemment, créer un groupe homogène " des femmes " et les placer directement dans des structures toutes aussi homogène et abstraites que sont la religion ou la famille à des conséquences.

    C'est une chose que d'homogénéiser les femmes occidentales du point de vue occidental - et bien que cela ne soit analytiquement deja pas correcte - mais ça en est tout à fait une autre que d'appliquer ce raisonnement au monde entier en ce que cela créer une couche de colonialisation. Car outre le fait de créer tout un discours parentalisant sous couvert d'une fausse solidarité d'oppression commune et dans lequel ces femmes ne sont plus vues comme les sujets de leur propres histoires, la création de l'objet-femme comme exterieur à ces même structures de pouvoir - et non pas en relation / en opposition avec - implique par là-même une subordination nécessaire à ces dernières qui créer cette image de " la femme du tier-monde ". Ainsi, une femme placée dans la religion sera vue comme non-progressiste tandis que placée dans la famille, elle, sera vue comme traditionnaliste pour donner quelques exemples - la réunion de l'ensemble de ces caractéristiques amenant au cliché complet. Mais le mal ne s'arrête pas là puisque cette position d'objectivisation en vient par là-même à créer une fausse image de l'occident. Car si " la femme du tier-monde " c'est l'Autre, c'est alors que l'occident doit nécessairement se construire dans un rapport binaire et mutuellement exclusif à cette image et dans lequelle elle se voit elle-même comme libérée et libératrice.

    [1] Le genre est une méta-catégorie. C'est une catégorie qui en organise d'autre et les rassemblent.

    Avis

    Rien à dire sur cet article tant et si bien que je suis d'accord avec lui. Cependant, j'aimerais le mettre en relation - encore et toujours, lol - avec l'article de Kergoat. El est tout à fait intéressant·e de remarque que dans son article Mohanty réitère une des critiques de Kergoat, à savoir l'utilisation de catégories abstraites. Mohanty le dit très bien elle-même, le plaquage de méta-catégories telles que le genre n'est pas une bonne démarche méthodologique dans le contexte mondial, et donc on pourrait logiquement s'attendre à ce que cela ne soit pas non plus une bonne méthodologie dans un contexte plus restraint. Sur ceci, nous sommes d'accord. Cependant, et c'est là où je vais reprendre ma critique de Kergoat, attaquer l'intersectionnalité comme si elle était la seule à pouvoir courir ce risque me semble tout bonnement malhonnête, et surtout quand on sait que cette même materialité que Kergoat propose d'utiliser pour justement ancrer ses rapports sociaux dans le concret; cette même materialité est celle qui fait dire à Mohanty que « les nombreux auteurs de Zed Press qui utilisent les stratégies analytiques de base du Marxisme traditionnel, créent eux aussi implicitement une " unité " des femmes [...] Ici, à nouveau, les femmes sont constituées en un groupe cohérent [... basées sur] le travail salarié » (P.174).

    On me retorquera certes que l'article original à été créer en 84 et que Kergoat écrit 20 ans plus tards. Cependant, je souhaiterais tout d'abord faire remarquer à toutes fins utiles que Orientalism d'Edward Said à été écrit en 78, mais aussi que Mohanty à jugée utile de " revisiter " son article de 84 pour y ajouter de nouvelles versions de cet orientalisme en.... en 2003.

     

    Le défi des Critical Whitness Studies - Ina Kerner

    Dans la première partie de son article, Kerner s'interroge sur l'utilisation du terme de " blanchité " dans le cas d'études études critiques et ne voit pas la dénaturalisation des catégories - ici la race - comme suffisant. Car en effet, utiliser du terme de blanchité - vouloir racialiser le " blanc ", et à l'opposée de critiques plus diffuses comme le concept de " culture de la domination " - est selon elle problématique. Car quand bien même que l'on verrait cette catégorie comme d'une construction sociale que l'on aurait du mal à ne pas la re-naturaliser. En outre, réutiliser le terme de blanc juste en lui apposant des privilèges en plus serait encore et toujours reconduire les catégorisations raciales; à l'image de Frankenberg qui, bien que consciente du fait que la blanchité est une construction sociale, ne peut s'empêcher de faire « référence à la blanchité comme à une catégorie raciale, comme s'il n'y avait aucun doute de l'appartenance de telle ou telle personne à cette catégorie » (P.257). El est d'ailleurs aussi interessant·e de remarquer que nombres des conceptions de la blanchité comme d'une structure « de domination raciste, une situation de privilèges structurels, une forme d'experience, ainsi [que d'une] identité particulière [...] capable de changement » (P.260), une conception basée plus sur le pouvoir que sur la couleur de peau, utilise tout de même le terme de " blanchité " pour se décrire. Mais quel interet à cela ? Si le système ainsi désignée par " blanchité " ne se base pas sur une quelconque caractéristique corporelle, pourquoi reconduire une catégorie racialisante ? Kerner reconnait le cadre normatif qui est ici appliqué, c'est-à-dire que le terme « marque les Blancs ainsi que les conceptions de la blanchité développées par des communautés ou des groupes blancs dans le but de se réprésenter comme des personnes privilégiées » (P.261); mais ajoute dans le même temps qu'el est important·e de prendre en compte le contexte social. Car s'el est vrai que la catégorie de blanchité fait déjà plus sens aux états-unis puisqu'els ont un système racial bien plus ancré, cela ne devrait pas nous faire oublier qu'en Europe non seulement ce système est bien moins fort, mais qu'en outre, le racisme y est bien plus complexe, le seul terme de blanchité ne pouvant l'expliquer totalement. Des discriminations envers les personnes juives jusqu'à l'islamophobie en passant par les atrocités des Serbes à l'encontre des Bosniaques, ce sont pleins de phénomènes qui ne peuvent être expliqués par ce terme. L'islamophobie par exemple agirait selon des mécanismes culturels et en ce sens el serait contre-productifve de vouloir parler de blanchité dans ce contexte, et alors même qu'el existe déjà un terme plus large qu'est l'orientalisme. Ainsi Kerner plaide-t-elle pour une utilisation plus attentive du terme, lui préférant, et lorsque cela est possible, des termes plus " diffus ".

    La deuxième critique de Kerner s'interesse au concept de privilège blanc qui l'accompagne bien souvent. Citant une observation de Koppert lors d'une conférence à laquelle cette dernière a assistée, elle remarque la tendance des féministes blanches à s'excuser personnellement du racisme dès lors qu'une personne racisée fait mention du fait que le féminisme est encore une affaire de personnes blanches. Cette réaction de culpabilité, comme si nous étions personnellement responsable du racisme, nous dit-elle est symptomatique d'une vision érronée du racisme. Selon cette vision le privilège ne serait plus, et comme l'a deja évoqué·e Butler, quelque chose qui ne puisse être « ni retiré ni refusé, mais seulement redéployé » (Trouble dans le genre, La découverte, P.242) mais bien au contraire quelque chose dont on peut se débarasser avec assez de volonté et de reflexion. Autrement dit, el s'agit d'une conception qui confonds le racisme personel et structurel. Et quand bien même Kerner reconnait que participer à la reconnaissance de ces privilèges est un très bon point, elle ajoute que les criticals whiteness studies ne devraient pas s'attacher à cela comme d'un but final en ce que « [d]éconstruire le racisme implique de revoir au niveau sociétal les privilèges, les images [...], de remplacer un savoir basé sur le racisme par un savoir [qui en est] debarassé », et bien plus que seulement cela, de prendre en compte les dimensions structurelles du racisme « et leurs effets, comme par exemple les lois sur l'immigrations (choisie) et sur la nationalité » (P.264).

    Avis

    Bon article, je dis pas le contraire, mais je suis juste perturbée par la structure argumentative de Kerner en ce qui concerne la première partie. Je trouve l'argumentation peut claire. Je comprends ce qu'elle veut dire (ou ce que j'en comprends). Utiliser du terme de blanc de manière (non-)critique comporte toujours un risque de réutiliser ce terme comme d'un naturel et que de plus, ce terme n'est pas forcément très bien adapté au contexte européen. Cependant, elle introduit une concession (celle de la normativité) au beau milieu de son texte ce qui fait un retour en arrière assez étrange. Après avoir critiqué le concept pour le fait qu'il n'englobait pas l'ensemble des phénomènes visibles en europe, cela me donne l'impression qu'elle revient sur sa critique, comme si elle venait de se rappeler d'un contre-argument.