Là où il est admis que le recours à la police en cas de violence n’est pas la solution mais plutôt un problème supplémentaire, la tentation est de s’y substituer. Si l’intention est louable, son application l’est moins. Les mesures sont expéditives et les outils pour faire justice sont encore profondément empreints d’une philosophie punitive : menace, exclusion, harcèlement, dénonciation publique et discréditation politique. Comment sortir de cette impasse? La question est d’autant plus difficile qu’elle surgit au moment où les forces réactionnaires mènent une large offensive contre le wokisme pour mieux protéger ceux qui organisent les violences dans nos sociétés. Écrit par une « militante gouine », ce livre propose une critique fine du moralisme progressiste et des pratiques punitives dans les luttes sociales. En se saisissant d’exemples concrets rencontrés au gré de son militantisme et en discutant précisément l’abolitionnisme pénal, elle pose les jalons d’une justice transformatrice inventive, capable de prendre soin des victimes et de transformer les individu.es comme les groupes. Endiguer les violences c’est aussi ne plus craindre le conflit, ne plus avoir peur de lutter.
Auteurice.s:
Elsa Deck Marsault
Commentaire
Je vais commencer, et avant même de faire un résumé du livre, par dire que ce bouquin est un puis d'espoir. Après avoir lue Le genre du capital et pleins d'autres livres qui ont tendances à augmenter le doom-o-meter™, après qu'on m'ai sans cesse réaffirmer que - en substance - « l'anarchisme n'a jamais fonctionné et ne fonctionnera jamais »; mais qu'est-ce que ça fait du bien de lire un livre qui parle de concrètement comment ça marche et ça fonctionne. Je parle ici d'anarchisme, car oui, bien que le mot ne soit jamais prononcé une seule fois dans tout le livre, c'est bien d'un projet anarchiste dont el semble s'agir et qui structure en fil rouge l'ensemble du livre.
Ce livre à un titre : Faire justice. Face à un monde qui se néo-liberalise de plus en plus, et dans lequel les réponses communautaires ont la facheuse tendance à se calcer directement sur ce qui est accessible; à savoir la réponse punitive; l'autrice propose une autre vision : la justice transformative. Je trouve que cette dernière est bien résumé à la toute fin du livre comme :
•Ne pas engendrer davantage de mal/violence [...] et ne pas perpetuer la violence systémique [...]
•Travailler à répondre aux besoins immédiats de justice [...] tout en produisant également une vision à long terme de la liberation
•Travailler à lutter contre les occurences de la violence comptemporaine de manière à modifier les conditions qui ont permis à cette violence de se produire, et à prévenir de futurs préjudices
•Comprendre que les actes dommageables et individuels n'ont pas seulement un impact [tel], mais aussi un effet collectif et doivent dont être résolus collectivement.
Ce qui m'a beaucoup plus dans ce livre, c'est avant-tout la mise en avant des exemples concrets et l'attention porté au groupe. Cela est déjà visible dans le dernier bullet point que j'ai évoquée, mais dans une société qui met davantage la responsabilité sur la personne et qui créer un cadre de "us vs them" / "victime vs agresseureuse"; l'apport du groupe est fondamental et très interessant. Les exemples, quoique violent dans leur situation (on parle à quelques reprises de viols par exemple); n'en reste pas moins très pertinent sur les modes d'actes possibles et pour réaliser l'ampleur des violences possibles.
Parlons en de ces violences justement. Dans la première partie du livre, Elsa D-M [1] futige la société néoliberale dans laquelle nous sommes et qui à tendance à s'imposer face à nous. Elle prends plusieurs exemples pour montrer ses dérives, dont les politiques de l'indentité - critique récurrente - qui amplifieraient la ségrégation. Sans refaire un cours - dont je n'ai pas les connaissances pour de toute façon - en se concentrant sur son identité, sur son problème unique, on en vient à se séparer des autres. Ainsi, dans un contexte déjà très fragmenté, l'utilisation d'outils qui reflechissent la pratique punitive de la prison parait être le marteau qui enfonce le clou. L'autrice se concentre sur le cas du millitantisme puisque c'est le cadre qu'elle connait bien; mais cela est applicable à beaucoup de choses. Les pratiques d'ostracisation, de call-out [2] ou encore de préssuritation à l'aveau [3] sont non seulement des outils violents et qui ne prennent bien souvent pas en compte de " l'après ", de ce qu'el advient aux personnes soumisent à ces mécanismes [4]; mais plus encore, elles peuvent être brandis comme des réponses universelles et simplistes à des phénomènes complexes et hétérogènes. C'est d'ailleurs en ce sens - et une très bonne critique que je n'avais pas vue développée jusqu'à lors - que Elsa critique les instances juridiques et judiciaires. Tout en maintenant un monopole moral (et qui n'est pas sans lien avec un certain monopole économique), les avocat.es et tout autre personnes d'états ont bien souvent tendance à créer un cadre restrictive de "us vs them" (Cf au dessus) qui n'est pas forcément en accord avec les besoins des personnes.
Que faire donc ? Le livre ne dispose malheureusement pas forcément de beaucoup d'outils, bien qu'il fasse référence a de nombreux sites en tant que ressources. Cependant, parmis ces derniers, et dans le cas de médiation et de soutien, j'ai pue relever à titre d'exemple, de l'organisation spatiale et temporelle (décider de qui vient occuper un espace quand/où pour éviter les confrontations) ou encore la création de groupes de soutiens. En tant que tel, et au vu du sujet, je pense que le livre fonctionnerait bien comme d'un livre d'introduction au sujet. Facile à lire ("que" 130 hors annexes), régidé dans un français accessible [5] et avec un cadre concret et peu théorique; ce dernier pourrait permettre une plus grande accessibilité de ce concept.
A cela, je vais juste ajouter un tout petit bemol. A un moment l'autrice critique des réactions comptemporaines telles que le "safe" et les TW, et bien que je comprenne les dérives auquelles cela peut amener, je continuer à penser qu'elle se trompe - au moins partiellement - dans son analyse des TW. A ce sujet, elle énonce :
“ Si [les TW] semble motivée par de bonnes intentions [...], elle se fonde pourtant sur des présupposés qui s'apparentent, à mon sens, à des dérives théoriques. Les [TW] reposent sur une individualisation des traumatismes [...] et à une lecture psychologisante au lieu d'une lecture structuelle et politique. Des mots comme « viols » ou « inceste » tendent à être effacés ou atténués pour éviter toute retraumatisation individuelle. Mais en n'étant plus utilisés comme des outils de description et d'élaboration pour penser une réalité materielle, ils perdent de leur efficacité. pour proteger [...]. Les [TW] font beaucoup appels à la croyance qu'on peut désactiver les réminiscences traumatiques grâce à des sortes d'incantations. Si cette liste n'est pas exhaustive, la personne à l'origine de [cette liste] peut faire l'objet de critiques, voire de remontrances. […] ” (P.25)
La première chose que je souhaiterais dire face à cet extrait, est bien evidemment que context matters. Elsa écrit dans un contexte militant, et en tant que tel je la crois tout à fait sur les dérives individualistes que cela peut engendrer en cas de non-exhaustivité par exemple. Cependant, et malgré cela, je continue à croire qu'elle fait une confusion, en plus d'une erreur d'analyse. Pour préciser mon propos, je vais commencer par définir ma vision de ce qu'un C/TW est : Selon moi, un Content / Trigger Warning est un cadre, une liste, que l'on place avant un contenu pour préciser de sujets potentiellements compliqués dont le contenu traite. En ce sens, et suivant cette définition (qui me semble, mais je me trompe peut-être, aussi être celle qu'elle utilise); el me parait étrange de mettre dans le même panier auto-censure (vi*l ou encore inc\*ste) et TW.
Et ensuite, je me demande : était-ce vraiment là le but avoué des C/TW ? En en parlant, j'en suis plus arrivée à la conclusion que, bien sûr·e el ne s'agit pas la de faire disparaitre magiquement le trauma - « comme si c'était possible » (TDG, 65); mais bien plutôt de préparer mentalement la personne qui y est sujette de sorte à ce qu'elle évite de se prendre un mur émotionnel de pleine face sans y être préparée. Peut-être est-ce là la vision "militante" de la chose, je n'en sais rien, mais en tout cas, c'est en ce sens que j'ai du mal avec la phrase selon laquelle « Les [TW] font beaucoup appels à la croyance qu'on peut désactiver les réminiscences traumatiques grâce à des sortes d'incantations » (ibid.). (EDIT : Et puis, effectivement, quid des personnes qui sont réellement traumatiser par le mot en tant que tel ? N’ont-elles pas le droit elles aussi a ne pas revivre le traumatisme ?)
[1] D-M, lol. Vous comprenez... dm... bref, ok, j'ai comprise; je me tais.
[2] Dénoncer publiquement les faits reprochés
[3] Pour être précise, c'est plus une sorte de conséquence implicite, de solicitation plus que d'un veritable "outil" je dirais. But what do I know.
[4] Et je parle ici de manière large, donc toute personne en contact avec ce mécanisme qui est impliqué.e dedans.
[5] Utilisation du point médian.