Dans cet ouvrage majeur publié en 1990 aux États-Unis, lea philosophe Judith Butler invite à penser le trouble qui perturbe le genre pour définir une politique féministe sans le fondement d'une identité stable. Ce livre désormais classique est au principe de la théorie et de la politique queer. Non pas solidifier la communauté d'une contre-culture, mais bousculer l'hétérosexualité obligatoire en la dénaturalisant. Il ne s'agit pas d'inversion, mais de subversion. Judith Butler localise les failles qui témoignent, à la marge, du dérèglement plus général de ce régime de pouvoir. En même temps, iel questionne les injonctions normatives qui constituent les sujets sexuels. Jamais nous ne parvenons à nous conformer tout à fait aux normes. Entre genre et sexualité, il y a toujours du jeu. Le pouvoir ne se contente pas de réprimer ; il ouvre en retour, dans ce jeu performatif, la possibilité d'inventer de nouvelles formations du sujet. Lea philosophe relit Foucault, Freud, Lacan et Lévi-Strauss, mais aussi Beauvoir, Irigaray, Kristeva et Wittig, afin de penser, avec et contre eux, sexe, genre et sexualité – nos désirs et nos plaisirs. Pour jeter le trouble dans la pensée, Judith Butler donne à voir le trouble qui est déjà dans nos vies.
Auteurice.s:
Judith Butler
Commentaire
Chapitre 1 - Sujet de Sexe/Genre/Désir
Dans ce premier chapitre, Butler va discuter d'un concept majeur : le sujet. Commençant par son utilisation en théorie politique/féminisme el va s'agir pour Butler de continuer sur les traces des féminismes " des marges " et pour enfoncer le clou qui vient briser l'universalisme. Non seulement est-el impossible de concevoir le féminisme comme la réaction a une oppression ou a une structure universelle et unique, mais en outre la femme n'est-elle pas une donnée naturelle et sur laquelle la politique puisse se fonder de façon non-problématique. Montrant que le sujet politique - un sujet collectif donc - est en ce sens fracturé, iel va ensuite continuer en discutant du sujet individuel, le sujet philosophique. Ce sujet qui provient d'une conception humaniste ne ressort pas non plus indemne de l'étude Butlerienne. Arguant contre la possibilité que le sujet puisse se fonder au-delà de la culture, Butler va ainsi pouvoir étudier l'importance des normes dans sa création. Le genre étant ici compris comme de cette structure qui en vient à créer le sexe, il en va alors que l'identité de genre n'est en rien une essence pré-sociétal. Tout au contraire, il n'est que répetition incessante.
Les « femmes » en tant que sujet du féminisme
Qu'est-ce que la représentation ? C'est par cette question implicite et en apparence simpliste que commence Trouble dans le genre. Habituellement, la representation est comprise comme l'acte au travers duquel une certaine population - un " sujet " - en vient à exprimer certaines revendications. Le féminisme n'en étant pas exempt, ainsi les femmes étaient-elles le sujet du féminisme jusque dans les années 90. Cependant, el convient de remarquer un tout autre sens du terme representation : La representation est aussi un outil du langage agissant de manière restrictive, comme ce qui créer des frontières. En effet, le langage étant considéré ici de manière neutre et comme étant ce qui décrit, révèle ce qu'est une femme, il est ainsi aussi ce qui permet de tracer des frontières entre les catégories de genre. Dans une telle conception, le langage met donc en lumière un sujet aculturel que le cadre representatif utilise pour normer ce qu'est une femme. Or, une telle conception est problématique. Que cela soit au travers du féminisme lesbien ou, plus recemment, du féminisme trans, on observe que le terme de femme est variable, intersectionnel et surtout, excluant. Dans ce contexte, nous pourrions donc nous dire qu'el " suffrait " d'élargir la représentation pour être sauvé·e. Mais, à en croire Butler, la chose n'est pas aussi aisée. Utilisant Foucault et sa notion de production juridique du sujet - on pourra penser au fait que l'appareil pénal créer les criminels qu'il cherche à débusquer - el s'agit dès lors pour Butler de dire que la réalité est autre. Le sujet n'est pas la base de la representation, et il n'est pas non plus que contraint, réprimé. C'est au contraire la representation qui est la base du sujet et qui le créer [1]. Autrement dit, en lieu et place de l'implication Sujet => Representation, nous avons maintenant l'implication suivante : Ensemble des groupes de personnes possible => Representation => Sujet admis comme tel. La representation agit comme d'un filtrage dont ne sortent indemne que les groupes deja constitués en tant que sujet. Or, cette première reflexion déplace le thème de la discussion. Car si la representation, la politique, ou encore le langage et le juridique en viennent à créer le sujet qu'els sont elleux-même censé·es soutenir - c'est-à-dire si els ne sont plus considérés comme de simples outils neutre de description - et si l'idée même d'un " sujet avant la loi " est lui-même une illusion créer par cette même loi pour se légitimer (que l'on pense au mythe de nature de Rousseau); alors avons-nous un gros problème.
J'ai évoquée plus haut le fait que la representation avait une fonction normative et qu'en ce sens elle était excluante. Mais dès lors que le sujet est aussi produit que toute pratique de nommage en vient-elle alors à être fondamentalement, intrinsèquement excluante - une conséquence qui « a defaut d'être [voulue], n'en [est] pas moins le résultat » (P.65) et cassant ainsi définitivement toute prétention a l'universalité. Non seulement cela, mais une telle construction assène-t-elle un coup fatale a celles cherchant à utiliser la representation comme d'un outil d'émancipation. En effet, comment seulement « [s]uggérer que le féminisme [soit] en mesure d'élargir la representation d'un sujet qu'il construit lui-même » (P.64). Comment seulement croire qu'un système biaisé dès le départ, un système qui en vient à créer les identités même que l'on croyait en dehors de ce système, puisse être utilisé pour sortir de ce dit système ? Mais cela n'est pas à dire non plus que l'on puisse se débarasser totalement de la representation. Parce qu'elle est le champs comptemporain du pouvoir, nous ne saurions nous en passer; ni même évoquée une position qui puisse y être exterieure [2]. Actant qu'el n'y a donc pas de position de critique qui puisse être en dehors du système de pouvoir que l'on veut changer, ni même que l'on puisse totalement abandonner la representation; Butler plaide dès lors pour un renouveau de la politique qui puisse prendre en compte cette nouvelle dimension, une nouvelle politique de representation qui ne soit plus fondé sur des bases identitaires.
Et ici, à ce stade de la reflexion, j'aimerais prendre un peu d'avance sur la suite du livre et faire la distinction entre deux types de sujets. Le sujet que Butler à traité·e jusqu'à maintenant est le sujet politique. C'est-à-dire, l'idée que l'on se fait d'un groupe de personnes. Or, ce type de sujet est différent (même si lié) d'un autre type de sujet, le sujet métaphysique et recoupant davantage l'idée de l'identité personnelle que l'on connait. Pourquoi faire une telle distinction ? Je pense qu'une telle distinction est importante car elle nous permet de ne pas tomber (pour le moment en tout cas) dans la contre-critique simpliste et voulant que Butler réduise tout au langage. Nous verrons plus loin l'argumentaire de Butler a propos du sujet métaphysique, mais d'ors et deja pouvons-nous dire, qu'en ce qui concerne le sujet politique, el n'est à priori pas contestable que ce dernier soit construit au travers du langage. Sans même parler d'attributs physique, les réductions que j'ai évoquée en sont la preuve : la femme est politiquement une construction sociale.
Ceci dit, le genre ne peut dès lors plus être considéré seulement comme une structure surplombante, objective et anhistorique. Continuant ici les reflexions de Moanthy, de bell hooks, ou encore de Wittig [3] el ne s'agit donc plus pour Butler de considérer le genre comme émanant d'une structure universelle telle que le patriarcat - une structure qui s'exprimerait dès lors de la même manière partout - ni même de considérer comme viable son corrolaire, le terme " femme " comme universel. Bref, el s'agit d'un coup fatal asséné au structuralisme. Mais ne pouvons nous pas aller encore plus loin ? Car si l'on considère ainsi que le sujet de femme ne saurait être totalement stable, que dire alors des pratiques qui, au contraire, consolident ce même genre ? [4] Et n'est-ce pas là la fonction principale de la matrice hétérosexuelle - ce cadre d'instiutionalisation de la binarité de genre - que de le faire ?
L'ordre obligatoire du Sexe/Genre/Désir
" Les femmes " ne semble donc plus être un signifiant qui puisse être aussi stable qu'avant. Mais la critique ne s'arrête pas là. Car outre sous l'angle de la représentation - un angle plus " collectif " - peut-on aussi détruire la catégorie femme du point de vue individuel.
En 1949, Simon de Beauvoir disait que l'on ne nait pas femme, on le devient. Or, cette phrase, à elle seule, peut être prise comme responsable de l'affaissement de la catégorie femme. Car si l'on devient femme, c'est alors que le sexe ne saurait être responsable de notre genre et que donc nous devrions abandonner les anciennes fables que sont " Tout Sexe " ou encore " (2) Sexe => (2) Genre ", des énoncés qui continuent de voir le sexe, si ce n'est comme le tout du genre, tout du moins comme étant sa limite. Une version charitable d'un tel énoncé indiquerait donc qu'à un sexe nous pourrions assigner plusieurs genres différents; que le genre serait l'interprétation plurielle et culturelle des sexes. Une affirmation un peu plus forte quant à elle, irait jusqu'à considérer la séparation radicale entre sexe et genre, et affirmant par la même - et à titre d'exemple - qu'un homme ne traduirait pas forcement un corps masculin [5]. Mais pouvons-nous aller encore plus loin ? Jusqu'à présent, la discussion s'est bornée à penser le sexe en des termes naturalistes. Le sexe, c'est cette donnée biologique indépassable. Mais, et si cela n'était pas le cas ? Reprenons la reflexion de Foucault énoncé par Butler dans la section 1. Le sujet politique n'est pas que réprimé, il est aussi produit par les structures même qui le represente. En appliquant cela au cas du sexe, pourrions-nous peut-être énoncer que le sexe est aussi une donnée construite, produite. Considérer cela voudrait dès lors dire que le sexe ne serait plus une donnée pré-discursive, pré-societale; le sexe n'étant plus à la nature ce que le genre est à la culture. Une telle reflexion est très puissante. Car non seulement rend-t-elle obsolète l'idée que le genre serait l'interprétation culturelle du sexe; en outre créer-t-elle une nouvelle définition du genre : Le genre comme appareil de production et de réification discursif/culturel [6] des sexes eux-même et d'effacement de cette constructivité dans un domaine pré-discursif indiscutable.
Le genre : les " ruines circulaires " du débat actuel
Quel est donc notre relation au genre, et comment est-il construit ? Décalant progressivement son attention de la question de la representation à celle de la philosophie, Butler commence cette section par une reflexion sur le libre-arbitre. Opposant des théories en toute vraisemblance volontariste (et où le genre serait le " choix " d'un cogito) à des théories plus déterministes; Butler oppose l'existentialisme de de Beauvoir à d'autres théories plus repressive et pour lesquelles, biologie comme culture agissent de manière inéxorable et unique [7]. Or, l'analyse de de Beauvoir à une conséquence innatendue. Précedant quelque peu les analyses trans en ce sens, Butler affirme que rien dans la théorie de de Beauvoir ne permet d'énoncer qu'une femme est forcement de sexe feminin, les deux étant séparés. Adossé à l'idée du corps comme d'une situation - que l'on ne peut pas " recourir à un corps sans l'interpréter " (P.71) - cela permet ainsi à Butler de trouver une porte de sortie dans le débat libre arbitre / determinisme. Que la construction soit considérée comme un choix ou non, tout concept de " construction " même en vient en effet inévitablement par retomber dans un mode de pensée humaniste - présupposant l'existence d'un " quelque chose " de la personne qui puisse être pré-sociétal - et au travers duquel le corps en vient à devenir un simple element passif. Un cadre linguistique qui donc, loin de pousser l'analyse, ne fait que limiter les possibilités de penser le corps. A l'opposé, el s'agira donc pour Butler de penser non seulement un corps construit, mais un corps/genre qui puisse l'être sans intervention humaine. Et alors qu'une analyse existentialiste ne saurait être le départ d'une critique de la " métaphysique de la substance ", de cette conception humaniste du genre et dans laquelle un " noyau " agenré prendrait des attributs de genre, une analyse antropologique ou encore du type de celle d'Irigaray pourrait bien être ce qu'el nous faut. Les analyses antropologiques, en prenant pour point de départ le genre comme d'un rapport, cassent l'idée qu'el y aurait une personne avant son genre. Irigaray quant à elle, va plus loin. A l'opposé total de de Beauvoir pour qui le féminin est l'Autre du masculin et lequel est associé à l'universel que les femme doivent atteindre - une conception éminement liberal si el en est - Irigaray soutiens au contraire que le feminin même est ce qui est exclut de la binarité Sujet-Autre [8], le phallogocentrisme (l'équivalent du patriarcat dans ce système) representant faussement (et en des termes masculinistes) les femmes. Dans sa conception, et à l'opposé de l'antropologie qui considère le genre comme d'un point de convergence culturelle, cette dernière pense que le sexe féminin est un point d'absence. Une vision qui est à ce propos consolidée par l'analyse de de Beavoir même. En soutenant que les femmes sont " le corps " tandis que les hommes sont " l'esprit ", cette dernière se re-inscrit dans un dualisme corps/esprit. Un dualisme instauré par ce phallogocentrisme même, et si souvent critiqué par les feministes elles-même pour sa propension à être lié à la binarité femme/homme passif/actif. Ces deux positions sont très différentes - et se demandant si c'est de sexe ou de genre dont el faille parler. El n'empêche qu'elles laissent entrevoir une circularité problématique. Ces deux positions peuvent en effet être vues comme deux parties d'un même tout bien souvent présent dans l'analyse féministe [9] : une tautologie ou le genre cause le genre.
Théoriser le binaire, l'unitaire et au-delà
De Beauvoir et Irigaray ont des positions différentes, on l'a vu·e. Cependant, de Beauvoir n'est pas la seule à être critiquée par Butler. Car quand bien même Irigaray arrive-t-elle à formuler une critique de la binarité Sujet/Autre que la portée totalisante de sa formulation est aussi ce qui en fait le défaut. En effet, et comme évoqué·e plus haut dans la section 1, effectuer un geste totalisant n'est pas seulement que s'embourber dans un mouvement imperialiste en supposant une structure universelle et dont " l'Orient " serait l'exemple typique, c'est aussi « imiter [...] la stratégie de l'oppresseur » (P.79) et ainsi ré-introduire le geste phallogocentrique même que l'on voulait au contraire éviter. Or, ré-introduire le geste phallogocentrique sous prétexte de critique de la masculinité est bien souvent introduire une autre oppression, et qu'elle soit de classe, de race ou de tout autre axe de subordination. De plus, ce que cette reflexion permet est une reflexion annexe sur la séparation des oppressions. Car supposer de la sorte que le genre est totalement distinct de l'orientation sexuelle ou du handicap n'est pas une meilleure façon de le voir que de supposer verticalement que toute les oppressions derivent d'une oppression primaire; un geste excluant qui re-instaure la binarité Sujet/Autre que l'on voulait au départ mettre à mal.
Une stratégie politique se basant sur une epistémologie commune n'est donc pas une stratégie viable, et comme nous l'avons vu en section 1. Une stratégie autre, une stratégie de différence; bref, une stratégie de coalition pourrait-elle au contraire faire l'affaire ? Une telle stratégie anti-fondationnaliste aurait justement l'avantage de ne pas avoir à se baser sur une unité commune et exculante, permettant ainsi la création d'unité provisoire et dont les labels ne sont dès lors plus contraint par une identité pré-existente. Cependant, une telle stratégie mérite quelque avertissements, et non des moindres. Dans un premier temps, et peut-être l'avertissement le plus important, une telle stratégie de coalition ne doit en aucun cas chercher l'unité comme fondement de sa politique et doit toujours faire attention à ne pas être co-optée. Non seulement la recherche d'unité, de solidarité est au contraire ce qui à tendance à créer l'exclusion et la fragmentation, mais en plus le processus de création de la dite coalition est-il un chemin perilleux, sans fin, et au cours duquel n'importe qui peut « s'ériger à nouveau en autorité supreme en tentant de donner à l'avance la forme idéale que devrait prendre les structures de coalition, pour en assurer l'unité » (P.81) [10]. Mais, en outre - et de façon plus subtile - doit-on aussi faire attention au mode de dialogue. Interroger ce que " dialogue " et " accord " veulent dire nous permettent en effet de ne pas retomber dans une modalité liberale et croyant que tout les sujets ont une position égale et neutre entre elleux.
Identité, sexe et métaphysique de la substance
De tout temps, dans le langage courant comme dans la tradition philosophique, a-t-on considéré·e le genre de manière humaniste. Comme vu précedemment, el existerait d'abord une personne agenrée et capable de raison et ensuite un genre que cette personne pourrait prendre, de façon plus ou moins volontaire. Ce n'est cependant pas l'avis de Butler, et pour qui une personne n'est pas dissociable de son genre. Dit autrement, une personne est instituée et rendue intelligible en tant que personne dans la mesure où cette dernière à une identité de genre. Non seulement cela, mais en outre faille-t-el que cette identité soit reconnue comme telle au sein d'un cadre d'intelligibilité qui régule, ordonne et rend cohérent les identités disponibles. Ce cadre d'intelligibilité dont parle Butler, iel l'appelle la « matrice hétérosexuelle ». Reprenant par là la formulation de Wittig dans le cadre de l'orientation sexuelle, Butler l'étends pour nommer l'ensemble des pratiques de régulation de l'identité genrée. La matrice hétérosexuelle est le dispositif par lequel est instauré le genre (comme concept et unité) en créant et en mettant en ordre de façon causale divers autres concepts dissonants que sont le sexe, le genre (comme psychologie) et le désir. De cette façon, instaure-t-elle des normes sur ce qu'est un genre veritable, un genre intelligible, et créer-t-elle l'hétérosexualité au travers de la binarité du sexe et des termes qui en découle de manière causale. Appliquant par là même sa critique totalisante d'Irigaray, l'hétérosexualité n'est donc plus la cause première et unique de l'oppression de genre et comme le concevait Wittig, mais comme provenant elle-même de multiples discours et pratiques visant à réguler et créer l'idée d'une substance de l'identité.
Une telle matrice se basant donc sur le sexe pour développer son " argumentaire ", c'est donc ce concept qu'el faille critiquer en priorité. Ici, Butler se base sur trois auteur·ices pour critiquer ce qu'iel appelle, et à la suite de Haar, la métaphysique de la substance : l'idée qu'el exiserait une substance quelconque representant la personne et de façon pré-sociétal. Car quelque soit les points de divergences qu'el existe entre une conceptions des sexes au travers d'un système diffus (Foucault), du sexe masculin comme instaurant une illusion de double (Irigaray) ou encore le fait, inverse, de ne considérer que le sexe féminin comme existant (Wittig) - trois conceptions différente de la manière dont le sexe est produit - que les trois tombent d'accord sur l'idée que cette production amène à une illusion de substance. Dans le langage courant censé representer un être premier et ses attributs (une ontologie) au travers de la structure sujet-adjectif, le sexe comme adjectif est créé comme ce qui sert soit à reproduire l'hétérosexualité obligatoire (Wittig), à créer une certaine cohérence (Foucault) ou encore à masquer l'omniprésence hégémonique et total du masculin (Irigaray). Or, une telle métaphysique est trompeuse car elle laisse penser que le langage est une description adéquate de la réalité; quelque chose que Nietzsche avait lui-même deja critiquer par le passé. Mais le sexe n'est pas le seul concept qui revienne ammoché d'une telle reflexion et l'identité de genre comme conséquence du sexe en prend-t-elle aussi pour son grade. En effet, et jusqu'à maintenant, l'identité était considérée comme ce qui émergait de traits anatomiques. « Tu es un homme car tu as un pénis » disait le docteur. L'identité était ce qui subsumait les traits « heureux, mais accidentels ». Mais à partir du moment où l'on considère que l'unité de l'identité ne va plus de soi, à partir du moment où l'on abandonne l'idée que l'on puisse exister en dehors du langage; en bref, à partir du moment où « l'idée d'une substance durable est une construction fictive produite par la mise en ordre obligatoire des attributs en séquence de genre cohérents » (P.95); que la viabilité de ce que l'on appelle homme et femme en vient à prendre un sacré coup. Le sexe n'étant plus considéré comme une substance cohérente - et qu'importe le nombre de traits qu'il rassemble - et l'identité n'étant plus fixe, aucun lien ne peut dès lors être tracé entre l'un et l'autre.
Et si dans une telle conception, le genre ne serait être un nom ni même un assemblage d'attribut et puisque l'unité et la naturalité de ce concept ont été critiqué, c'est donc qu'il est au contraire créer au travers de pratiques diverses : il est performatif. Le genre n'est qu'un acte, n'est pas séparé de son expression, et en vient à créer cette même identité sur laquelle il est censé se baser. Et ici, je souhaiterais faire un apparté sur ce que performatif signifie. Reprenant mon résumé de Touching feelings, nous pourrions dire qu'
“ Une phrase est dite performative lorsque cette dernière fait advenir la réalité qu'elle énonce. Loin d'une vision positiviste du langage et dans laquelle ce dernier ne fait que décrire la réalité, J.L Austin énonce qu'au contraire certaines phrases ont un pouvoir de créer. Des phrases telles que " cette réunion est ajournée " ou encore " je te mets au défi de XXX " sont performatives. Elles en viennent à créer l'effet décrit. Dans sa thèse originelle - et avant que le performatif soit étendu à l'ensemble du langage - Austin est caractérisé par Sedgwick comme faisant preuve d'un « moment grammatical ». Et pour cause, pour ce Austin-ci, seulement quelques énoncés sont performatif; ceux de la forme sujet-verbe-complément. Pour le Austin de how to do things with words, ce ne sont que les phrases du type " je suis une femme " ou " je t'interdis de "; des phrases à la première personne - qui ont un pouvoir performatif. ”
Et j'insiste sur ce point en ce que la théorie de la performativité de Butler rejette la notion de volontariat. Pas qu'il n'y ait aucune marge de manoeuvre - on a vu dans la section « Le genre : les " ruines circulaires " du débat actuel » que Butler cherchait à rejetter la binarité libre arbitre / determinisme - mais que le genre ne serait être une pure performance (le vocabulaire est à blamé pour la similaritude entre les termes) [11], quelque chose que l'on pourrait changer à souhait. Et c'est ici que l'on voit l'importance des normes pour Butler. Loin d'une conception du genre totalisante, l'introduction des normes permets à l'auteurice de fragmenter et de complexifier l'oppression et la construction du genre. Et plus que cela, une telle vision est foncièrement anti-abolitionniste. Créer un interieur au travers de la norme et un exterieur se construit forcément en opposition à ce dernier. Si les genres intelligibles sont ceux respectant une certaine cohérence, alors ces mêmes lignes de cohérences sont-elles hantées par l'incohérence implicite qu'elles créer. J'ai précedemment évoquée que Wittig concevait le sexe comme d'une fausse substance. Or, voyant le sexe comme d'un attribut de la personne dont el faudrait se libérer, Butler reproche a Wittig de ré-instaurer par là même la métaphysique de la substance qu'elle critiquait. En cherchant à s'échapper du genre pour rejoindre une universalité non-genré, effectue-t-elle le même mouvement qui la ramène dans un système de genre et de production des catégories de sexe [12]. Pour Butler, la mise en cause de la matrice hétérosexuelle - et pour prendre un peu d'avance encore une fois - ne peut donc qu'être effectuer qu'au travers de « la prolifération de telles identités [... rendant] possible, dans les termes même de cette matrice [...] des matrices concurrentes et subversives » (P.85). On ne peut remplacer une matrice que par une autre, et sinon faute de quoi, l'absence de matrice alternative ne fait que ré-instaurer une matrice de façon involontaire.
Langage, pouvoir et stratégies de destabilisation
Cette dernière section est l'ocasion pour Butler de revenir sur le débat entre féministes materialistes et psychanalystes (majoritairement) et les opposant quand à la question de savoir si el est possible de sortir du pouvoir et de sorte à recouvrer une " sexualité pure ". Sans surprise, les feministes materialistes pensent que cela possible au travers d'une abolition des institutions oppressives. Le langage, par exemple, serait considéré par Wittig comme d'une sorte de superstructure maintenu volontairement et capable d'être changée. De l'autre côté du spectre, les féministes psychanalystes pensent au contraire qu'el n'est pas possible de sortir du genre/de la sexualité tant et si bien que ces dernians sont instauré·es par des prohibitions fondamentales et qu'en ce sens, sexualité et pouvoir sont liés. Des prohibitions qui sont certes vouées à échouées et qui n'agissent pas de la même manière partout; mais des lois fondamentales tout de même. Butler critique donc Wittig sous cet angle, et en insistant que la force avec laquelle Wittig cherche à sortir du système hétérosexuel est aussi ce qui en fait sa faiblesse. J'évoquais dans la section précedente que Butler conçoit le defaut de Wittig, et en ce qui concerne le sexe, comme de sa volonté de s'en défaire totalement. C'est donc la même critique qu'elle évoque ici en ce qui concerne la sexualité. En effet, Butler analyse la position de Wittig dans le corps lesbien comme de la representation d'une sexualité post-génitale. Une sexualité qui serait donc - et à première vue - aux antipodes d'un développement sexuel à la Freud pour qui la génitalité est le stade ultime de développement. Butler trouve cependant que les deux positions se ressemblent. Non seulement seraient-elles toute deux des théories du développement et dans lequelles ce qui est à la fin est le meilleur, mais en plus une telle théorisation ne ferait elle que re-créer une hégémonie. En effet, Butler analyse la position de Wittig comme étant une simple " inversion " de la théorie de Freud qu'elle rejette pourtant. En postulant un stade de développement sexuel au-delà de la génitalité, cette dernière ne fait en réalité qu'instaurer une autre norme de développement et reste ainsi coincée dans la même binarité dont elle cherchait à s'extraire. Mais la critique psychanaliste n'est pas la seule critique que Butler fait à Wittig sur ce sujet. Car outre de considérer que l'avant et l'après de la loi n'est qu'une tactique discursive qui ne peut en réalité qu'exister en référence même à la loi qu'elle cherche à dépasser, Butler mobilise aussi à son compte les critiques d'auteurices plus " neutres " (du point de vue psychanaliste j'entends) et considérant qu'une telle sortie est impossible. Par exemple, est citée l'article de Amber Hollibaugh et Cherrie Morgana, What we're rollin' around in bed with : sexual silences in feminism, et pour qui, une telle théorisation de la sexualité comme " transcendentale " et neutre à échouée, supposant une homosexualité en dehors du système hétérosexuelle [13] et assignant le lesbianisme comme la pratique du féminisme.
Nous voyons donc que, quelque soit le point de vue utilisé, y est critiqué l'idée d'une sexualité completement séparé du système plus large dans lequel elle se deploie; une théorisation qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler le concept de " spécifiquement féminin ". On pourrait donc continuer dans ce sens - et comme à tenté de le théoriser Foucault - en disant que la sexualité n'est pas seulement reprimée, elle est aussi produite. Mais indiquer cela, c'est aussi admettre - et un fait qui se verifie assez bien pour qui veut regarder - que la production ne se refasse pas forcement à l'identique. Loin de considérer la production de la sexualité comme étant une simple copie conforme - une vision qui ne ferait que rétablir un determinisme des plus crues - el s'agit donc pour Butler de considérer l'homosexualité comme copiant l'hétérosexualité, elle-même copie d'un idéal normatif. Mais expliquer le genre comme une repetition ne sert pas un but de dépassement de ce dernier. Non seulement car Butler ne veut pas retourner dans une métaphysique de la substance, mais aussi en ce que la repetition étant ce qui créer les identités genrées aux travers de normes, el est tout simplement impossible de s'en passer; la question étant donc plus de savoir comment les destabiliser. A la manière de l'analogie de Spinoza, la question n'est pas tant de savoir si la boule tombe ou non, mais plutôt de comment elle tombe, de comment orienter sa chute. Dans une demarche qui cherche donc à continuer la méthodologie Marixenne de dévoilement du sens commun, le but de Butler n'est pas de fustiger le genre comme étant faux en tant que construction - une démarche qui ne ferait que créer un binarisme réel/faux supplémentaire - mais bien plutôt de chercher à comprendre comment avons-nous pu croire à cette binarité, comment nous est-elle apparue plausible. El s'agit d'une technique qui, en dernier lieu, cherche à mettre au jour que la fausseté - en définitive toute fausseté, et pas seulement l'hétérosexuelle - arrive à se faire passer pour réelle au travers de pratiques performatives qui la naturalise [14].
Chapitre 2 - Prohibition, psychanalyse et production de la matrice hétérosexuelle
Lorsque Butler ecrivit son livre dans les années 90', les USA avait en vogue un mouvement particulier. Appellé " French Feminism ", el s'agissait d'un corpus de texte comprenant des auteurices aussi varié·es que Foucault, Kristeva ou encore Lacan. Cependant, un point peut être mis en avant; un point que Butler a tout particulièrement remarqué·e : nombreuses de ses théories sont empreinte d'une forte présomption d'hétérosexualité. Dans ce second chapitre, el va donc s'agir pour Butler de s'interesser avant tout aux théories psychanalytique et/ou structuraliste de son époque, et pour les critiquer en ce sens. Levi-Strauss, Lacan, Freud ou encore Rivière ne sont que quelques exemples de ce que Wittig à appelée " la pensée straight ", une pensée qui se fonde en universel - et implicitement en hétérosexuelle - et de par sa manière de rejeter l'homosexualité qui fonde sa propre legitimité. Renversant les termes, Butler montre ainsi comment cette entreprise d'incorporation est tout autant productive que performative; une conception du genre que Butler developpera davantage dans le chapitre suivant.
Introduction
Dans cette introduction, Butler tourne son attention vers un autre débat : le débat nature/culture ou la question de savoir ce qui relève du pré-sociétal ou non.
La tradition féministe a longtemps cherchée à trouver un " avant " pré-sociétal. En effet, extraire un quelque chose qui ne dépende pas de la société impliquerait alors qu'el y eut un passage de la nature à la culture et qu'ainsi, une culture misogyne ne serait ni inévitable, ni naturel. A titre d'exemple, nombre de féministes ont reprises la théorie antropologique structurale de Levis-Strauss ou les théories Marxistes d'Engels pour etayer une telle thèse. Mais une telle vision à plusieurs problèmes. Dans un premier temps, chercher un temps pré-patriarcal peut en elle-même devenir une démarche patriarcale en ce qu'une telle stratégie qui cherchait à mettre en lumière la consolidation opéré par ce dernier peut elle même operer sa propre réification. De part un universalisme et un colonialisme que Butler à déjà pu amplement évoquer dans le chapitre précedent, le concept de patriarcat implicitement performé par une analyse pré-patriarcal peut devenir problématique. Ensuite, faire reference à un temps pré-patriarcal, un golden age of sorts - et surtout quand cette vision est idéalisée ou bien utilisée pour faire reference à un féminin sacré (ou similaire) - est une technique qui n'est pas fondamentalement feministe [15]. En effet, une analyse qui invoque un avant ou un après la loi est encore et toujours en reference à cette même loi et sert plus souvent qu'à son habitude les motivations de cette dernière. C'est en effet cette même loi qui utilise un tel passé (par exemple) pour s'auto-justifier, et tel que nous l'avons vu dans le chapitre 1. Enfin, une telle conception enterine une analyse binaire et dans laquelle est conservée le binarisme nature/culture; une binarité critiquée pour sa propension à ré-instaurer - avec le couple corps/esprit - une distinction et une hiérarchie entre femme et homme, le second étant vu comme dominant le premier terme. Ainsi, une vision qui ne verrait que du genre, qui ne ferait plus la distinction problématique entre la nature et la culture serait à même de nous sortir de l'impasse. Or, pour qu'une telle stratégie soit efficace, encore faille-t-el ne pas tomber dans le même ecueil, celui consistant à voir le genre comme universel. C'est donc dans ce contexte que Butler va, dans le chapitre qui va suivre, s'interesser au status de cette loi dont iel parle depuis le début.
L'échange critique du structuralisme
Qu'est-ce que le structuralisme ? Le structuralisme, c'est ce mode de pensée que Butler qualifie comme « suppos[ant] et contest[ant] la totalité et la clôture du langage » (P.120), un système qui - et tel que j'ai pu l'énoncer dans mon résumé de Touching feelings – fait
“ intervenir l'idée d'une certaine structure. Adossé à l'idée que cette structure est schématisable par le langage et que des elements y existent en son sein au travers de leurs interrelations, la culture humaine y est alors comprise comme étant expliquée et integrée dans cette structure englobante; une idée qui se retrouve par exemple chez Lacan pour qui l'Inconscient structuré comme le langage ou encore chez Saussure pour qui le langage est un système de relations [binaires]. ”
Ce structuralisme est d'importance à Butler au travers de la notion la plus importante du livre selon moi : l'idée de loi. Jusqu'à présent, lorsque Butler parle de loi, iel est resté·e plutôt vague sur la forme que cette dernière pourrait prendre. Nous savons qu'el n'y a pas d'avant ni d'après cette loi, et que cette dernière, loin d'être totalement repressive, cachant en nous une profonde nature, serait aussi productive et créant tout ou partie de cette même " essence ". Mais qu'elle est-elle ? « elle » ? Une telle loi peut-elle vraiment s'expliquer au singulier ? Et n'est-ce pas là au contraire un mode de pensée structuraliste que de penser ainsi ? Pour répondre à ces questions, Butler va se tourner vers Levi-Strauss et son système de parenté ensuite repris par Lacan. Pour comprendre la suite, el nous faut donc comprendre ces deux systèmes.
Levi-Strauss s'interesse à ce qu'il nomme les structures élémentaires de la parentés, c'est-à-dire les structures régissant la création de ces liens et basées sur le tabou de l'inceste et l'échange des femmes. Il différencie en ce sens les structures élémentaires et où l'échange se fait avec un groupe determiné (un autre clan, lignée etc.), des stuctures complexes où les groupes y sont vagues et non-définis (wikipédia). Pour Levi-Strauss, l'échange des femmes remplis deux buts distincts. Il est non seulement fonctionnel en ce qu'il permet de faciliter les échanges commerciaux, mais il est aussi symbolique puisque c'est lui qui créer performativement l'identité masculine à partir d'une structure commune : la filliation patrilinéaire. En effet, ne pouvant fonctionner de façon endogame à cause d'un tabou de l'inceste, les différents groupes se différencient ainsi entre eux et en eux-même, mais aussi se lient au travers de cet échange. L'échange sépare les clans comme des groupes différents échangeant les femmes, mais les lient ensemble en ce que ce faisant, ils partagent dès lors une même identité patrilinéaire. Une structure dont les femmes sont donc pourtant exclues puisque, sans identités, elles n'y agissent que comme porteuse du nom, du patronyme et de sa reproduction.
Lacan, quant à lui, reprends cette idée de la prohibition de l'inceste et de l'exogamie. Pour ce dernier, ces schémas sont cependant avant tout à comprendre en terme de langage et dont l'ensemble des relations forment ce qu'il nomme le Symbolique [16]. Reprenant la tradition structuraliste de Saussure en ce sens, Lacan fait la distinction entre signe, signifiant et signifié. Un signe est une representation et est composé selon Saussure de deux parties : le signifiant et le signifié. Le signifiant corresponds à la forme mentale que prends le signe (son aspect observable) tandis que le signifié est ce à quoi le signe se refère. Prenons une pièce d'echec, le cavalier. Le cavalier est le signe du principe du mouvement en L de la pièce (le signifié) au travers de la forme de la pièce (le signifiant). Un tel exemple n'a pas été choisi au hasard et nous permet de réaliser est que le signifié n'a pas forcement de réalité physique. Cependant, Lacan dévie de Saussure en ce que, pour Lacan, l'opposition est à réaliser entre le signe et le signifiant, et non entre signifiant et signifié, ce dernier n'étant qu'un effet langagier du signifiant [17]. Dans ce système, la jouissance première née de la satisfaction du désir de la mère est refoulée par le tabou de l'inceste et est remplacée par le signe de cette dernière, mais dont le signifiant est lui-même rendue inaccessible de la même façon. Dès lors, le langage n'est qu'une façon d'essayer de trouver les mots permettant de trouver ce signifiant, permettant de retrouver le sens de ce signe mysterieux. Mais cette entreprise ratant sans cesse, le langage conçu de cette manière n'est donc que déplacements sans fins et insatisfaisant du désir devant se contenter de substituts langagiers à cette jouissance originelle.
Butler nous indique cependant que la conception de Levi-Strauss à des défauts majeurs. Selon l'auteurice, une telle conception totalisante exclut pour mieux fonctionner et se justifier et comme cela à été indiqué dans le chapitre 1. Reprenant en cela son idée que la norme créer son exterieur, iel se propose donc d'élucier quel est donc cet exterieur que Levi-Strauss dénie implicitement et qui fonde le présupposé de son argumentation. Pour ce faire, el nous suffit de remarquer que Levi-Strauss ne s'attarde pas sur un point fondamental : le genre, et laisse sans réponse une question fondamentale : Si l'échange des femmes est ce qui créer l'identité masculine; qu'est-ce qui créer donc l'identité féminine ? Les femmes sont certes vues comme le manque des hommes, leur négation; mais quel est donc ce circuit qui fait une telle distribution ? Et se faisant, une telle conception n'exclut-elle pas la possibilité même du lesbianisme ? On l'aura compris, la critique de Butler envers Levi-Strauss est la même critique que Wittig à pu faire à son époque : la pensée straight qui « continue de penser que c'est l'inceste et non l'homosexualité qui represente son principal interdit [...] » (P.113). Ce point est d'une importance capitale, et non seulement parce qu'il permet une critique en profondeur de Strauss, mais aussi en ce qu'el s'agit **du** point théorique de Butler et concernant la suite de ce chapitre. L'homosexualité, c'est ce qui est refoulé et supposé dans l'échange des femmes. Des hommes qui ont des désirs homo-érotiques mais qui ne pouvant les satisfaires par tabou en doivent passer par des intermédiaires.
Nous voyons donc que dans la pensée structuraliste, le tabou de l'inceste est considéré comme d'une loi universelle, unique et aculturelle. El s'agit - et à la suite de Freud - d'une loi morale universelle. Cependant, la reflexion de Butler sur l'homosexualité est venue ébranler ce courant structuraliste. Un mécanisme qui est vu par ce dernier comme une « vérité universelle » (P.125), n'est en réalité qu'une structure sociale et qui est elle-même précédée et instituée par le tabou de l'homosexualité. Mais la présomption d'hétérosexualité n'est pas la seule critique que l'on peut faire. Butler critique Levi-Strauss sur un autre point. En effet, pour ce dernier, la prohibition de l'inceste est tout le temps réussie (j'imagine, puisqu'el y a exogamie). L'inceste ainsi réprimé ne doit donc pas être considéré comme d'un fait social, une réalité, mais bien plutôt comme d'un fantasme. Or, une telle pensée qui imagine la prohibition de l'inceste comme réussit s'empêche de penser les actes d'inceste réelement perpetués. Contradiction ? Non pas pour Butler qui profite de cette ocassion pour retourner la psychanalyse. La contradiction n'est qu'apparente, et si contradiction el y a, ce n'est que parce que l'on suppose que la loi réussit tout le temps ! Que la prohibition existe n'indique en rien qu'elle fonctionne, et plus encore, c'est probablement même l'érotisation de l'interdit lui-même qui en vient à créer l'inceste qu'il décrit.
Lacan, Rivière et les stratégies de mascarade
Dans cette section, Butler introduit deux conceptions differentes de la masquarade selon Lacan et Rivière, le premier considérant que les identités de genres proviennent de la comédie de positions sexuelles symboliques, tandis que la seconde y voit plus la féminité comme d'un masque face à l'angoisse.
La position de Lacan, on l'a vu, est l'idée que l'inconscient est structuré comme le langage. Dans une telle conception, tout ce qui va être dit par la suite doit être compris non pas comme une réalité mais comme des positions symboliques, des positions dans le langage formant une structure qui nous determine. Plus spécifiquement, Lacan différencie deux positions que sont « Etre le Phallus » et « Avoir le Phallus ». Mais avant d'aller plus loin, le terme Phallus se doit être explicité. Nous avons vu précedemment que la jouissance première est refoulée et remplacée par un signe. Le Phallus doit alors être compris comme le signifiant de ce désir, du désir de l'Autre compris comme la partie de soi qui nous est innaccessible de par la fracture originelle. Dès lors, être le phallus veut tout simplement dire être le sujet du " désir pour la mère ", être l'objet d'amour et ce substitut langagier dont je parlais précedement (une position occupée par les femmes). A l'inverse, avoir le phallus - et la position occupé par les hommes - consiste à avoir ce désir. Dans une telle logique, la position des femmes est-elle paradoxale. La femme est celle qui est le Phallus, comprendre qu'elle represente le pouvoir de ce désir de la mère. Mais cette dernière n'ayant pas le Phallus, c'est donc la partie " manquante " qui a le pouvoir, et qui permet ainsi de confirmer l'identité masculine, qui permet son élaboration. Selon Lacan, « le « je » qui parle est un effet masculinisé du refoulement » (P.126), il est ce " je " qui camoufle le refoulement à l'origine de son identité, qui exclut les positions sexuelles différentes de la sienne et qui en ce sens se pense autonome. Il est celui qui se croit l'origine de toute signification et, partant, donne sens aux femmes [18]. Or, cette prétendue position suppose qu'un sujet puisse s'auto-fonder, une illusion qui oublie que le sujet à besoin d'un autre pour se differencier, qui masque la dépendance fondamentale des hommes aux femmes et dans laquelle les hommes ont en réalités besoin que les femmes les rassurent sur leur identité en permanence. Ainsi autonomie et dépendances se trouve-t-elles liées de façon intrinsèque et pour le moins compliquée. Ce n'est donc pas à croire qu'une telle position implique pour Lacan que les un(e) donne sens aux autres dans la réalité. Quoiqu'el se passe dans la description précedente, el ne faut pas oublier qu'el s'agit d'un drame symbolique, langagier. Etre et avoir sont tout deux des positions signifiés et en rapport au signifiant premier qu'est le Phallus. Or, vu de cette manière, personne ne peut " être " ou " avoir " le Phallus qui est l'origine de toute choses. C'est donc en ce sens que pour Lacan ces positions sont voués à des echecs comique. Ces positions, toujours approximatives, sont néanmoins des positions que l'on ne peut pour autant pas ne pas prendre, ni même répeter. C'est donc de cette manière que l'on peut passer de l'être au par-être (paraitre) et au concept de mascarade.
Si la femme n'est jamais réellement le Phallus, la question qui se pose alors est de savoir par quel moyen elle réalise cet apparence. Lacan nous indique qu'el s'agit là d'une mascarade, effet de la mélancolie qui créer la femme. La mélancolie est, selon Freud, le processus d'incorporation de l'objet d'amour au travers de son rejet. Autrement dit, le rejet lors de l'Oedipe ne réussit jamais totalement puisque son accomplissement est aussi ce qui permet l'interiorisation du lien et donc de ce dernier. Dans cette optique, le masque est précisement un processus mélancolique en ce qu'il a cette double fonction de rejet et d'incorporation. Le masque dissimule la perte (incorporation) mais, ce faisant, il y fait toujours reference d'une quelconque façon (perte). Or, mascarade est un terme controversé et en ce sens que Lacan n'y donne pas de sens précis. Il peut tout aussi bien signifier que l'être du Phallus (au sens ontologique) n'est en réalité qu'un jeu d'apparence institué de manière performative - et permettant ainsi d'envisager une " ontologie sociale " du genre - tout comme il peut signifier qu'el y a, au contraire, un veritable être féminin derrière les apparences qu'el nous faudrait "seulement" dévoiler.
Passons maintenant à la conception Rivièrienne de la mascarade. En 1927, la société fonctionnait encore avec le pré-supposé que femme masculine était homosexuelle (principe de l'inversion). Cependant, Rivière tombe sur un type de femmes bien particulier. Des femmes qui, bien qu'hétérosexuelles (et donc féminines) n'en avait pas moins des caractéristiques masculines. Types qu'elle nomme intermédiaires et qu'elle semble classer à la suite d'Ernest Jones dans une sous-catégorie d'homosexualité : une homosexualité sans désir homosexuel. Or, de telles femmes vont avoir la tendance à se parer d'un masque de féminité. Mais pourquoi donc ? Selon Rivière, cela serait du à une angoisse. Aspirant à la masculinité et cherchant en ce sens à prendre la place des hommes, le masque serait pour elles un moyen d'éviter le chatiment qui leur serait reservé par ces hommes pour cet affront. Sa théorie est dès lors qu'une généralisation est possible, et que la féminité en tant que masque aiderait à comprendre le developpement sexuel des femmes dans leur ensemble (si je comprends bien).
Si nous cherchons maintenant à prendre un peu de recul, Butler critique tant la conception Lacanienne que Rivièrienne de la mascarade.
Tout d'abord, tant Lacan que Rivière sont critiqué·es pour leur présomption d'hétérosexualité. Le premier, on l'a vu·e, considère le masque comme un processus mélancolique de perte. Le lesbianisme lui, s'orienterait plus sur une deception d'hétérosexualité, une deception que Butler interprète (Lacan est pas clair) comme d'un rejet qui se traduirait en une absence de désir. Rivière quant à elle, conçoit le type intermediaire comme d'une homosexuelle sans désir, une remarque que je n'ai pas besoin d'expliciter davantage. Ainsi, quelque soit la conception de la masquerade envisagée, toute les deux s'accordent sur le fait que la lesbienne se doit d'être asexuelle; une vision coroborrée par " l'observation ". Non seulement cela, mais Butler critique-t-iel aussi Lacan pour avoir théorisé un passé avant la loi et comme iel a pu l'expliciter dans le chapitre 1 de façon plus générale. Sa théorie suppose en effet une jouissance originelle pré-sociétale et malgré toute ses justifications. Car si la jouissance se trouve avant la société en tant que c'est elle qui permet l'individualisation et l'accès au langage au travers de sa prohibition, c'est alors que celle-ci s'élève en tant que réalité ultime et indepassable. Or, une telle vision qui ne depends pas de la culture implique nécessairement une certaine inflexibilité, ce qui pose notemment un problème lorsque ce processus est voué à l'échec et puisque ce dernier est alors vu de manière quasi-religieuse puisqu'il ne peut pas être modifié. De ce fait, sa théorie amène dès lors à une binarité de genre restrictive. Cependant, de telles conceptions peuvent tout de même nous ouvrir certaines portes, et des portes que Butler ouvrira dans les deux sections qui vont suivre. Car si la conception de Rivière se refuse de voir de l'homosexualité dans une personne homosexuelle, cela permet à Butler d'appuyer le point précedemment évoqué au travers de sa critique de Levi-Strauss : peut-être bien qu'el existe un tabou de l'homosexualité qui l'empêche de le penser. Et en appliquant cela à la " bisexualité constitutive " de la psychanalyse, cela permet à Butler de critiquer la prétendue naturalité de cette dernière. Lacan est quant à lui analysé par Butler comme d'une morale des esclaves et selon laquelle l'insistance même sur le caractère prohibitif de la loi est ce qui mine et prouve au contraire que la loi est productive et seulement instituée comme repressive.
Freud et la mélancolie de genre
Ouvrant sa première porte, Butler cherche ici a relire Freud, l'Oedipe et la mélancholie à la lumière du tabou de l'homosexualité qu'iel à précédemment décrit.
Freud distingue trois instances de l'inconscient : le ça, le moi et l'idéal du moi. A l'origine, tant le moi que le ça ont un objet d'amour, mais dont le lien avec ce dernier va ensuite être rompu. Mais le ça ne voulant pas lâcher prise, comment faire le deuil de cette perte ? La mélancolie est justement décrite par Freud comme de ce processus de (non-)résolution d'une perte non-avouée mais qui pour se faire incorpore l'objet d'amour au sein du moi et au travers d'une identification durable. Au final, la perte n'en est pas vraiment une, le deuil n'est jamais totalement fini, et le moi qui prends régulièrement des objets d'amour se doit successivement de les perdre et se forme ainsi comme un précipité de ces derniers. Ce processus est interessant lorsqu'on le met en lien avec l'Oedipe censé créer l'identité de genre. Dans sa version la plus complète et décrivant une prédisposition bisexuelle, tant le garçon que la fille ont des prédispositions à un désir masculin et féminin sur des objets d'amour. Soit l'enfant qui s'attache a son parent de sexe opposé ne fait que perdre son objet d'amour, redirige alors son désir vers un autre objet plus acceptable et s'identifie au parent de même sexe (consolidant la tendance hétéro); soit le désir lui-même est aussi perdu et dans ce cas, la mélancholie agit non plus sur une identification avec le parent opposé; mais bien le parent originel (consolidant la tendance homo). C'est seulement dans ce contexte que le moi va ensuite retrourner ce processus d'amour en une seconde prohibition créatrice de l'idéal du moi et régulateur de l'identité. En effet, lea parent·e prohibé·e va subir une inversion dans laquelle le refus exterieur servira de prohibition interne de tendances masculine ou feminines. Or, et alors que Freud laisse ouvert les deux possibilités en théorie, ce dernier ne prends en compte en pratique que les variantes hétérosexuelles, une vision qui non seulement - et de son propre aveu - n'explique pas l'origine de la prédisposition - par exemple masculine pour le garçon - mais qui en outre considère la bisexualité non pas comme de sa propre orientation, mais d'une co-existence de deux hétérosexualités et puisque l'homosexualité est vu ici comme du concept d'inversion. Ainsi - et comme nous avons pu le voir dans les sections précedentes - ce langage cache bien souvent une hétérosexualité institutionnelle, et ici on remarque clairement comment la prédisposition masculine (resp. feminine) pour le garçon (resp. fille) est la seule à jouer un rôle, ne s'attachant jamais au parent de même sexe. L'homosexualité est dès lors forcluse dès le depart dans une telle conception, et reprenant en conséquence implicitement sa critique de Rivière, Butler envisage donc la possibilité que la prédisposition hétérosexuelle ne soit en rien naturelle, et qu'au contraire elle soit le fruit d'interiorisations culturelles préalables.
Une meilleure conception de l'identité de genre sous Freud se formalise donc ainsi. Dans un premier temps, le tabou de l'homosexualité s'active comme ce qui empêche, forclos - et dès le depart - une identification gay ou lesbienne; cet empêchement même étant incorporé mélancoliquement et créant les " prédispositions naturelles " de Freud. Ces prédispositions créées, elles vont ensuite pouvoir jouer leur rôle dans l'Oedipe et au travers du tabou secondaire de l'inceste. Cette deuxième mélancolie va ensuite soit confirmer l'identité hétérosexuelle ou bien au contraire faire ré-apparaitre l'homosexualité et dans le cas ou le tabou de l'homosexualité n'avait pas totalement réussi. En outre, le moi étant un précipité des objets d'amour, el s'agit d'un processus qui se repète souvent, et surtout au début du développement. Vu ainsi, l'identité peut donc plus généralement être vue comme de l'interiorisation d'une prohibition quelconque [19]. Une prohibition qui n'est pas seulement culturellement instituée, mais aussi maintenue par l'application incessante de ce tabou. On comprends ainsi mieux comment la prohibition en devient-t-elle productive. Car comme évoqué·e dans la section précedente avec Lacan, postuler une nature pré-sociétal - et justifier en ce sens l'imposition d'un tabou - n'est encore et toujours qu'une ruse d'un récit qui cherche à cacher ses origines, à se naturaliser, et à renier la production dont elle est capable.
Butler considère donc la mélancolie comme la structure créeant l'identification genrée, soit. Mais si tel est le cas, comment arrivons-nous à passer de la mélancolie à la performativité ? Si, comme le pense Butler, le genre est performatif, alors cela implique qu'une seule iteration n'est pas suffisante. Or, c'est exactement de cette question que va occuper la section suivante.
Complexité du genre et limites de l'identification
Si les critiques des discours psychanalytiques précedents nous ont bien appris une chose, c'est que " la " Loi ne semble ni aussi fixe, ni aussi singulière qu'el n'y parait et preuve en est des diverse identifications possibles. Cependant, une telle discussion ne nous informe en rien sur le lieu où se trouve ces identités. Différenciant l'introjection comme un mécanisme de deuil où l'objet est perdu et reconnu comme tel de l'incorporation ou la perte elle-même est niée, perdue comme innomable; Butler plaide pour la vision du genre comme incorporation. Lorsque j'ai évoqué la mélancolie dans la section précedente, j'ai énoncé que l'incorporation y était centrale, mais sans donner de détails sur son fonctionnent. A parler vrai, el ne faudrait pas voir l'incorporation - et donc la mélancolie - comme d'un processus, mais bien plutôt comme d'un fantasme. L'espace interieur dans lequel l'objet d'amour est incorporé n'est pas réel - seulement fantasmé - et il l'est au travers d'un langage qui est lui-même capable de consolider cet espace même. Prenant en ce sens un peu d'avance sur le chapitre 3, nous pourrions alors repondre à la question initiale en disant que, ne souhaitant ne pas mobiliser une métaphore de l'interieur/exterieur - une métaphore ayant pour fonction de consolider la métaphysique de la substance - cet espace, et loin d'être un " noyau dur du genre ", se trouverait donc sur le corps et permettant ainsi de voir le corps comme d'un espace incorporé. Arretons-nous quelques instants sur cette remarque. Que le corps soit vu comme d'un espace incorporé est une assertion puissante puisqu'elle permet de dire que le corps est une surface de signification, que le corps est imaginé et qu'il est pris dans des fils culturels. Que le corps soit un espace incorporé - et pour revenir au chapitre 1 - implique qu'il n'est plus seulement un véhicule ou un instrument unitaire; mais bien au contraire qu'il est construit comme tel. Cela ne veut bien sur pas dire que Butler reduise tout au langage ni même que le langage créer le corps, mais bien plutôt que ce dernier, tout comme le sexe, est vu comme d'une unité qui n'est en réalité pas. A une société qui voudrait nous faire croire que le plaisir provient des organes sexuelles, il faudrait donc répondre qu'el s'agit en réalité de cette société même qui impose ces organes comme source de plaisir et parce qu'ils correspondent à l'image normatif de la matrice hégémonique. Dans une telle optique, non seulement la structure mélancolique créer-t-elle l'identité, mais en plus créer-t-elle aussi les plaisirs. En effet, la perte mélancolique ne fait pas qu'incorporer l'objet d'amour perdu, elle incorpore aussi l'objet de plaisir associé. C'est donc seulement en ce sens - et comme Butler l'énonce dans La vie psychique du pouvoir - que « ce qui est apparement performé en tant que genre est le signe et le symptôme d'un déni global » (La vie psychique du pouvoir, edition amsterdam, P.179), et le lien manquant entre mélancolie et performativité [20]. Finalement, si l'hétérosexuel·le est constitué·e au travers d'une structure mélancolique d'incorporation, c'est une structure qui n'a pas d'équivalent du côté homosexuel. Car l'hétérosexuel·le est face à une prohibition de l'homosexualité culturellement imposée. Dès lors l'homosexuel·le se peut d'être plus fluide, et on se rend compte ainsi que l'hétérosexualité obligatoire est le prix à payer pour avoir des identités fixe.
Repenser la prohibition en tant que pouvoir
Dans cette dernière section, Butler ouvre la seconde porte que j'évoquais dans " Lacan, Rivière et les stratégies de mascarade "; et à savoir, la question de la production de la loi.
Ici, Butler se tourne dans un premier temps vers l'article de Rubin : " the traffic in women ". Dans ce dernier, Rubin soutient que la description psychanalytique de Lacan vient completer la structure de Levi-Strauss. Y défendant un système sexe/genre, elle énonce que ce système transforme le sexe en genre et le fait tant au travers de pratiques culturelles que de mécanismes psychiques. Dans une telle conception, Rubin voit ainsi la sexualité comme originellement polymorphe et seulement reprimée par la culture ensuite. Or, si une telle sexualité libre existe, et si l'hétérosexualité " autorise-t-elle " du jeu en " acceptant " d'incorporer au sein de sa matrice des sexualités différentes telles que l'homosexualité ou encore la bisexualité, alors peut-être que cela pourrait-el permettre d'envisager l'abolition du genre comme de la mise en éclat des chaines de restrictions hétérosexuelles.
La critique de Butler, à ce point dans le livre, ne devrait étonner personne. Iel critique dans un premier temps Rubin pour avoir supposé une nature pré-sociétale. Que cela soit le sexe ou la sexualité, Rubin suppose qu'el puisse exister quelque chose avant la loi. Or, si le langage est lui-même ce qui n'est permis que grâce à cette dernière, alors el n'existe pas de langage qui puisse s'exprimer en d'autres termes que ceux de la loi. Dit autrement, ce que l'on considère comme un avant ou un après la loi n'est en définitive qu'une enième utilisation de celle-ci [21], l'avant profitant à l'après. Mais ce n'est pas le seul point que critique Butler qui met aussi en doute la possibilité même de pouvoir totalement sortir du genre. Reconnaissant que l'hétérosexualité obligatoire doit changer, et a effectivement changé, Butler reste tout le moins septique d'un discours qui considère le genre comme uniquement oppressif, comme uniquement subordonné au système hétérosexuel, mais qui en plus part du principe qu'il soit possible de distinguer les corps sans en passer par le genre; une distinction dont on peut d'ailleurs supposer qu'elle ne puisse pas ne pas être faite, ou sous condition de ré-instaurer immediatement le genre qu'elle prétends pourtant renier. Comment donc penser autrement ? Si el n'existe rien avant la loi, et si on refuse de penser cette dernière comme immuable, comment donc repenser le genre ? La tradition psychanalytique a toujours plus ou moins pris en compte le caractère productif de la loi. Cependant, et comme nous avons pu le voir plus tôt, toujours en supposant un désir originel qui viendrait être ensuite reprimé. C'est en ce sens que Foucault innove et puisqu'il refuse de postuler un tel désir dans L'histoire de la sexualité. Selon ce dernier, considérer la loi comme repressive n'est qu'une ruse discursive qui vient masquer la production de cette même loi, et en en racontant sa propre génèse. C'est donc dans une telle conception que Foucault introduit l'idée que ce que le pouvoir reprimerait serait en réalité les configurations multiples de ce pouvoir même. Produisant de multiples modalités, le pouvoir en viendrait à en autoriser certaines, les voyant comme légitimes, et à en reprimer d'autres, les voyant comme mauvaises. Dans le cas particulier du tabou de l'inceste, cela reviendrait donc à dire que ce dernier « ne refoulerait ainsi aucune prédisposition primaire, mais créerait en effet la distinction entre les unes qui seraient " primaires " et les autres " secondaires " pour décrire et reproduire la distinction entre hétérosexualité légitime et homosexualité illégitime » (P.169-70). Et cette ruse, celle du camouflement de cette production même, est elle-même directement visible dans les théories de " l'avant ". Car en supposant un passé avant la loi, un passé pré-discursif, en vient-on a définir une norme de fonctionnement. Par exemple, en instituant une fluidité polymorphe ou une bisexualité originelle vers laquelle nous devrions tendre, nous ne faisons encore et toujours qu'imposer une vision de la sexualité comme de ce à quoi tout le monde devrait se conformer. Ainsi, loin de se libérer, nous ne faisons que nous mettre davantage de chaines.
Cette vision du pouvoir comme créant de multiples modalités est interessant pour Butler en ce qu'elle lui permet ainsi de repenser le tabou de l'inceste comme créant ces même configurations genrées qu'il cherche à restraindre. Plus que cela, penser le tabou de l'inceste ainsi ne forclos pas à l'avance le sens et le nombres des modalités; et permettant par là même de laisser ouvert le champ des possible. Pour que l'hétéeosexualité puisse fonctionner comme de ce désir institué et à part entière, ce dernier à besoin d'une homosexualité (remarquer l'inversion du rapport de causalité ici) non moins distincte de ce dernier, une homosexualité qui doit ensuite être reprimée et pour être mieux relegée aux marges, loin de la culture culture dominante, mais et pourtant toujours en elle.
Chapitre 3 - Actes corprels subversifs
Dans ce chapitre final, Butler se tourne vers divers auteurices et de sorte à penser avec et contre elleux les possibilités subversives du genre. Que cela soit Kristeva, Foucault ou encore Wittig, chacum y est vu·e comme pouvant apporter une pierre à l'édifice, et malgré leurs défauts.
Julia Kristeva et sa politique du corps
Butler s'interesse ici à la théorisation de Kristeva pour la critiquer et en dégager une potentialité politique. Prenant le contre-pied d'une vision qu'iel juge essentialiste et totalisante, Butler va à l'inverse suggerer la possibilité d'une multiplication des identités.
La théorie de Kristeva est une théorie qui cherche à mettre à mal la théorie de Lacan sur le Symbolique. Comment s'y prend-t-elle ? Rappelons tout d'abord que, pour Lacan et comme vu dans le chapitre 2, le Symbolique est cette structure du langage et qui nait de la loi, du tabou de l'inceste, et de son corolaire le Phallus - le désir pour la mère. C'est donc seulement en refoulant ces pulsions primaires que le sujet accède à la parole, une parole structurée par cette même loi et qui tends à restreindre les significations en ce que cette multiplicité rappelle l'état originel des pulsions. Que dit Kristeva ? Pour cette dernière, el existe un autre champ du langage que le symbolique. Il se nomme sémiotique et n'est pas construit sur le refoulement de plusions; au contraire, il y ferait indirectement reference. En ce sens le sémiotique est-il un moyen de retrouver le corps maternel perdu, une stratégie qui n'est cependant pas sans conséquence et puisqu'au travers de ce rapprochement au corps maternel en vient-on à s'approcher par là-même d'une transgression du tabou de l'inceste qui, rappellons le, est constitutif du sujet et de l'identité. Or, qu'est-ce que la psychose si ce n'est cet état caractérisé par la destruction du sujet. Par conséquent, la poésie est-elle un acte qui borde sur la psychose et en ce qu'elle est déliaison du sujet qui se confonds ainsi avec la figure parentale. Mais une telle stratégie n'est-elle pas non plus sans avantage et puisqu'el s'agit de cet acte même qui permet cette trangression, et ainsi une remise en cause de la loi et donc du Symbolique. Est-ce à dire que ce sont là deux domaines du langage distincts ? Pas vraiment et puisque pour l'autrice le semiotique comme hétérogénéité passe tout de même par des pratiques langagières compréhensible et qui sont elles, le domaine du symbolique. Cependant, la poésie en tant que pratique porteuse de sens n'épuise pas l'ensemble de ses fonctions. Non seulement parce qu'elle présente une multiplicité de sens, mais aussi en ce qu'elle dégage autre chose que le sens : le rythme ou encore l'intonation. Nous nous retrouvons donc dans cadre théorique où, quand bien même le symbolique agit comme « d'une limite interne à cette économie bipolaire » (Kristeva, D'une identité à l'autre, dans Desir in Language, P.134; traduction libre) que le sémiotique est cette partie du langage qui tends à gagner en puissance sur elle.
Le premier point que critique Butler est l'homophobie d'une telle conception. Corolaire à son discours est une conception de l'hétérosexualité comme superieur et visible en ce qu'elle considère l'homosexualité comme psychose. En effet, si la poésie borde sur la psychose en tant qu'elle délie le sujet et puisqu'elle est rapprochement du corps maternel, et si on considère en outre qu'une femme qui employe un tel langage manifeste alors une forme d'homosexualité, alors que dire de personnes déclarant de manière explicite être lesbienne ? Mais la poésie n'est pas le seul acte sémiotique que Kristeva identifie. En effet, considère-t-elle aussi que l'acte d'enfanter en est un exemple (on retrouve le rapprochement au corps maternel). Dans un mouvement purement homophobe, Kristeva propose donc aux lesbiennes de porter un enfant - ou de faire de la poésie - et seul manière acceptable d'agir sur son homosexualité sans entrer en psychose [22]. Mais cela n'est pas le seul point critiqué par Butler, et pour qui la formulation même de la théorie pose problème. Car outre son essentialisation de la maternité - et sur lequel je reviendrais plus loin - une telle théorie du langage boucle sur elle-même. Ce n'est peut-être pas le but avoué par cette dernière, mais quiconque cherche à utiliser Kristeva comme d'un moyen de subversion - et " évident " de par sa formulation du sémiotique - tombe dans une impasse. Comment en effet supposer que le sémiotique puisse durablement mettre en cause le symbolique si ce dernier est un pré-requis pour que le sémiotique fonctionne. Dit autrement, le sémiotique peut-il réellement subvertir et déstabilisé ce qui le fonde ? Mais ce n'est peut-être pas le point le plus problématique d'une théorie qui tente de sortir de la culture. J'ai évoquée que Kristeva réifiait la maternité. Kristeva ne fait pas qu'identifier des pulsions maternelles qui se trouveraient avant le langage, elle les placent en outre dans une téologie biologique (teintée d'orientalisme soit-dit en passant) qui en fait un discours totalisant. Ces dernières sont alors l'expression d'un temps fort reculé, d'une « [c]ompulsion de la matière, spasme de la mémoire de l'espèce qui s'agglutine ou se divise pour se perpetuer » (Kristeva, Maternité selon Giovanni Bellini, P.410). Une conception dans laquelle la maternité est conçu comme d'un instinct naturel, ici elever en une potentialité subversive, et qui empêche de penser toute variation culturelle. Conséquemment, l'autrice en vient à consolider le sexe, et plus précisement le sexe feminin, comme d'une unité atemporelle. Mais comment ne pas évoquer la possibilité qu'une telle théorie soit elle-même une conséquence culturelle ? Comment ne pas se demander si cette même multiplicité discursive n'est-elle pas encore et toujours qu'un des effets du langage ? Poser une réalité pré-sociétale - et quand bien même cette dernière serait-elle antagoniste à l'ordre établi - n'est encore et toujours que la construction d'une narration dans laquelle le passage de l'un à l'autre est nécessaire, et justification de la loi. Butler en conclu dès lors que toute subversion, si elle à lieu, ne peut pas se trouver en dehors de loi. La subversion, et les potentialités multiples qu'elles recelent, doivent se alors fonder dans les termes même de celle-ci.
Foucault, Herculine et la politique de la discontinuité sexuelle
Rappelons la théorie de Foucault concernant le sexe et la sexualité. Ce dernier nous indique dans le premier volume de l'histoire de la sexualité que sexualité et pouvoir vont en réalité de pair. Loin de considérer la sexualité comme d'un domaine qui lui serait exterieur, le pouvoir doit être compris comme ce qui créer, agit sur et module cette dernière. Or, compris de cette façon, la causalité entre la sexualité et le sexe en vient à se brouiller. Loin d'être un ordre naturel et dans lequel le sexe serait l'origine, le point de départ, cette singularité constitutive de la sexualité, Foucault renverse ce discours, et pour montrer que c'est en réalité la sexualité qui créer l'idée d'un vrai sexe, une vision effectivement masquée par ce système de pouvoir qui voudrait nous faire croire à l'inverse. Ce n'est cependant pas la position que Foucault semble prendre dans son introduction à la traduction anglaise des mémoires d'Herculine Barbin. Dans ce texte, Foucault soutient au contraire qu'Herculine est une figure representative d'une multiplicité sexuelle hors du pouvoir. Dans une romantisation pour le moins problématique, Foucault insiste sur le fait qu'el y a un avant et un après l'assujetissement d'Herculine à la loi juridique et qui lea constitue en un sexe determiné. Tout le propos de Butler est dès lors d'aller contre cette tendance en arguant que l'exterieur même de la loi est constitué comme d'un autre dedans. L'avant identifié par Foucault n'est dès lors ni un espace de non-identité, ni un espace rejettant la catégorie de sexe. Bien au contraire, l'ambiguité constitutive d'Herculine est un moyen pour iel de s'approprier et de mettre en cause ces catégories même, mais toujours dans les termes de la loi. Ainsi, en construisant un sexe unifié comme cible de sa critique, Foucault en vient-il à postuler une hétérogénéité multiple et naturelle qui échapperait au discours, un multiplicité pourtant elle-même le produit d'un discours médical qui fait pour lui principe d'autorité.
post-scriptum non-scientifique
Continuant dans sa mise en doute Foucalienne du sexe, Butler se tourne maintenant vers la biologie, et plus particulièrement la génétique, pour mettre en lumière la construction du sexe et du corps et dont iel à pu parler jusqu'à maintenant.
En étudiant une population de personnes intersexe, le docteur Page pensait avoir trouvé le commutateur binaire du sexe. En effet, et alors que l'on pourrait dans un premier temps penser que le chromosome Y est le mécanisme de différenciation binaire du sexe, que l'on aurait toujours pas expliqué·e la possibilité pour um individu·e XY de ne pas avoir de caractéristique masculine. Cherchant à expliquer une telle dissonance, Page supposa donc une séquence d'ADN sur le chromosome Y. Pensant dans un premier temps que c'était sa présence/absence qui determinait le sexe, et continuant ensuite dans une binarité actif/passif, se dernier se devait de classifier une fois pour toute tous les individu·es en deux catégories incommensurables. Loin d'être une multiplicité chaotique, le sexe se reduirait donc encore à une simple variable binaire, une certaine séquence d'ADN que l'on trouverait sur le chromosome Y : le TDF. Mais une telle conception est fondamentalement fautive. Page, on l'a vu, a changé de conception en cours de route, passant d'un mode d'explication par présence/absence à un par actif/passif. Or, ce changement ne s'est pas fait par hasard, et fut du au fait que l'on trouva le TDF aussi dans le chromosome X, invalidant son hypothèse première. Une telle explication est-elle donc satisfaisante ? Non pas puisque que pour Fausto-Sterlling, et citée ici par Butler, les individu·es considéré·es avait des génitoires ambigues, et ne permettant pas de dire qu'el s'agissait d'un gêne passif chez les femelles. Une reflexion qui permet ainsi Butler de se demander par quel procédé en vient-on à classer les personnes étudiées et à priori, la recherche de Page supposant en effet qu'um individu XX est mâle et de part ses organes génitaux. Une etude qui cherche à determiner le sexe en vient donc à le determiner autrement. Dans un raisonnement circulaire bien connu, ce qui est désigné par le sexe en vient à être determiné, défini, par autre chose que lui-même. Mais ceci n'est pas le seul soucis de Page qui s'empêtre aussi dans des apriori culturels. En pensant en terme d'actif/passif, Page associe la determination du sexe au sexe male, et s'empêche de voir le sexe femelle comme d'un processus tout autant actif [23]. Par conséquent, loin de se demander « si décrire le corps en fonction de deux et seulement deux sexes convient au travail de recherche », en vient-il à se demander seulement « comment [ce] " commutateur binaire " est activé » (P.220), et un cadre d'analyse qui forclos la possibilité de mettre en causes les catégories utilisées. Ainsi, loin d'être une science neutre et détachée de la société, on conçoit ainsi mieux en quoi séparer le sexe du genre est une entreprise complexe, et en reprenant la formulation du chapitre 1, on comprends ainsi mieux en quoi « le genre [est un] appareil de production et de réification discursif/culturel des sexes eux-même » (Cf. plus haut).
Monique Wittig : désintegration corporelle et sexe fictif [24]
Quel est la pensée de Monique Wittig ? Pour répondre à cette question, Butler commence par se tourner vers De Beauvoir et sa théorie existentialiste. Dans le contexte du 2e Sexe, Beauvoir affirme que l' « on ne nait pas femme, on le devient ». Une phrase que Butler trouve des plus étrange et puisqu'elle suppose que l'on puisse devenir femme sans l'avoir déjà été. Une contradiction avec tout ce que j'ai pu expliciter plus haut en terme de performativité ? Non pas, et puisque contrairement à Beauvoir, Butler pense que le genre « est omniprésent, prédefinissant qui est humain et qui ne l'est pas » (P.223). Implicite à la vision de De Beauvoir - et comme on a pu le voir dans le chapitre 1 - est cette idée que non seulement le sexe est une donnée prima facie mais, et de façon lié, qu'el existe une " personne " avant son genre, une personne qui pourrait dès lors " prendre un genre " compris comme d'un « post-scriptum [...] de dernière minute » (ibid). Ce n'est bien sûr pas la position de Butler et pour qui le genre est un acte. Pour Butler, le genre est un faire permanent et auquel nous sommes soumis·e dès notre naissance. Cette discussion nous est d'importance et puisque c'est dans ce contexte, dans cette lecture de De Beauvoir, que Butler va analyser l'article « On ne nait pas femme » de Wittig. Dans cet article, Wittig soutient deux thèses, et à savoir que 1. le sexe n'est ni immuable ni naturel et qu'el s'agit d'une construction à but reproductive, et ensuite que « les lesbiennes ne sont pas des femmes » [25]. Cette citation, qui a été maintes fois abusées, doit être comprise dans les termes de l'analyse de Wittig. Selon cette dernière, femmes et hommes sont socialement créer comme les termes d'une opposition binaire asymétrique. Une femme est une femme dans la mesure où elle réponds à l'imperatif hétérosexuel de reproduction. Comprise au sens « économique, politique et idéologique » (On ne nait pas femme, La pensée straight, P.64), une lesbienne n'est donc pas une femme, encore moins son sexe, et une reflexion qui amène Butler a voir la lesbienne comme d'un troisième genre.
Mais revenons sur la question du sexe un instant. Wittig considère, comme je l'ai évoquée, que le sexe est une construction imposée par la force et qui créer un semblant de naturalité. Certes, el peut exister des traits physiques, mais leur rassemblement en une catégorie unifiée est suspecte et sert l'oppression. Ceci, Wittig l'a très bien compris, et raison pour laquelle elle démembre le corps dans son ouvrage, Le corps lesbien. Car si rassembler - une operation à priori unifiante - n'est qu'une méthode de fragmentation; el en va alors que la fragmentation doit être comprise comme d'une operation unifiante; erogénéisant l'ensemble du corps. Mais cette fragmentation n'est pas vu comme un problème pour Wittig. En effet, et bien que l'on pourrait supposer qu'el s'agisse d'une destruction totale, cela ne semble pas être le cas pour Wittig qui pense au contraire que cette destruction nous ramène à un état originel pré-oppression.
En effet, Butler analyse Wittig comme croyant en deux niveaux de réalités et représentés par des contrats sociaux. Le premier contrat, l'originel, est utilisé de sorte à schématiser un monde dans lequel les sujets parlant sont égaux. Cependant, aposé sur ce dernier, et travers notemment des institutions, se trouve pour Wittig un autre contrat implicite qui est celui de l'hétérosexualité. Ce dernier se trouve infuser la société de toute part et agit tant de façon materielle que langagière. Mais el ne s'agit pas pour Wittig de refaire une séparation problématique entre la culture et l'économie - point du Marxisme qu'elle critique - et en ce sens pense-t-elle que le langage violente et à des effets materiels. Le langage construit le corps et asservit. Un langage qui opprime non seulement par sa force créatrice, mais aussi en ce qu'il exclut. Car pour Wittig, parler c'est être en position de le faire - en tant que sujet parlant - et donc implique nécessairement l'oppression. C'est donc dans ce contexte qu'une femme n'est pas en mesure de parler. En effet, parler, utiliser le « je », est reservé aux personne transcendant leur particularité et rejoignant l'universel, un processus dont les femmes sont par définition exclut. Ce mouvement est-il pour autant inévitable ? Wittig conçoit le langage un peu de la même manière que Butler, et pour elle, el existe un certain jeu, une certaine plastie. Le langage ne fonctionne que par sa répetition sédimente et créer une apparence de naturalité. Ainsi, vu de cet façon, le langage est tant un moyen d'oppression qu'un moyen de liberation, Wittig affirmant que l'universalité des hommes sur les femmes n'est en rien une fatalité.
On comprends dès lors bien comment l'analyse que Butler fait de Wittig l'amène à la critiquer. L'analyse de Wittig suppose qu'el existe une réalité materielle au-dela de la marque du sexe, et donc un être qui y soit associé; et une vision que Butler n'a eu de cesse de critiquer tout au long de ce livre. Considérant le système hétérosexuel comme totalisant, ce n'est donc qu'en y opposant un autre système qu'on peut en sortir, et non au travers d'un reformisme ou d'une subversion [26]. Or cette vision, selon Butler, amène Wittig a re-créer un humanisme problématique. Car si le seul moyen de sortir du système est de s'en séparer complètement, de créer une sexualité qui soit débarassée de toute hétérosexualité et conceptualisée comme non-conditionnée par elle, c'est alors que l'on suppose non seulement qu'el n'est absolument pas possible de reprendre les codes hétérosexuels de façon critique, mais en plus qu'outre re-créer une binarité, universaliser le point de vue lesbien finit par re-asseoir une hégémonie face à une autre. Non seulement cela, mais en outre la nouvelle hégémonie ne peut-elle faire vraiment fi de l'ancienne. En replaçant l'homosexualité au centre, cette dernière à encore et toujours besoin de ses marges - et ici, de l'hétérosexualité - pour se définir. Butler cherche donc à nuancer ce point de vue pour le moins radical, et non seulement en plaidant, en bon·ne psychanalyste, pour le permeabilité des structures psychiques, mais aussi en insistant que, quand bien même l'hétérosexualité obligatoire agit avec la violence que décrit Wittig que ce n'est pas le seul système de pouvoir conditionnant nos sexualités. Mais peut-être plus problématique, et central à l'analyse de Butler dans ce livre, est l'idée qu'une telle conception empêche de penser la subversion et le caractère comique du genre.
J'ai précedemment évoquée que selon Wittig, le sexe pouvait voler en éclat. J'ai aussi parlée de la plastie du langage qui est considéré comme muable. Dès lors, une telle conception laisse la porte ouverte à une re-signification. Si le sujet pré-existe aux structures sociales, et si la langue peut être utilisée pour modifier, c'est alors qu'el est possible de radicalement re-signifié, de manipuler le pouvoir, voir même de le refuser. Dans une vision Foucalienne de la chose, Butler refuse cette façon de voir les choses, le pouvoir n'étant pas un ajout de dernière minute, un attribut. Constitutif du sujet, tout comme de la sexualité, l'hétérosexualité est toujours parti prenante de ses marges. Cependant, ce n'est pas non plus à dire que l'on soit piégé·es, et ici Butler semble faire une distinction entre la Wittig « théorique » et la Wittig « Litteraire » [26]. En effet, dans ses écrits litteraire, Wittig ne cesse de se demander comment un sujet peut-iel parler en sortant de sa catégorie de sexe. Pour elle, la litterature est un moyen d'experimenter et elle l'utilise pour reprendre de façon critique des valeurs traditionnellement associées aux hommes et pouvoir les subvertir.
Peut-on reconstruire un corps dé-membrer ? C'est la question que semble nous poser Wittig dans ses écrits litteraire et à laquelle elle reponds tout autant. Wittig, nous dit Butler, ne fait pas que dé-membrer le corps - et laissant par là un vide conceptuel. Wittig reforme aussi le corps et de sorte à créer de nouvelles possibilités. Ainsi, loin de s'arrêter à la phrase classique et selon laquelle « On ne nait pas femme, on le devient », Wittig semble, de part ses analyses litteraire, y ajouter « et on peut même devenir quelque chose d'inintelligible dans le langage straight ».
Inscriptions corporelles, subversions performatives
(tout ce que je dis dans la première partie de cette section est à prendre avec des pincettes, j'ai moi-même du mal à comprendre)
Depuis longtemps, le féminisme à supposé une certaine stabilité et cohérence pour élaborer ses théories. Cependant, considérer le corps comme une unité pré-sociétale est une stratégie qui, comme on a pu le voir plus haut, est suspecte en tant qu'elle tends notemment à reconduire la binarité corps/esprit au travers de la binarité non moins problématique nature/culture. Ainsi, loin de s'en arrêter au sexe, Butler critique-t-iel donc aussi la naturalité des corps vu comme d' « une donnée prima facie sans aucune généalogie » (P.249).
Qu'est-ce que la généalogie de Foucault ? Cette question qui pourrait premièrement sembler hors-sujet pour cette section est pourtant celle qui va démarrer la reflexion. Dans son article de 71' « Nietzsche, Généalogie, Histoire » Foucault cherche la généalogie dans l'oeuvre de Nietzsche, La généalogie de la morale. Pour Foucault, Nietzsche qui utilise plusieurs termes pour parler du concept d'origine (Ursprung, Herkunft et Entstehung) le fait pour mettre en lumière la problématique même du concept d'origine; du fait que le terme est polysémantique. Alors que Ursprung signifie " origine " au sens large, Herkunft associé à ce dernier l'idée de race ou de classe social. Herkunft. Enfin, Entstehung à quant à lui une nuance particulière qui lui confère le sens d'emergence; une origine comme d'un phénomène qui s'élève du chaos [26.5].
Parlons histoire. Ou, plus précisement, parlons méthode historique. L'histoire - en ce sens et donc comme méthode - est décrite - et critiquée - par Foucault comme d'un mouvement linéaire et ordonnançant. L'histoire, c'est « ce qui détruit et préserve en même temps » les « forces et les pulsions multidirectionnelles » (P.250, cité dans Trouble dans le genre) et au travers de cet Entsetehung justement. Si je comprends bien, cela est du au principe d'emergence même. On préserve le chaos mais pour le faire culminer dans une origine unique. Cette idée est capitale en ce que la méthode généalogique ne cherche pas - et contrairement à la méthode historique - à trouver une origine. La généalogie, ce n'est pas la création d'un mouvement linéaire, bien plutôt que la mise en lumière des forces dissonantes et des conflits.
Mais pourquoi donc évoquer la généalogie ? Tout simplement parce que, pour Foucault, la généalogie à pour but de montrer comment le corps est « imprimé par l'histoire » (cité plus haut) et au travers de l'Entstehung de l'inscription. Or, une telle méthode présuppose un corps avant la signification, et une conception que Butler n'a eu cesse de critiquer tout au long de ce livre. Dès lors, la question de Butler est de savoir si el est possible de créer une généalogie qui prenne en compte ce manquement. Se tournant vers l'oeuvre de Marie Douglas, Butler l'utilise comme point de départ pour sa reflexion sur l'interiorité du corps. Mais qu'entend-t-on par interiorité ? Nous pourrions tout d'abord penser à une interiorité litterale du corps. Le corps est un système partiellement ouvert et qui ejecte des excrements. Là où la métaphore est interessante cependant, c'est sur son pouvoir explicatif de la société. L'interieur peut aussi être compris comme de ce qui fait parti du « moi » et au dépends d'un « autre ». Dit autrement, el s'agit de penser la séparation plusieurs concepts. Par exemple, un homme est constitué comme interieur dans la mesure où il se distingue d'une femme, son exterieur. Cependant, ce mécanisme d'ejection - et dont on pourrait prétendre qu'il ne fait que repousser un corps étranger - est en fait le processus qui en vient créer l'interieur et l'exterieur, l'autre, la merde. Ce n'est donc qu'en rejetant un autre définitivement, en se constituant comme surface imperméable, que l'on peut se constituer comme d'un soi stable et défini. Mais une telle construction n'est qu'un fantasme irréalisable et puisqu'el a bien fallu ouvrir le corps pour constituer l'autre. Les frontières du corps dépendent donc d'un contrôle stricte sur les points qui sont permeable ou non. Mettez en cause ces même points de contrôle, et alors le corps s'en retrouve déstabilisé et quelque chose que l'on peut voir assez facilement dans le cadre du sexe anal ou encore du virus du Sida. Cependant, la où Douglas imagine sa métaphore dans le cadre d'une nature désordonnée face à une culture qui la metterait en ordre, Butler y préfère une vision ou le désordre lui-même serait culturel, et permettant ainsi une plus grande maléabilité. Le sujet dépends d'une binarité interieur/exterieur stable, mais dont Butler ne veut pas rendre compte de sa formation. Au contraire, iel s'interesse davantage à la question qu'est-ce qui à permis son ancrage culturel et de quel langage il utilise.
De l'interiorité au genre performatif
Foucault voulait, dans Surveiller et Punir, remettre en cause la trope de l'interiorité et cherchant davantage à montrer en quoi la loi punitive n'est pas interiorisée mais bien plutôt qu'inscrite. La loi punitive ainsi gravée sur le corps, à sa surface, est alors un mécanisme productif qui se cache lui-même et de sorte à créer l'identité que l'on croit première. C'est ainsi dans ce contexte qu'il énonce donc que « l'âme est la prison du corps ». Parce que cette dernière n'est pas seulement produite, inculquée comme étant le soi des prisonniers, mais aussi en ce qu'elle enveloppe litteralement leur corps. Nous avons vu dans le chapitre 2 que Butler utilisait le principe d'incorporation pour décrire la façon dont cette interiorité était construite, et au travers de divers tabou. Adaptant Foucault à son contexte particulier, el s'agit donc pour Butler de réaliser que « la production disciplinaire du genre » (P.258) est le processus qui stabilise le genre et à des fins hétérosexuelles et reproductives. Le genre est performatif; un processus en acte qui se fait à la surface du corps et qui institue l'interiorité, la binarité interieur/exterieur même qui est censée expliquée, refleter, cette surface, et qui en ce sens nous empêche de questionner sa construction. Une telle construction n'est pour autant pas tout à fait volontaire, ni « initiée par une histoire réifiée ni par un sujet » elle resulte « d'une structuration active et diffuse du champ social » (P.251) : un discours. L'ensemble des styles existants et culturellement intelligibles ne sont dès lors que la sedimentation de punitions repétées dans le temps, une répétition que l'on arrive pour autant jamais totalement à interiorisée et tant parce qu'el s'agit là d'une incorporation que parce que les normes ne sont que des ideaux inatteignable.
Conclusion
La discussion qui a ouvert ce livre, celle de la representation, à amenée Butler à conceptualiser les problèmes d'une telle vision. Cependant, desespoir du a l'anti-fondationnalisme et determinisme social ne sont pas les seules choses qui nous restent. Non seulement parce que la politique peut toujours s'effectuer - seulement plus sur des bases fondationnalistes - mais aussi en ce que le sujet à une marge de manoeuvre. Bien que situé par un langage qui le construit et qui ne peut être vu comme d'un simple outil, il n'est pas pour autant totalement determiné par cette même culture, « la signification n'étant [jamais] un acte fondateur [seulement] un processus régulé de répetition » (P.271). La question n'est pas de savoir si el faut, ou non, répeter. N'existant pas d'exterieur au genre le sujet venant au monde se doit d'être pris dans une matrice qui le force à le faire. La question decisive, au fond, est plutôt de savoir comment le faire, comment répéter et ne pas se fonder sur une ontologie qui n'est en réalité rien d'autre qu'une injonction normative associé à un cadre politique determiné.
Avis
Introduction
Comment donc écrire un avis sur Trouble dans le genre ? La question est complexe car, en ce qui me concerne, la question de l'avis est irrémédiablement liée à la question de la temporalité. A l'heure où j'écris ce résumé, j'en suis en effet à ma troisième lecture [28], et une lecture qui me fait encore decouvrire des choses que je n'avais, à l'époque, pas comprise. Elle est complexe car elle n'est pas isolée de tout son contexte. La question ne devrait pas être « comment résumer Trouble dans le genre ? », mais plutôt « Comment résumer mon parcours et au cours du quel Trouble dans le genre m'a accopagné ». Ce livre n'est pas qu'un livre pour moi. Ce livre constitue la grille de lecture même du féminisme et que j'ai appliquée tout au long de mon apprentissage. Une grille qui a pu changer et être déformée par ces même lectures. En reprenant les mots de Wheeler pourrais-je peut-être ainsi dire que « Trouble dans le genre dit au féminisme comment bouger, et le féminisme dit à Trouble dans le genre comment se courber » [29].
Quiconque commencera à lire Trouble dans le genre - et en bonne fois - comprendra immédiatement la raison pour laquelle ce livre à tant été une pierre jetée dans la mare du féminisme. Non seulement discute-t-il d'un sujet jusqu'à là relegé aux marges et que sont la question des normes, mais en plus nous fait-il intégralement repenser la question du genre. Non seulement ouvre-t-il une nouvelle définition de ce dernier, mais en outre le fait-il de sorte à ouvrir les possibilités genrées. Mais c'est dans cette introduction, et avant d'entrer dans le livre en lui-même que je souhaiterais décentrer le mythe du génie. Dans la typographie post-binaire, Camille Circlude et le collectif auquel iel appartient mette en avant dans un cours paragraphe le mythe du génie. En effet, la société individualiste dans laquelle nous habitons rafole des génies et de toute ces figures excentriques en tout genre. Accolées à un mythe de la méritocratie non moins présent, ils nous permettent de sacraliser ces dernians comme des figures divines qu'el nous faille atteindre, sinon chuter toujours plus bas dans la boue. C'est donc dans ce contexte que je souhaiterais expliciter la généalogie qui permit à Butler d'écrire son livre. Car s'el y a bien une chose dont je me suis rendue compte à force de lire, c'est bien que Butler n'était pas « original·e ». A titre d'exemple, la majeure partie de sa reflexion sur la representation dans le chapitre 1 est, selon moi, redevable du féminisme afroamericain et latino des années 70-80. Pensez bell hooks, Andaluza ou encore Davis pour les plus connues. Une reflexion interessante et qui ouvre d'ailleurs la reflexion sur la question de la suprématie blanche [30]. Peut-être pourrait-on alors situer l'originalité de Butler dans le concept de performativité ? Austin y avait deja pensé. Le tabou de l'homosexualité ? Pas de chance, essaie encore : Gayle Rubin. La parodie et l'inversion de la dépendance hétérosexuel/homosexuel ? Pas de chance, Harold Beaver, 1981 et dans Homosexual signs. Ce que je veux mettre en lumière est moins les biais racistes d'une personne comme Butler et qui se sent dispensé·e de mettre des sources et ce, même inconsciemment, plutôt que d'insister sur l'Entstehung dont parle Foucault et à la suite de Nieztche. Butler n'est pas um Ursprung. Butler est um Entstehung, une émérgance qui vient canaliser une multiplicité de discours latent et pour en faire une théorie sur le genre. Bakhounine critiquait Marx pour sa théorie de la valeur et parce qu'elle était fondamentalement impossible. Comment, en effet, supposer assigner une valeur au travail - et même une valeur moyenne - lorsque le travail de n'importe qui se doit d'être compris comme dépendant des travaux des autres ? La société, ce n'est pas quelques individu·es isolé·es qui travaille chacum dans leur coin, c'est la collaboration d'une masse immense de personne.
De quoi parle donc Trouble dans le genre ? La question est complexe car vouloir parler de Trouble dans le genre, c'est comme de se retrouver face à un monument que l'on voudrait peindre. Par où commencer ? La tâche est si gargantuesque. Alors peut-être faudrait-el commencer en douceur, peignons nos premières pierres.
Normes
La question centrale à Trouble dans le genre, on l'a vue, est celle des normes. Le livre fonde son argumentation sur la question de savoir par quels moyen discursif ce qui est généralement admis comme naturel est en réalité construit. Et pourtant, pour toute l'insistance que Butler met sur ce concept, le livre ne parle pas tellement de l'autre versant des normes et va même jusqu'à élider une partie très importante de la question. Dans son livre Vers la normativité queer, Pierre Niedergang insiste sur la nécessité de créer une normativité critique, vitale et communautaire. Toute une partie du livre est d'ailleurs centré sur la question des normes et de leur re-création. A un mouvement queer qui s'est anti-normativisé; à un mouvement qui en est venu, de la critique de l'hétéronormativité qui était son objet initial, à en venir à critiquer tout processus normatif, Niedergang lui oppose une nouvelle norme. Mais comment blamer le mouvement queer lorsque Trouble dans le genre lui-même n'aborde que très peu la question ? Pour toute ses discussions sur la prolifération des genres et sur la question de destabilisation, Butler ne consacre que seulement trois lignes à la question des matrices concurrentes. Butler énonce : « la persistance et la prolifération de telles identités sont une occassion critique d'exposer les limites et les visées regulatrices de ce domaine d'intelligibilité et donc de rendre possible, dans les termes même de cette matrice [...], des matrices concurentes et subversives qui viennent troubler l'ordre du genre » (P.85). Bien sûr, je ne dis pas que la question des normes n'est qu'une question passagère ou même superficiel de Trouble dans le genre; cela serait un non-sens, et nombreux sont les passages où Butler évoque le sujet de la régulation, et que cela soit une régulation genrée ou corporelle.
Corps et materialité
Parlons du corps et de la materialité justement. El fut bien - très - souvent reproché à Butler de mettre sous silence la question de la « materialité », et allant même jusqu'à dire que Butler réduisait tout au langage. En effet, fut-el reproché à Butler de construire les corps de telle façon à ce que le langage en arrive à avoir le pouvoir de modifier des parties corporelles, voir même carrement de créer des parties jusqu'à là inéxistante. C'est une critique très courante, et nous en avons un exemple dans l'article de Delphy L'invention du french feminism (L'ennemi principal, II). Mais qu'en est-el réellement ? La question est en réalité un peu plus complexe qu'el n'y paraît, et ne serait-ce parce que je pense que Butler se réapproprit la question de la materialité sous un angle peu commun. En effet, vers la fin du chapitre 2, Butler se tourne-t-iel vers Freud, la mélancolie et la question de l'incorporation. Selon Butler, l'incorporation doit être compris comme d'un espace interieur fantasmé par le sujet et construit comme tel. Imaginant le corps comme d'un espace fantasmé, Butler en vient à dire que « [l]a surface sexuée du corps émerge donc comme le signe d'une identité [...] La perte refusée de l'homosexualité et l'amour préservé ou enseveli dans les parties du corps lui-même, deviennent litteralement des fait prétenduement anatomiques du sexe » (P.167). Pas étonnant donc que certaines personnes ai pu le prendre ainsi. Mais la question est-elle close ? Dans l'article Gender as performance publié en 93' et dans lequel Butler se fait interviewer, cette question lui est posée : « Et qu'en est-il du corps ? Vous semblez voir les corps comme construit de façon disciplinaire et discursive. Certains diraient que vous n'adressez pas suffisement la question biologique. Par exemple, pourquoi un corps capable d'enfanter n'est-il jamais construit comme un corps masculin ? Il y a certaines contraintes sur le langage que vous ne semblez pas prendre en compte [...] Et si vous ne dites rien à ce sujet, nous pourrions croire que vous n'acceptez aucune limite ». Et Butler, très judicieusement, de répondre : « Mais n'est-ce pas ce dont tout le monde parle déjà ? [...] Je ne nie pas certaines différences biologiques. Mais je me demande toujours dans quelles conditions, dans quel cadre discursif et institutionnels, en vient-on à insister sur le fait que certaines caractéristiques biologiques - et ce n'est pas une nécessité au vu de la myriade des corps qui existe en ce monde - définissent le sexe ». Et de façon, contradictoire peut-être, en viendrais-je même à dire que Butler prends en compte la question du corps dans son analyse. Ce n'est peut-être pas une analyse materialiste du corps, el existe des passages où Butler évoque les violences faites au corps. Par exemple, dans le chapitre 3 utilise-t-iel Foucault et son régime disciplinaire pour montrer que le genre est inscrit à la surface des corps et ce, comme d'une méthode punitive. N'est-ce pas là une façon d'ouvrir la discussion sur la materialité ? En ce sens, je serais très curieuse de voir le nombre de critique de Butler sur ce point et qui sont aussi materialiste.
Evoquant la question du corps, peut-être pourrrais-je maintenant passer à la question du sexe. La question de la construction du sexe n'est pas nouvelle dans le féminisme, et on ne la doit décidement pas à Butler. Wittig, Delphy, et plus généralement le féminisme materialiste avaient déjà traitées de la question. Cependant, l'un des nombreux bons point que je trouve à Trouble dans le genre est la profondeur avec laquelle Butler met en crise le concept. Contrairement à Deplhy ou même Wittig qui n'y passe qu'une section dans un article, Butler ne cesse de revenir sur cette même question tout au long de son livre : « qu'est-ce qui fait le corps ». Le chapitre 1 est d'ailleurs à ce titre exemplaire et puisqu'il permet à Butler de "concevoir" une nouvelle définition du genre : le genre comme création du sexe. Le sexe n'est dès lors plus compris comme d'un seul rassemblement de caractéristique divers et variées - et aussi causales soient-elles - mais bien plutôt de se processus même de rassemblement et d'exclusion.
Identité et transitude
Lié au corps est bien evidemment la question de l'identité et un autre point sur lesquels Butler s'attarde. Sur ce point est-el d'ailleurs interessant de noter qu'un livre qui, à la base, ne souhaitais que* remettre en question la polarité authentique/imitation à eu une reception aussi large. Je continue ainsi de penser que, si Trouble dans le genre à une une aussi grande reception, c'est aussi parce qu'il a permis quelque chose que le materialisme n'aurait jamais pu espérer faire, et même dans ces rêves les plus fous : créer des communautés. Je ne suis bien sûr pas en train de dire que le féminisme était jusqu'à Butler l'activité de personnes isolées, et que Butler leur a permis·e de se rassembler. Non, bien sur que non, et même en sortant de la poralité queer/materialisme suis-je tout à fait consciente des communautés gaies et lesbienne qui existaient deja. Cependant, si Trouble dans le genre à pu parler aux gens, c'est selon moi avant tout de part son " ouverture ". Face à un materialisme/radicalisme - et qu'on se le dise - franchement moralisateur, Trouble dans le genre met un pied dans la porte et pour dire, " ne vous en faites pas, vivez comme vous le sentez ". Face à des courants qui jusqu'à lors considérait le genre comme d'une oppression, Trouble dans le genre cherche plus à s'occuper de la partie descriptive du genre.
Théoriquement la question de l'identité est-elle aussi très interessante. Comme l'explique très justement Isabell Dahms dans son article Always Trouble, le concept de l'identité de genre provient à la base de John Money (oui, ce Money [31]) et en tant que tel s'agit-el à la base d'un concept... on va dire pas ouf. Comme l'explique Dahms, le concept n'était à la base pas distingué du sexe; tout au plus en était-il une sorte d'extension culturel. Butler ne fera reference à Money que dix ans plus tards et dans son article Rendre justice à David; mais deja Trouble dans le genre amorce-t-il une critique du concept d'identité de genre et conçut comme d'un « noyau dur de l'être ». Butler pour qui l'être n'a pas d'existence se refuse ainsi de supposer quelque chose qui puisse arriver avant le discours, avant la société. C'est une question posée indirectement à toute personnes faisant de prédispositions la base de leur théorie. Je pense ici tout particulièrement à Julia Serano dans Whipping Girl. Serano, dans son livre de 2002, théorise en sa qualité de biologiste ce qu'elle nomme le sexe inconscient et de sorte à expliquer les personnes trans. D'accord, et donc ? Cet avis n'est pas un avis sur Whipping Girl - un livre que, de toute façon je n'ai jamais fini à l'heure ou j'écris ces lignes - mais peut-être pourrais-je m'attarder sur ce concept. Car non seulement le principe de sexe inconscient - aussi rassurant soit-il pour les personnes trans et en ce qu'il ancre notre identité dans la biologie - tend-il à renforcer la métaphore du mauvais corps; mais en plus tombe-t-il potentiellement dans la critique des prédispositions dont je parlais. En effet, on aura beau parler d'un sexe inconscient comme d'une modalité entre deux pôles que sont l'homme et la femme qu'on aura toujours pas expliquer leur formation et qu'en plus on passera à côté de nombreuses identités. Si, effectivement, et comme de nombreuses personnes trans l'invoque : « je le sais depuis toujours », que dire alors de ces personnes qui se sont senties non-binaire ou agenre ? Et n'est-ce pas là refaire une séparation problématique que de dire que le cerveau n'est cablé inconsciemment qu'au travers de certaines configurations - ou tout du moins lors de la formation première de l'identité ? La théorie de Serano peut être facilement étendue et de sorte à incorporer [32] les identités de genre minoritaire. Mais cela n'est pas l'angle que je voudrais prendre, et plutôt souhaterais-je insister sur le fait que la biologie - et comme elle le dit très justement dans son livre Excluded, et ici en accord avec Connell - ne peut qu'être que cela, un facteur et que toute " preuve " que la (neuro)biologie trouvera ne sera jamais rien d'autre qu'une statistique, comprendre quelque chose qui n'a individuellement aucun sens. A une tendance dans laquelle Butler tends tout de même un peu, et que Serano à très justement appelée les « artificieuxse du genre » (ma traduction), el ne s'agit pourtant pas de dire qu'el n'y absolument que du social et en ce que ela serait retomber dans une binarité nature/culture problématique.
J'évoquais plus haut le fait que Trouble dans le genre s'occupait davantage de la partie descriptive du genre. Cela est pour moi tant un avantage qu'un inconvenient. Un avantage car, dans un premier temps, cela permet-el, selon moi, d'insister sur un fait qui est devenu pour l'axiome majoritaire de ma pensée actuel : perscriptif et descriptif ne sont pas une seule et même chose. A Dworkin qui pense par exemple que les femmes sont defini par leur sexualité et leurs rôles de genre - comprendre imposition d'un rôle social basé sur le sexe - et que tout dans cette description est oppressif, que je pense au contraire que prescriptif et descriptif sont des cercles avec une intersection non-vide. Un inconvenient cependant parce que, et comme le dit très justement Vivianne Namaste, une telle théorisation n'est en aucun cas politiquement utile aux personnes trans. En effet, el est bien belleau de dire qu'aucune identité n'est vrai ou fausse, mais cela n'aide aucunement les personnes trans et pour qui leur identité ne sont, dans tout les cas, pas reconnues. Rejeté·es aux marges de la société, dans l'abject, une telle théorie ne fait pas sens pour elleux. Et bien que je reconnaisse la critique que je souhaiterais, pour ma part, la nuancer. Non seulement en ce qu'une théorie, je pense, n'a pas foncièrement besoin de s'interesser aux personnes trans [33]; mais aussi, et surtout peut-être, parce que cela ne fut jamais l'intention de Butler. Dur dès lors de critiquer Butler pour ne pas rendre compte des personnes trans, et quand la théorie ne fut jamais dans le but de nous expliquer. On peut critiquer Butler pour pour ne pas nous avoir pris·es en compte - et, tel que l'ont énoncées Putscher et Meyer dans leur article, on doit - que je pense tout de même que la question est legerement plus complexe.
Psychanalyse et performativité
Ceci dit, peut-être pourrais-je passer à la question de la psychanalyse, de la performativité et donc, de la théorie de Butler en tant que tel.
J'ai, pour le dire simplement, une relation ambivalente à la psychanalyse. Ma première lecture m'avait en ce sens déçue et puisque c'est grâce à elle que j'ai pu me rendre compte du fait que Butler " est " psychanalyste [34]. Cependant, ma troisième lecture, et dans laquelle j'ai pu approfondir la question psychanalytique, complique les choses. Que dit la théorie de Butler ? La théorie de Butler sur le genre le considère comme une mélancolie. Dés-hétérosexualisant l'oeuvre de Freud, Butler l'utilise pour expliquer la formation du genre. Dans une telle conception, la chose première chez Butler est la culture. Loin de la biologie ou d'une fin de phrase abrupte [35] l'identité de genre se forme-t-elle en excluant. En effet, selon Butler - et l'un des points fort de la psychanalyse - le sujet se forme-t-il au travers d'une forclusion. Comme iel l'énonce très bien dans Changing the subject, la forclusion est théorisée par Lacan comme de ce moment dans la vie psychique d'um individu·e où el se forme au travers du rejet préventif d'un quelque chose qui, puisqu'il est rejeté comme de ce qui forme le sujet, en devient inconnu pour ce dernier. Cependant, loin de considérer cette forclusion comme du moment fondateur du sujet, Butler insiste pour penser qu'une telle forclusion peut se reproduire plus tard dans la vie. Loin d'un determinisme, la force de Butler provient de la réalisation que, cette forclusion qui rejette pour créer le sujet peut, en grandissant, revenir à l'assaut comme d'une possibilité pour cef même sujet. Pouvant accepter ou non cette possibilité - et la voyant comme ce qui peut defaire le sujet si elle venait à l'être - une telle acceptance re-créer cependant le sujet sur de nouvelles bases, elle-même excluant à nouveau d'autres positions.
Mais qu'en est-el de l'acte qui, s'el n'est pas fondateur, est tout du moins determinant dans la formation de l'identité : de la première forclusion. La forclusion première pour Butler est le tabou de l'homosexualité. Cette conception est interessante en ce qu'elle permet d'expliquer les prédispositions de Freud et pour qui le tabou de l'inceste est premier. Dans la conception initiale de Freud, la future fille - par exemple - se doit de s'attacher à son père (la raison importe peu [36]) et de le rejeter ensuite par tabou de l'inceste. Ainsi, soit elle déplacera seulement l'objet d'amour et deviendra hétéro, soit elle abandonnera en plus son désir, et deviendra homo; les deux désirs (masculin et feminin existant en elle). Or, une telle conception n'explique pas pourquoi la fille devrait s'attacher plus à son père que à sa mère. Ce que Butler fait, dès lors, est d'expliquer ce mouvement, et au travers d'un tabou de l'homosexualité culturel et qui vient prevenir la possibilité de le faire. Suite à cela, la mélancolie peut-elle commencer. Se voyant rejeter son amour au père, la futur fille va-t-elle incorporer l'identité masculine de son père comme d'un interdit. Dit autrement, ce qui était dans un premier temps un interdit exterieur va se retourner en un interdit interieur, empêchant la fille de devenir un homme, et la fondant ainsi en fille. Mais, et contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'incorporation dont parle Butler n'est en rien une interiorisation. Comme nous l'avons vu plus haut, Butler se refuse de concevoir un noyau dur du genre, et ainsi conçoit-iel le genre comme d'une inscription à la surface du corps et qui ne prends la forme interieure que par un fantasme de cette forme même. Car, en réalité, la première mélancolie ne suffit pas. Certes elle fonde un sujet temporaire, mais pour que l'espace interieur fantasmé puisse exister, encore faut-el de la répétition. Entre la performativité. Le genre n'a pas d'existence en dehors des actes qui le fonde, et ainsi le mécanisme productif d'inscription est-il caché au travers de cette répétition qui en vient à consolider cette identité.
Comme on peut donc le voir, la théorie de Butler, et bien qu'elle prenne appuis sur quelques élements psychanalytique, n'est pas - à proprement parler - elle-même psychanalytique, la peur que j'avais eu dans ma première lecture venant de ma comprehension passé du l'Oedipe et de la croyance que Butler l'utilisait dans sa forme misogyne. Au contraire, nous avons là une théorie qui permet d'expliciter l'hétéro, l'homo et la bisexualité et au travers d'un tabou de l'homosexualité qui peut, de façon contingente, rater - et ne serait-ce que partiellement. Mais, le réel avantage de la théorie de Butler est selon moi sa flexibilité culturelle. J'évoquais plutôt rapidement que la fille s'identifiait au père en l'incorporant comme interdit. Mais qu'est-ce qui permet de savoir qui est le père ? Dans sa théorisation, le sexe est ici la variable utilisée (ou plutôt faudrait-el parler d'anatomie ici ?). Quelqu'un de " sexe " masculin devrait donc, en toute logique devenir un homme de façon deterministe et de part l'incorporation mélancolique de sa mère. En sommes-nous réellement sur ? Dans la théorie de Butler, rien ne permet d'affirmer que l'incorporation de l'interdit fonctionne totalement, et el s'agit même d'ailleurs d'un gros point de la psychanalyse que de postuler que les interiorisation peuvent, et effectivement, ratent. Ainsi, non seulement en vient-on a expliquer les genres et sexualités " basiques ", mais en plus peut-on pousser jusqu'aux personnes trans binaire ! Mais qu'en est-el du reste ? Cette conception ne laisse-t-elle pas de côté les personnes agenres, non-binaires ou même genderfluid ? Mais qui nous dit donc qu'el n'existe qu'un seul tabou, celui de l'homosexualité ? La beauté, selon moi, de la théorie de Butler est de prévoir, sans pour autant les dicter, les autres formes de genre que l'on a pas encore véçus. Car outre le tabou de l'homosexualité qui infuse notre société, qu'est-ce qui nous empêche de penser de la même façon un tabou agenre ou non-binaire ? [37]
J'ai, cependant, quelques reserves sur la théorie de Butler. Car quand bien même cette dernière est-elle des plus interessante qu'elle continue à penser la famille comme de la famille nucléaire. Cela explique en effet nombre des familles à l'heure actuelles, mais que dire de la parenté lesbienne ou encore des personnes célibataires ? Surement ces formes de familles ci ne sont elles pas pathologiques ? Et que dire des relations polyamoureuses ? Sans discuter du polyamour et dont, je doute que Butler en avait connaissance, et même dans les années 2000, un premier element de réponse est donné dans son article La parenté est-elle toujours déjà hétérosexuel. Sans l'avoir relue en détail (ça va venir), le détail qui m'a frappé en le feuilltant fut le fait de considérer l'Oedipe, non plus comme d'une parenté mère-père-enfant, mais bien plutôt comme d'une triangularité abstraite qui pourrait prendre plusieurs formes selon les contextes. Mais, je suis aussi perplexe quant à la question de la loi. Je reviendrais plus tard sur la question de l'abolition de genre et de son status par rapport à cette loi, mais puis-je deja dire ici que je suis empreinte d'une certaine confusion. Car pour toute sa théorisation, j'ai du mal à voir comment un tabou de l'inceste puisse exister. J'imagine un tabou de l'homosexualité, mais j'ai du mal à me representer un tabou de l'inceste culturellement institué. En bref, les " loi " psychanalytique me semblent confuse, vague, j'ai du mal a les saisir et, partant, a en imaginer leur réalité.
Concernant la performativité maintenant. Nombres de personnes ont vues dans la théorie de Butler une vision volontariste et comme si on pouvait choisir son genre. J'espère avoir montré dans mon résumé que cela n'est absolument pas la vision de Butler et pour qui, le langage, loin d'être un simple outil que nous utilisons pour parler, est aussi quelque chose qui nous utilise et nous forme [38]. Je lisais recemment un livre, compilation d'articles scientifique, et dont l'un évoquait la plasticité du cerveau. « Butler ! » me suis-je alors exclamée en mon fort interieur. La théorie de la performativité à cela de bien qu'elle est partiellement scientifiquement validée, ou tout du moins est-ce là une tendance. Un manquement de la théorie, cependant, est son rapport à la race. Dans l'article d'Isabell Dhams que j'ai citée plus haut, l'auteurice évoque justement que le genre n'est pas qu'un faire, c'est aussi un dé-faire. Ainsi, et malgré les efforts de Butler pour théoriser (certes partiellement) un dé-faire dans son livre défaire le genre, que Dhams critique-t-iel Butler pour ne pas prendre en compte ce point de vue. S'appuyant sur des ouvrages traitant de la traite esclavagiste, ecrit-iel que tels étaient des processus qui, loin de faire le genre, déshumanisait, et donc le defaisait.
Foucault, la question du pouvoir et l'anarchisme
La question du pouvoir chez Foucault et des discours qui y sont liés est pour le moins complexe, et je souhaiterais en ce sens ne m'arrêter que sur un seul point, la fixité de ce dernier. Dans le tome I de l'histoire de la sexualité, Foucault défini le pouvoir comme des rapports de forces immanents au domaine considéré. Cette définition est interessante et en ce qu'elle se rapproche d'une vision plus anarchiste du pouvoir. En effet, des auteurices tel·les que Ursula K. Le Guin ou encore Nicolas Walter ont-els pu, plus ou moins explicitement, mettre en avant que le pouvoir est quelque chose auquel nous devrions toujours faire attention. A titre d'exemple Le Guin évoque-t-elle justement cette question dans Les dépossédés, montrant qu'une société anarchiste est toujours à refaire et que les institutions et la bureaucratie qui y sont liés peuvent toujours réapparaitre. Cependant, là où une vision anarchiste du pouvoir diverge-t-elle de Foucault me semble se trouver dans l'amalgame que ce dernier opère. Quand bien même nous assure-t-il que le pouvoir vient du bas, et que ce n'est que lorsqu'il se réifie qu'il devient institution, qu'el me semble que Foucault conçoit le pouvoir comme toujours déjà présent. Or, ceci est un problème selon moi lorsque la théorie qu'il souhaite developpée ne fait pas assez le distingo entre les différentes modalités de pouvoir. Ne distinguant pas spécifiquement entre expertise, norme, hiérarchie et autorité; Foucault me semble décrire une sorte de pessimisme. Comment puis-je me dire qu'el ne s'agisse pas - tout du moins en partie - d'une théorie deterministe et lorsque la théorie ne fait pas la différence entre une pouvoir fort (une hiérarchie par exemple) et un pouvoir latent (une expertise). De par son amalgame, Foucault semble donc nous dire " El y aura toujours des hiérarchies " [39]. El n'est donc pas étonant que cette ambiance pessimiste se retrouve aussi chez Butler. En effet, iel a beau insister sur la nécessité de la subversion comme d'une méthode de perturbation des normes de genre, qu'à la lecture de Trouble dans le genre, j'ai tout autant cette impression que les normes ne changerons jamais totalement. Si le pouvoir est toujours déjà là, et que nous ne pouvons pas le refuser, alors que faire ? El faut reconnaitre que la lecture que je fais jusqu'à lors de Butler et de Foucault est quelque peu biaisé. En effet, Foucault nous apprend-t-il dans Le gouvernement des vivants qu'aucun pouvoir n'est inévitable, et Butler nous parle-t-iel dans le présent livre du fait que nous pouvons redeployer le pouvoir - et donc, j'imagine, le reconfigurer. Ainsi, plus que d'un pessimisme s'agirait-el d'une mise en garde ?
On reconnait les limites d'une théorie à une chose : les cas limites. Or, el me semble justement que la fixité du pouvoir constitue ce cas limite même chez Trouble dans le genre. Ne discutant pas assez de la question de savoir comment le pouvoir en est-el venu à se former - de qu'est-ce que le pouvoir - que quand bien même Butler nous assure-t-iel que l'on a une marge de manoeuvre, que j'ai du mal à y voir un jeu autre qu'individuel [40]. Voulant (potentiellement) à tout prix barrer la route à l'abolitionisme de genre que la théorie en est venue à pencher de l'autre côté.
Parlons abolitionnisme justement. Pour toute les remarques que j'ai pu précedemment faire, Butler nous permet-iel de mettre un hola à l'abolitionnisme. A l'encontre d'une vision Marxienne de la révolution et dans laquelle nous serions débarassé·es du genre une fois pour toute, Butler nous permet au contraire de penser un combat continuel. Je l'évoquais dans la note 21, et je continue en ce sens à penser que le langage n'est pas qu'un outil que l'on peut utiliser pour se liberer et comme si nous pouvions le manipuler à notre guise. A l'état dont on peut, je pense, faire sans, el nous est impossible de ne pas utiliser le langage, ce langage même qui nous conditionne et qui limite notre façon de penser. Vouloir totalement sortir du genre n'est encore et toujours qu'une ruse du genre pour pouvoir se reinstaurer et en ce sens suis-je d'avis qu'une liberation passera-t-elle plus par une multiplication. Etant ici d'accord avec Butler dans sa préface de 99' et lorsqu'iel énonce en page 26 qu'iel est d'avis qu'une théorie féministe qui réduit les possibilités genrées est une théorie à mettre à la poubelle, cela est la raison même pour laquelle je ne pourrais jamais me résoudre à un abolitionnisme " total " [41]. J'accepte une certaine forme d'abolitionnisme, et je suis moi-même pour la suppression du genre à l'état civil, mais la norme créant son exterieur, je ne suis pas d'avis que l'abolitionnisme doit être une excuse pour laisser un vide conceptuel. Dans ce contexte, quel est le status de la loi psychanalitique ? La loi psychanalytique, si l'on y croit, vient renforcer une telle position. N'existant pas de sexualité avant la loi, postuler une telle possibilité n'est encore et toujours qu'une arnaque de cette dernière. Et si l'argument semble similaire, c'est parce qu'il l'est, la loi étant, je pense, en définitifve une forme de pouvoir.
J'évoquais précedemment l'anarchie. Et pour cause, la pensée queer a-t-elle, et comme on a pu le voir ici, des liens avec cette dernière. Ce n'est selon moi pas un hasard que l'adjectif que j'entendis en premier fut anarcho-queer et non pas queer-radical. La pensée queer, de par sa vision d'une lutte permanente est-elle en ce sens opposé au materialisme et sa vision sous forme de classes. Ce n'est bien sûr pas à dire que le queer et l'anarchisme soient des visions semblables; mais toujours est-el que je pense que ce n'est pas pour rien que, à force de lire, j'en sois venue à faire un parallèle entre queer et materialisme/radical d'un côté, et anarchisme / marxisme de l'autre.
Et pour finir, pourrais-je peut-être dire que, si le genre est construit, s'il est une répétition permanente, si les hommes et les femmes ne sont pas des données de la nature en définitive, alors dois-je avouer que, personnellement, j'en tire une conclusion bien différente de " les hommes seront toujours des oppresseurs ". Et je veux vraiment insister sur ce point puisqu'el s'agit selon moi du point théorique positif du féminisme post-moderne. En fait, et à contrario, j'ai l'impression que chez nombre de Materialistes, l'analyse se faisant au travers d'un cadre binaire et hiérarchique - et tout à fait pertinent cela dit - la possibilité même que le genre comme interprétation culturelle du corps soit possible de façon planaire est rejetée d'emblée; et ce que le queer vient, selon moi, moduler.
Critiques diverses
Sont-ce là les seules critiques que l'on puisse adresser à Trouble dans le genre, ais-je fais le tour ? A peine. Les diverses critiques que j'ai pu évoquer tout au long de cet avis ne sont que la surface de l'iceberg (et tout comme le positif que l'on pourrait en dire), et en ce sens voudrais-je ici passer un peu de temps sur les critiques Sedgwickienne de Trouble dans le genre.
Dans son livre Touching feelings, Sedgwick fait plusieurs remarques très interessante à propos de Trouble dans le genre, et j'aimerais ici me concentrer sur une remarque en particulier. En effet, outre ce que j'appelle la critique cybernetique et la critique paranoiaque (et j'invite a aller voir mon résumé associé), l'autrice fait elle en effet une critique spatial. Dans le deuxième chapitre de son livre, Sedgwick utilise l'exemple du drag de Trouble dans le genre, et pour le retourner contre lui-même. Butler le disait très bien iel-même et dans la dernière section du chapitre 3, Trouble dans le genre propose de concevoir le genre comme d'une temporalité, ou de ce que Dhams appelle une ontologie sociale. Or, une telle vision, et aussi importante soit-elle, est un peu trop réductrice. En effet, le drag, nous dit Sedgwick, n'est pas qu'une question de temporalité. La temporalité y est certes important et la performance centrale, mais el ne serait y avoir de drag sans audience, sans espace. Associant cette idée à celle selon laquelle le soucis majeur de Trouble dans le genre est la demande epistemologique forte et visible dans le fait que tout langage est performatif, Sedgwick propose de prendre un peu de recul et de introduire de l'espace dans le performatif. C'est ainsi que l'autrice fait naitre le concept de periperformatif. Des énoncés qui ne sont pas performatifs en tant que tel, mais qui font référence à des qui en sont.
Le cas Wittig
J'ai laissée ce dernier cas pour la fin, et sachant que je voulais relire la pensée Straight avant de la rediger. Car si el est bien une chose pour laquelle Trouble dans le genre soit aussi connue, c'est bien sa mauvaise lecture de Wittig. Reprenons la pensée de Butler à propos de Wittig. Butler voit dans Wittig une humaniste classique qui conçoit un sujet souverain capable d'utiliser la langue à sa guise pour se libérer, et qui puisse modifier les institutions. Ces dernières, formées à partir d'un contrat social hétérosexuel, seraient en réalités un voil. Loin de représenter la verité vraie, elles cacheraient une autre couche de réalité et dans laquelle tout le monde serait egal. Dans cette optique, Wittig enjoindrait tout le monde a devenir lesbienne, refusant radicalement l'hétérosexualité, et une vision que Butler abore en ce qu'elle impliquerait l'utilisation de la tactique de l'oppresseur. Car si tout le monde devient lesbienne, alors qui peut croire que cette catégorie ne finirait pas par devenir hégémonique à son tour, une catégorie qui, de plus, aurait besoin de l'hétérosexualité - devenue sa marge - pour fonctionner. Reconnaissant tout de même des points positif dans Wittig, Butler sépare la Wittig " théorique " de la Wittig " litteraire ", cette dernière proposant de devenir quelque chose d'inintelligible dans le langage straight, et une pensée proche de la prolifération des identités de Trouble dans le genre.
La pensée de Butler à propos de Wittig est en effet partiellement une incompréhension. Car quand bien même suis-je d'accord avec Butler pour dire que Wittig conçoit l'hétérosexualité comme d'un regime totalisant (et je m'arrête là, là où Butler dit que Wittig universalise la pensée straight) et qu'elle est fondamentalement humaniste que sa critique de l'universalisme est-elle mé-placée. Butler considère que la lesbienne est totalement hors de l'hétérosexualité. Or, cela est très loin de ce que dit Wittig et pour qui, une telle société lesbienne n'existe pas au sens propre du terme et évoquant notemment dans une note à On ne nait pas femme que les lesbiennes ne sont pas en dehors du système. Or, si les lesbiennes ne peuvent pas completement sortir du système, si être lesbienne est en définitive un mieux face au pire, c'est alors que la conceptualisation de Butler de Wittig comme faisant une binarité ne tiens plus. Wittig n'a jamais affirmer vouloir remplacer l'Un par l'Autre (et le dit-elle clairement dans Homo Sum) et en ce sens son mécanisme d'universalisation ne peut-il être compris - dans son but avoué (et non ses conséquences involontaires si elles adviennent) - comme d'un simple renversement des termes. Finissant par comprendre cela que Butler a-t-iel d'ailleurs consacré·e un article en 2007 à ce même sujet. Dans Wittig's material practice iel écrit que « quelque soit l'inversion de pouvoir prends place [dans l'analyse Wittigienne], elle ne fera pas que renverser les positions sans changer radicalement le cadre de configuration du pouvoir lui-même. Quelque chose, si ce n'est brutal, à tout le moins fracturant doit arriver au cadre lui-même [...] Le but de cette approche n'est pas de féminiser le monde, mais de rendre les catégories de sexes obsolètes dans le langage ». L'universalisation de Wittig n'est pas un mécanisme de renversement du pouvoir, ce n'est pas un remplacement de l'Un par l'Autre, mais un mécanisme pour briser la frontière entre les deux.
Conclusion
Que dire de Trouble dans le genre ? J'ai commencée cet avis en evoquant quelques point qui montrait l'importance que Trouble dans le genre à pu avoir à sa sortie. Or, un avis plus tard, nous pouvons nous rendre compte que ces points sont bien plus nombreux. Plus explicitement - et puisque mon avis positif s'est un peu fait en creux des critiques - les points que je trouve positif à Trouble dans le genre sont :
1. Une remise en cause profonde de ce que l'on appelle le corps, le sexe et l'identité. Non seulement Butler montre-t-iel que le concept d'identité de genre tel qu'invoquer par Money ne tiens pas, mais en plus la reflexion va-t-elle plus loin et en ce qu'elle nous permets de remettre en cause la naturalité des corps. Pourquoi donc se concentrer sur les organes génitaux ? Est-ce là vraiment le sexe ? Et quel interet y-a-t-il à avoir une telle catégorie ? Des questions qui avaient deja été traitées par le féminisme materialistes se voient ici approfondis d'une manière que j'apprécie beaucoup.
2. La question des normes. La question des normes est aussi très interessante. Me fondant en "sujet" plutôt postmoderne, elle permet d'articuler comment l'oppression n'est pas une cause unique. Dans Penser le sexe Gayle Rubin evoque le fait que le Marxisme ne serait être l'alpha et l'omega de la pensée contemporaine, et comme si une seule structure suffisait à expliquer toutes les oppressions. C'est quelque chose qui est ici approfondis et en ce qu'on comprends bien comment les normes de genres, diverses et variées, influe sur nous pour nous situer.
3. Le performatif. Lors de la 3e lecture, j'ai pu approfondir la question de la performativité, et j'ai en ce sens mieux compris la question qui y était associée, celle de l'interiorité. Et je dois avouer que le concept d'incorporation comme d'un espace interieur fantasmé est très interessant. J'ai bien sur un biais en ce que je suis deja plus ou moins convaincue, mais l'idée n'en reste pas moins provocante.
Je reste cependant ambivalente sur la question psychanalytique, et quand bien même cette 3e lecture me fait-elle quelque peu changer d'avis. Comme je l'évoquais dans la section associée, je pense qu'à l'heure qu'el est, le point qui me dérange le plus est " la preuve " des tabous dont parle Butler. Comprenant que l'Oedipe était réutilisé par Butler de manière non-problématique - et quoiqu'un peu limité - l'ensemble de sa reflexion se base-t-elle sur le présupposé que ces tabou existe. Or, el ne suffit pas de dire que cela est le cas pour que cela le soit, et surtout quand le tabou de l'inceste tel que conçu par Freud (et donc en tant qu'interdit morale) semble avoir été debunké (askip). Je ne nie absolument pas qu'el existe de l'homophobie dans la sphère comptemporaine, et je conçois très bien que dans une periode où le virus du VIH était au stade d'épidémie, un tel tabou puisse exister dans toute la société. Mais j'imagine que je n'ai pas encore assez d'exemple sociologique en tête pour me dire " oui, cela existe encore dans la petite enfance, et assez pour pouvoir structurer l'identité de la majeure partie des gens ". Passant le cas évident de la famille - et qui est bien plus ouvert (dépendant des gens) qu'el y a quelques années - l'école est le premier lieu auquel je pense. Elle est certes un lieu de sociabilisation renforcant les normes de genre, mais n'ayant pas d'exemples, je ne sais pas dans quelle mesure - et à partir de quand - le fait-elle concernant l'homosexualité.
Enfin, mon propos n'est pas ici de faire une critique du mouvement queer et puisque je ne m'occupe ici que de Trouble dans le genre, mais je trouve tout de même important de faire le lien. Je le disais plus haut, toute théorie à des limites que l'on peut observer de par les " cas extremes " qui en découlent. Une bonne façon de critiquer une vision est aussi d'en faire la deconstruction, c'est-à-dire de prendre ses élements constitutifs et de montrer ce que le raisonnement exclu. Dans le cas présent, de partir des hypothèses de travail. Quelles sont donc les hypothèses de Trouble dans le genre, et plus largement du mouvement queer qui est venu à sa suite ? Ce livre considère le genre et la sexualité comme fluides. De plus, vu·es comme fluide, la subversion est le moyen politique de casser la solidité et la naturalité de ces dernians. Or, en poussant cette vision à son paroxysme, on en vient très logiquement à la pensée que Nidergang appelle le romantisme de la subversion et où toute personne qui ne cherche pas à être visiblement queer, où toute personne qui ne cherche pas à mettre en cause 24h/24h la binarité de genre, en vient à être décriée comme um traitre qui la réifie. Or, comment pouvait-el en être autrement et à partir du moment où la subversion ne fait que s'élever envers et contre une hégémonie. Placé ainsi, on se retrouve dès lors dans une enième pensée binaire (c'est la critique cybernétique de Sedgwick +-).
En somme, Trouble dans le genre reste un excellent livre qui, malgré sa difficulté d'accès et ses manquements, n'en reste pas moins une des oeuvres les plus importantes du féminisme comtemporain, et un livre dont je pourrais parler pendant très longtemps (je n'ai que brièvement évoquée la critique cybernétique, je n'ai pas du tout évoquée la critique paranoiaque ni même le binarisme problématique verbal/non-verbal; et sans même parler de la critique ontologique. Je n’ai en outre pas du tout parler des coalitions et de la question de l’universalisme). Et alors que j'ai affirmée plus haut une certaine tendance pessimiste et individuelle, tout du moins dans la pratique, que je suis aussi tout à fait d'accord avec Tamlyn February lorsqu'iel énonce dans Butler on Wittig: From One Radical to Another Regarding Strategies of Emancipation que la vision de Butler est plus radicale que celle de l'abolition - et dirais-je totale - et de part son redeploiement de l'identité. A Escalante dans Gender Nihilism qui critique le queer pour n'être qu'une multiplication des identités au sein de l'hétérosexualité et puisque « le socle même de telles politiques [queer, trans etc.] est fondée dans la logique de l'identité qui est elle-même une forme de discours et de pouvoir », aimerais-je repondre que, quand bien même j'accepte la critique anti-capitaliste du queer que je n'accepte pas cette dernière. Défaire la binarité de genre n'est selon moi pas seulement une question de " multiplier les identités au sein de la même matrice ". Une telle conception ne fait que laisser en place l'ordre dominant, et ainsi suis-je d'avis que " breaking the binary " se doit de signifier plus, de signifier un monde dans lequel la binarité même n'existe plus (et donc les institutions qui y sont liés). Redeployer l'identité, c'est cependant prendre une healthy dose de pessimisme et réaliser qu'el y aura toujours de l'identité. La question n'est pas de savoir si « la liste grandissante et toujours plus nuancée des labels [...] ne merite pas l'effort », mais si cela est possible.
Notes :
[1] Ce n'est plus ou moins " que " parce qu'on cherche à representer les femmes qu'une tel groupe existe.
[2] Butler énonce que « [l]es structures juridiques du langage et de la politique constituent le champ comptemporain du pouvoir » et que c'est donc « pourquoi il n'y a pas de position possible qui soit exterieur à ce champ » (P.65). Sans revenir sur l'ensemble des critiques de Foucault, ce dernier à tout de même une vision du pouvoir très - trop - large et très forte/homogène; et en ce sens serais-je d'avis qu'el y a tout de même une marge de manoeuvre. J'accepte l'idée d'être plus ou moins toujours pris dans des scheme de pouvoir, et ne serait-ce que linguistiquement parlant. Cependant, pour quiconque ne cherche pas la representation (et donc le pouvoir) que je pense que l'on puisse s'en extraire partiellement, et pourquoi je pense tout de même cette reflexion anar-friendly.
[3] Respectivement, Sous les yeux de l'Occident, De la marge au centre et La pensée Straight (si je ne m'abuse). L'absence de sources et le fait que je doive par moi-même les rajouter est une preuve du racisme systémique qu'évoque bell hooks dans rage assassine; et une des raisons qui me pousse à ne pas attribuer à Butler le label d'intersectionnel, et malgré une analyse prenant en compte - tout du moins légerement - divers axes d'oppressions.
[4] On a ici une interprétation possible en terme de " fausse conscience ", un peu à la Marx, et qui est une pente glissante.
[5] Si je peux me permettre une note un peu plus personelle : Si el y a bien une chose qui m'enerve (et c'est un euphémisme), c'est bien qu'on en soit même pas à là, et 30 ans plus tard. Que l'on ne soit pas d'accord avec l'idée que le genre créer le sexe, encore. Mais parler de la séparation sexe/genre; c'est le cran en dessous. Et y a même encore beaucoup de gens pour disputer le cran encore en dessous et selon lequel (2) Sexes => (N) Genres (on le voit au travers des personnes non-binaires). Et pour revenir sur la distinction radicale entre les deux; même les gens qui vont te dire qui font la distinction vont être les premians à la ré-inscrire aussitôt à un moment où un autre : " ah oui, oui, tu peux être une femme [culturellement parlant] ". " Quoi, tu vas pas faire d'op de génitoires ? Mais du coup, t'es pas une femme ??? ". Sigh. Je crois que les gens se rendent pas compte.
[6] J'aurais l'occasion de l'évoquer plus avant dans mon avis à la fin; mais le fait que Butler dise précisement " discursif/culturel " indique selon moi précisement qu'el ne réduit pas tout au langage. Surtout quand on apprends que Butler à lu et enseigner Marx, mdr.
[7] A nouveau, pas d'exemples, mais j'imagine qu'on peut parler en terme d'essentialisme / différentialisme
[8] El est interessant de noter que, quand bien même on peut lire Irigaray comme essentialiste, et sachant qu'elle a théorisée en ce sens " l'écriture féminine ", que cela peut, je pense, aussi ouvrir à une analyse type contre-champ de Lauretis et synthèse de Irigaray et Beauvoir. Pour Lauretis, le féminisme doit occuper, être à cheval, tant dans l'espace hégémonique du champ que les marges du contre-champ (et donc accepter que la norme puisse co-opter les marges qui en étaient exclues). Ici, on a donc une analyse qui peut prendre en compte une certaine cricularité temporelle exclut d'une analyse purement spatiale.
[9] A nouveau, pas de reference. Cependant, l'introduction de 99 peut ici nous servir de piste.
“ MacKinnon propose de formuler le problème en [ces] termes [...] :
" Figé comme l'est un attribut attaché à une personne, l'inégalité de sexe prend la forme du genre; en mouvement comme l'est une relation entre personnes, cette inégalité prend la forme de la sexualité. Le genre emerge comme la forme gelée de la sexualisation de l'inégalité entre les hommes et les femmes. "
Dans cette conception, la hiérarchie sexuelle produit et consolide le genre. Ce ne sont pas les normes hétérosexuelles qui produisent et consolident le genre, mais la hiérarchie de genre qui est censée garantir les relations hétérosexuelles. Si la hiérarchie de genre produit et consolide le genre, et si la hiérarchie présuppose une notion opératoire du genre, alors c'est le genre qui est la cause du genre, et l'on aboutit à une tautologie. ” (P.32)
Ici, on a un exemple de cette circularité que Butler évoque au travers des deux moitiés que sont Beauvoir et Irigaray (Soit dit en passant, MacKinnon pourrait très bien répondre en disant que la hiérarchie est de sexe et que le sexe est naturel, et bam).
[10] A nouveau, une reflexion plutot anarchiste friendly
[11] Ce n'est pas spécifiquement indiqué par Butler, tout du moins dans cette partie; mais qu'el n'y ait pas d'identité qui ne soit pas instituée par la performativité; que l'identité soit en définitive la même chose que l'expression laisse une certaine marge de manoeuvre. Butler disait que dans l'analyse de de Beauvoir, rien n'indiquait qu'une femme était spécifiquement de sexe feminin. Similairement, et peut-être en lisant Butler contre iel-même, j'aurais tendance à dire qu'el y a une plus grande part de performance qu'indiqué dans Trouble. Pas à dire que cela soit totalement volontaire, non. On reste pris·es dans des normes culturelles qui nous limite. Mais au sein de ses limites, on a plus de choix (analogie de spinoza).
[12] J'ai été très content de voir qu'une de mes reflexions à laquelle je suis arrivée par moi-même avait deja été pensée par Butler et Sedgwick. Vouloir retourner dans un passé où le sexe n'existe pas, vouloir totalement en faire abstraction, est une pente glissante et qui fait parti d'un imaginaire fasciste. Non pas que je souhaite dire que Wittig est fasciste, mais qu'elle comme Dworkin, en insistant sur la nécessité de se débarasser du sexe, participe de cet imaginaire et l'autorise tout en même temps. En cherchant à ignorer ce que l'on sait où en voulant retourner à un passé mythique et agenre, on participe de cette imaginaire de l'age d'or glorieux qui est si caractéristique de ce dernier. Ce qui n'est pas à dire que je sois pour le maintien du concept de sexe; mais que je pense que l'on peut faire une distinction entre : le sexe à l'état civil et sa conception sociale concommitante, et la notion biologique de sexe comme la production de gamète permettant la procréation (et qui, si on suit l'argument jusqu'au bout, implique que certaines personnes n'ont pas de sexe).
[13] Je le mets pas dans le résumé parce que ça colle pas; mais to be fair, c'est un peu plus complexe. Certes Wittig était très dans une idée de " faut sortir du système hétérosexuel " et que « [c]et acte politique revolutionnaire que les personnes non straight peuvent accomplir passe par le renoncement à se concevoir comme des femmes et des hommes sans quoi " nous contribuons à maintenir l'hétérosexualité " » (La pensée, Wittig, P.73). Et certes, c'est totalement un red-flag pour moi en tant que personne trans. Cependant, et en ce qui concerne Wittig, je pense que c'est un peu plus nuancé·e que cela, et sachant que Wittig ne concevait pas les lesbiennes comme totalement en dehors du système. J'aurais aussi tendance à dire que Wittig considérait une telle sexualité comme un but utopique et non une réalité, et ce qui pouvait la séparer d'autres théoriciennes " l'oubliant exprès ".
[14] Encore une fois, c'est une remarque très anarchiste. C'est un combat sans fin plutot qu'une révolution finale et tout système, qu'il soit hétérosexuel ou autre, peut se voir ériger en norme, se naturaliser et ainsi devenir hégémonique et mauvais. C'est cette naturalisation qu'el faille éviter.
[15] Cf. note 12
[16] Et opposé au réel qui est ce qui est étrangé au sujet au sein de ellui-même.
[17] Ici, j'utilise Concepts Lacaniens – Signe parce que putain c'est dur à comprendre.
[18] J'avoue avoir ici un point d'incompréhension. Le sujet masculin est quelque chose que tout le monde semble avoir - independemment de son sexe/genre. Or, Butler nous dit que pour Lacan, le sujet masculin à besoin des femmes pour croire en son auto-fondation. Donc les femmes ont besoin des femmes ? Enfin, je sais que c'est symbolique et pas " réel "; mais n'empêche.
[19] Je me suis longtemps demandée si Butler arrivait à prendre en compte les identités atypiques grâce à sa formulation. En 1990, les identités non-binaires n'étaient par exemple pas aussi connues. Cependant, après avoir relue cette section - et l'article correspondant dans La vie psychique du pouvoir - non seulement je comprends que Butler n'est pas foncièrement psychanalytique, mais en plus que sa théorisation ne refute en aucun cas ces identités. En effet, Butler se demande si la Loi s'énonce au singulier. Or, que cela ne soit pas le cas implique la possibilité de tout un eventail de prohibitions - non / binaire, a / genré etc. - et agissant avant le tabou de l'inceste pour constituer la personne.
[20] Cette section est selon moi tout a fait évocatrice de la mauvaise lecture qu'on a pu faire de Butler. Loin d'oublier le corps et la materialité, el s'agit au contraire pour Butler de chercher à comprendre sous quelles conditions discursives/culturelles en vient-on a penser le corps et le sexe comme d'une caractéristique unique en particulier.
[21] Ici, un exemple pourrait être de mise. Car sans même partir dans un cadre psychanalytique et dans lequel le tabou de l'inceste fait foi (créant lui-même le langage), qu'une description plus Foucalienne est tout aussi interessante. En reflechissant à ce propos même, j'en suis venue à penser à ce qui est appelé le " bestiaire queer ". Mais qu'est-ce que le bestiaire queer ? Ce concept designe l'ensemble des comportements que l'on peut observer chez les autres animaux et qui sortent du cadre de la reproduction hétérosexuel. Or, un tel concept à un défaut majeur (et outre la critique de Hoquet que cela ne fait que ré-instaurer une norme). En designant de tels comportements comme homosexuels, bisexuels ou que sais-je, nous qui croyons par la-même designer une sexualité hors de la culture - et l'on pourrait très justement se demander, " sommes-nous reelement les seul·es à avoir une culture ? " - en croyant y déceler une sexualité avant la culture, nous ne pourrions au contraire n'être qu'en train de reinstaurer cette même culture et au-dela d'elle-même. Une ruse de la culture hétérosexuelle elle-même qui, en posant un avant pré-sociétal ne l'utilise que pour se justifier encore et toujours (" regarde, ça existe naturellement le queer. C'est donc que c'est nomal·e "). De plus, et sans forcement depart du domaine linguistique, pourrait-on aussi dire - et sans avoir recours à la psychanalyse - que le langage nous conditionne - et sans, non plus, partir dans l'hypothèse de sapir-whorf. Ainsi, bien souvent nos visions du futur ont-elles du mal à s'extraire d'un raisonnement qui est conditionné par le présent et les concepts qui nous sont familiés.
[22] Oui, je sais, la PMA et on pourrait potentiellement le queeriser. Sauf que 1. elle écrit dans les années 75' 2. ça reste quand même une injonction à la maternité dans tout les cas.
[23] Et quelque chose aujourd'hui largement accepté, sachant que tout le monde part d'une base indiférenciée.
[24] El est a noter ici que Butler à - et c'est pas que moi qui le dit - mal analysé·e Wittig dans quelques unes de ses positions. J'en reparlerais plus dans mon avis, mais la question de l'universalité par exemple est à couper au couteau. Dans tout ce qui suit, la mention « D'après Butler » sera supposée.
[25] Je ne vais pas mettre une note à chaque passage que Butler mé-comprends, mais je pense important de m'arrêter une seconde fois sur ce fait que Butler comprends Wittig comme disant que la lesbienne sort completement de l'hétérosexualité, et ce qui n'est pas ce que Wittig laisse sous-entendre.
[26] Je me demande comment Butler a pu passer à côté du fait que " la théorie soit différente de la pratique " était peut-être une indication de sa mauvaise compréhension de Wittig.
[26.5] pour creuser : Nietzsche, Genealogy, History
[27] Je pense à la citation de Wittig que Butler emploie dans le chapitre qui lui est consacré et pour qui « [q]uand [elle] pose le terme hétérosexualité, [elle se] trouve en face d'un objet non existant, un fétiche, une forme idéologique qu'on ne peut pas saisir dans sa réalité, sauf dans ses effets » (P.237)
[28] Peu ou proue. El y a peut-être un 0.5, 0.3 qui traine quelque part et du au fait que j'ai, à un moment donné, du stopper à cause de la complexité du livre.
[29] De la citation original, « Space tell Matter how to move, Matter tell space how to curve »
[30] Cf note 3
[31] Pas que j'en connaisse d'autres, mdr
[32] mdr
[33] Avec les risques que ça comporte, certes; mais still
[34] Entre guillemets, parce que dans la vie psychique du pouvoir, Butler refuse l'étiquette de psychanalyste.
[35] Oui, je fais reference à Freud qui, embarasser de supposé des prédispositions, ne finit pas sa phrase.
[36] Bien sur qu'elle importe. El importe de dire que cela soit par " envie du penis " ou simplement par " objet d'amour ". Personnellement, je prefere la seconde option; mais je voulais simplement dire qu'une telle distinction n'est pas utile à mon propos.
[37] La fluidité de genre peut ici être comprise comme d'une " sur-couche " et raison pour laquelle elle n'est pas listée. Selon Butler (et de façon implicite, le terme genderfluid existait pas en 90'), la fluidité de genre à plus à voir avec la force avec laquelle le tabou est cimenté. Par exemple, ce sont les personnes les plus hétéro, les plus sur·es dans leur identités, qui ont le plus interiorisé·es cette perte non-avouée de l'homosexualité. Dès lors, une position plus fluide - et sur cette axe - intervient-elle lorsque la perte est davantage reconnue.
[38] Argument interessant pour l'écriture inclusive soit dit en passant
[39] J'avouerais ici qu'el s'agit d'une lecture très pessimiste de l'histoire de la sexualité. Foucault ne précisant jamais vraiment de quel pouvoir il parle, on pourrait aussi dire qu'il ne parle pas que de hiérarchie.
[40] Je le vois, maisss
[41] Et ceci, sans même parler des remarques de Sedgwick sur une société qui veut oublier ce qu'elle sait, de la remarque de Butler qu'imaginer un en-dehors est une pente conservatrice, de celle de Bornstein sur le lien entre identité et vetements ou encore celle de Wlichin (qui reprends surement Butler) sur le fait qu'on ne pourra jamais de-genré les corps et les sexualités.