Nous ne nous prononçons pas dans ce livre pour ou contre " la " prostitution. Nous souhaitons comprendre ce qui nous apparaît incompréhensible : la désolidarisation, ces dernières années, en particulier en France, des féministes avec les personnes prostituées. C'est au fond une mise à l'épreuve des féminismes qui est ainsi proposée à l'aune de la prostitution. Mais il ne s'agit pas de frire un sort au féminisme, dont nous sommes partie prenante. Il s'agit plutôt, à partir d'un état des lieux des forces en présence, de la situation sur le terrain et des législations en vigueur, de penser la possibilité d'une nouvelle alliance entre les différents courants féministes et les prostituées, alliance qui n'évacuerait ni aspérités ni paradoxes, mais qui chercherait, dans une perspective pragmatique, à renforcer par la réduction des risques la capacité d'agir des personnes concernées afin qu'elles puissent oeuvrer à leur propre émancipation. On trouvera ainsi dans ce livre un manifeste engagé en faveur de cette nouvelle alliance, mais aussi un essai informé qui permet de faire le point sur les réalités et les savoirs de la prostitution.

Auteurice.s:

Catherine Deschamps, Anne Souyris

  • Travail du Sexe Féminisme Justice
  • Commentaire

    Bouquin vachement interessant en vrai, et beaucoup plus informatif que le précedent que j'ai pue lire (« Pute n’est pas un projet d’avenir »). Les autrices se placent un peu dans une sorte de fausse neutralité. Je veux dire qu'à plusieurs reprises, elles affirment se désangager du débat " pour ou contre " pour se recentrer sur quoi faire pour améliorer la situation actuelle. Je dis " fausse " parce que, bien evidemment, c'est pas en étant contre la prostitution que l'on va pouvoir affirmer des telles idées; et d'ailleurs, elles l'expriment très clairement dans leur conclusion en disant qu'elles ont

    “ tenté de convaincre dans ce livre qu'être contre la prostitution non seulement favorisait l'inertie politique [...] mais plus grave, était un frein à l'accès à une égale liberté pour les prostitué.es ” (P.172)

    Une première partie de ce livre cherche à revenir sur des définitions claires. Dans ce but, les autrices distinguent Abolitionnisme, Réglementarisme et Prohibitionnisme. Le prohibitionnisme est une démarche plutôt claire : il s'agit de la disparition pure et simple de la prostitution. Mais si tel est le cas, et puisque de cela semble être la définition actuelle de l'abolitionnisme, qu'en est-il des deux autres termes ? A l'origine, l'abolitionnisme est une démarche de "déspecification". Au contraire du réglementarisme qui cherche à créer un droit, un cadre légal spécifique pour réglementer et encadrer la prostitution, l'abloitionnisme lui, va chercher à la faire entrer dans le droit commun. Droit commun qui n'est pas très loin d'ailleurs, puisque nombres des spécificités de la prostitution pourrait en fait être traité par des lois déjà existantes, à l'instar des violences physiques par exemple,

    “ [...] faut-il donc se contenter, pour des raisons de visibilité, de pénaliser, en matière de violence, exclusivement celles qui laissent des séquelles corporelles ? En ce cas, quel besoin est-il que cette loi se réfère au proxénétisme ? D'autres dispositions juridiques existent déjà qui, quelle que soit l'activité ou l'identité de l'agresseur et de l'agressé, criminalisent les blessures portées. ” (P.53)

    Et sur le droit commun, je pourrais d'ailleurs ressortir ici le fameux article de Delphy (l'état d'exception), dans lequel elle cherche à montrer que le droit spécifique est ce qui créer la sphère privée / publique en l'excluant du droit commun, et que de cette façon, elle fait violence à un groupe tout autant qu'elle en avantage un autre.

    En second temps, et toujours dans cette optique de neutralité, les autrices développent une vision politique dite de « réduction des risques ». Faisant une comparaison avec la crise du VIH et de la drogue, elles cherchent à montrer comment une telle politique pourrait s'avérer utile aux prostitué.es. En effet, dans le cas du Sida, il ne s'agissait pas de prendre parti pour ou contre l'utilisation de la drogue. Au contraire, on s'est interessé.es davantage à comment soutenir et protéger les personnes qui en étaient victimes (des conséquences), et on a alors cherché.es à mettre en place des règles sanitaires avant toute lois qui pouraient aller dans un sens ou dans l'autre. Ceci dit, on peut donc maintenant en venir à un gros pan des lois actuelles : la criminalisation des clients et le proxénétisme. Je savais déjà que la loi en vigueur était dégeulasse, mais je ne le réalisait pas entièrement. Actuellement, est défini comme proxénétisme, n'importe qui qui bénéficie de l'argent de la prostitution, qu'importe sa relation avec lea prostitué.e. La définition est tellement vague que l'on en vient à des situations lunaires comme par exemple celle-ci :

    “ Ainsi, cette prostituée d'une cinquantaine d'année qui, faisant ses emplettes bras-dessus bras-dessous avec un jeune homme, croise par hasard un policier à qui elle a habituellement affaire sur son lieu d'activité. Sur le coup, la femme et l'agent [...] s'adressent un signe discret de reconnaissance. Une semaine plus tard, il l'interpelle sur son trottoir : « Alors, on a un nouveau Julot ? » « Non, répond la prostituée, c'est mon fils et il est étudiant », ajoute-t-elle, sans doute fière de signifier que son enfant fait des études. L'agent lui rétroque alors qu'il peut faire tomber le jeune homme pour proxénétisme, puisque c'est l'argent de sa mère, donc celui de la prostitution, qui finance l'école privée [NDT : menace non mise en execution] ” (P49-50)

    Il est ici bien évident que cette loi, et d'autres choses encore, n'ont qu'un but premier : exclure toujours plus les personnes prostituées de la vie sociale. Et d'ailleurs, ce stigmate, cet argent sale, semble-t-il qu'il ne pourrait redevenir "blanc", que par l'état (et, j'imagine, l'imposition, mais j'ai pas de précision la dessus hors « le trésor public »). Ainsi, on met à l'index d'un côté, mais on s'en sert de l'autre ?

    Enfin, l'histoire des féminismes en france au sujet de la prostitution est quant à lui plutôt flou. On peut noter par exemple en 1971 un manifeste dit des « 343 salopes » - qui faisait de la réduction des risques - qui fut signer par des personnes aussi variées que Marguerite Duras, Gislène Halimi, Christine Delphy, Monique Wittig ou encore Atoinette Fouque. Pour qui s'y connais à minima dans l'histoire du MLF (entre-autre), il s'agit d'une bien étrange composition. Et pour cause, il s'agissait ici de faire front commun pour la réduction des risques. On pourra aussi s'interesser à l'intersection avec le catholisisme. Car effectivement, jusque dans les années 1980, il y a eut une sorte d'alliance avec le féminisme; dans le sens où le but de l'église était celui de le réinsertion, et que c'est lors de la manifestation de 1975 que des églises furent occupées. Mais outre cela, on pourrait aussi parler du prohibitionnisme rampant dans notre société. Par exemple, on pourrait citer Marie-Louise Victoire (à de nombreuses reprises citée dans ce livre). Plus récemment, on va évoquer le cas de la journée d'étude sur la prostitution organisée à Paris VIII, de base en avril 2004, puis reportée à Juin. Plusieurs faits notables :

    Or, c'est cette même personne qui aurait occassionée toute ces modification, et à ce propos, on peut lire que,

    “ [s]i Marie-Louise Victoire n'a pas empêché que la journée d'étude ait lieu, ses desirada ont par contre modifiés son contenu et perturbé la qualité du débat [...] Ce pouvoir de nuisance n'est pas un cas isolé. ” (P.115)

    Et il est d'ailleurs édifiant de remarquer que cette position de domination, de je-sais-mieux-que-toi, est encore très présente. Outre l'extrait de sa lettre du 24 mars 2004, où Marie-Louise indique qu' « aucune recherche au monde ne saurait justifier un système de domination. » et que « [donc] l'intégration éventuelle d'autres invité.es à cette " journée " ne modifierait en rien cette critique » [1], nous pourrions aussi dire que décriées comme « Abusées ("manipulées") et menteuses (" cherchant à faire croire"), les personnes prostituées sont vues exclusivement comme des objets [...] » (P.85); et que

    “ Des universitaires [...] des femmes et des hommes militants en font aussi les frais [de violences], de même qu'ils les mettent à l'oeuvre. [...] Non seulement une intervenante bardée de diplôme atteint et touche bien davantage son auditoire en racontant des années de coups et de bleus qu'en lui parlant de prostitution, mais surtout, si jamais l'idée lui prend de le faire, il n'est pas rare qu'on lui fasse ensuite payer le prix […] ” (P.98)

    Et bien que l'on « peut s'étonner que certaines reproduisent sur des groupes déjà malmenés par l'opprobe, ce qu'elles-même déplorent de subir au quotidien » (P.99), peut-être pourrions-nous ici ressortir Harendt et son concept de la banalité du mal. Personne n'est à l'abri de reproduire des violences.

    Et bien que l'on ait parlé.e ici beaucoup d'interdiction, et puisque je le cite dans la note, parlons de ce féminisme libertaire qui est à l’opposé de la prohibition. Semble-t-il qu'à l'opposé direct de la prohibition, se trouve un autre courant, qui lui, considère que « la vente de services sexuels [serait] la mise en oeuvre d'une prise de pouvoir des femmes sur les hommes » (P.105). On pourrait par exemple cité Badinter [ref nedded] qui aurait dit qu'il s'agissait du signe d'une libération sexuelle enfin advenue, ou encore Marcela Iacub qui, dans son livre Qu'avez-vous fait de la libération sexuelle ? fait dire à son héroine,

    “ Pendant quelques temps, je me suis dit que cette experience de deliaison que l'on pourrait éprouver grâce à la prostitution devait avoir des vertus quasi thérapeutiques et que, peut-être, il serait utile de la promouvoir. ”

    Les autrices ne s'empêchent pas d'ailleurs une critique des mouvances queer (sans les nommées, mais quand tu parle de « deconstruction des normes et des catégories de genre », bon), en disant dans une note que « [d]es petits groupes féministes favorables à la deconstruction des normes et des catégories de genre et rétifs à une emancipation qui passe par le Droit (déjà entrevus au tout début de ce chapitre) partagent en partie ce point de vue « libertaire » ». (P.105). Et elles vont d'ailleurs citée une ancienne prostituée dans leur conclusion,

    “ Le féminisme ne peut être la célébration de la gloire de la Maternité ou la célébration du mythe de la putain. Il existe des femmes soi-disant féministes qui déclarent s'identifier aux putains. Elles aiment le sexe et croient que dans la prostitution, il s'agit de femmes qui aiment le sexe, comme elles. Dans leur ignorance ou leur naiveté, ces femmes défendent la prostitution comme une libération sexuelle. [...] Cela n'est rien moins qu'une utilisation des femmes prostituées par d'autres femmes. C'est indéfendable. ” (P.172)

    Ce qui me gêne dans la note de bas de page perso, c'est pas tellement la critique de la position libertaire. Il ne me parait pas choquant de ne pas vouloir mystifier la prostitution comme quelque chose de tout beau tout rose et de faire passer ça comme de la liberation sexuelle sans aucune nuance et sachant qu'il existe quand même de nombreux cas de contraintes. Et à ce sujet, peut-être faudrait-il ici que je cite Louise Toupin

    “ Cette distinction « prostitution volontaire/forcée » se trouve à maintenir la distinction « victime innocente/prostituée dégénéré » marginalisant encore plus les travailleuses du sexe « volontaire », qu'aucun droit ne protège. Une analyse raciste de l'industrie du sexe des pays en développement peut alors s'établir sur cette distinction. Selon Doezema, la prostituée volontaire est une [TDS] occidentale, capable de prendre des décisions [ça vous rappel rien, non ? Pute n'est pas un projet d'avenir ?], alors que les [TDS] des pays en développement sont perçues comme des victimes passives, naïves, en proie aux trafiquants […] ” (P.86)

    Cependant, dire que ces « petits groupes » partagent ce point de vue, sans apporter de nuance autre celle que « en partie », je trouve que c'est la porte ouverte à une grosse mésinterpretation et que c'est faire un lien, un amalgame. Je veux dire, je dis pas que de tels mouvements n'existent pas. Mais, de ce que j'ai entendue personnellement, il s'agissait bien plus de laisser les prostituées s'exprimer et de pas décider pour elleux.

    [1] Sa lettre ici. Et à ce sujet, puisqu'elle parle de Cabiria dans sa lettre, et dont, d'après elle, «  les manques, les failles, les limites intellectuelles ont d’ores et déjà été analysées et dénoncées et dont les positions de justification du système prostitutionnel sont sans ambiguïté », le bouquin dit à propos de l'organisation que Marie-Louise  « présente à tort l'association de santé communautaire comme réglementariste [...]. Elle y écrit [dans une autre lettre] : " On ne peut pas justifier la prostitution et être féministe. C'est aussi simple que cela " » (P.96). Les autrices présente aussi l'association à leur côté quand elles disent qu' « une troisième voie s'est ouverte [...] entre lutte contre la prostitution et position libertaire : une " embellie " féministe [...] incarnée (entre autre) par Femmes publiques [leur collectif], Cabira et [...] Gail Pheterson. » (P.108)