Judith Butler, dont le livre emblématique Trouble dans le genre a redéfini notre manière de penser le genre et la sexualité, se penche dans cet ouvrage sur les attaques contre "l'idéologie du genre". Sur tous les continents, des mouvements protéiformes s'en prennent au genre : la droite populiste et l'extrême droite, le Vatican et les Églises évangéliques, les féministes anti-trans... Ils diffusent un fantasme selon lequel le genre serait une menace dangereuse, voire diabolique, envers les familles, les enfants, la culture, et même l'"humanité". Pourquoi le genre est-il devenu un fantasme obsessionnel pour les régimes autoritaires, les partis fascistes et les féministes anti-trans ? Que peut-on répondre à celles et ceux qui en font usage ? Avec quels arguments ? Mais les arguments suffisent-ils face à un fantasme ? Intervention essentielle sur l'une des questions les plus épineuses de notre époque, cet ouvrage offre une déconstruction méticuleuse de toutes les controverses qu'elle abrite : la différence entre nature et culture, l'interaction entre sexe et genre, l'héritage colonial de la différence sexuelle, les relations entre féminismes et mouvement trans... Qui a peur du genre ? est un appel à former une large coalition, qui rassemble toutes celles et tous ceux dont la lutte pour l'égalité s'articule à la lutte contre l'injustice.
Auteurice.s:
Judith Butler
Commentaire
Introduction
Dans ce livre, Butler s'interroge sur le mouvement " anti-genre " et cherche à en découvrir les mécanismes. Empruntant à la psycanalyse, iel cherche à comprendre « comment une serie d'éléments sociaux et culturels sont réorganisés autour de chemins ou d'agencements qui sont déjà opérants au niveau de l'inconscient. » (P.23). El s'agit pour iel de mettre en lumière les mécanismes de déplacement, de projections, de condensation ou encore de remplacement qui forment le genre comme d'un fantasme, qui le forme comme d'une fantasmagorie constituée entre autre par la croyance selon laquelle le genre serait « une "attaque" contre un fantôme réputé réel alors même qu'il est né dans le cerveau des accusateurs » (P.43). Ainsi, Butler s'attaquera donc à l'étude de plusieurs franges du mouvement anti-genre, en commençant par la religion ou les TERFs. Mais la chose n'est pas aisée car un fantasme n'est pas simple, mais bien plutôt protéiforme. Un fantasme n'a pas de cohérence interne et est remplie de contradictions. En ce sens, el s'agira donc moins pour l'auteurice de répondre en contre-argumentant bien plus que de se poser la question de savoir « comment faire un sorte qu'un contre-imaginaire puisse défaire l'emprise de l'idéologie telle qu'elle est exemplifiée par ceux-là même qui accusent le genre d'être une idéologie » (P.42). Une des réponses pour Butler est de passer par l'entreprise décoloniale, la " traduction ". Car s'el est vrai que le genre fut une entreprise coloniale, iel « en conclut que la traduction est la condition de possibilité d'un féminisme transnational » (P.54). Toutefois, une fois n'est pas coutume, et continuant en ce sens (à mon avis) ses précedents travaux à commencer par ces corps qui comptent, Butler insistera de nouveau sur le genre et sur sa matérialité. Empruntant à partir exemples bien connus (le genre est raciste et intersexe-o-phobe), el s'agira pour Butler de revenir sur le fait de la co-construction. Dire que « nous ne [sommes] constitués que de norme et de conventions sociales » tout comme dire qu'el faut « revenir à ce qui est manifestement réel » (P.48); toutes deux seraient des affirmations érronés, en ce sens qu'elles nient entre autre la malléabilité des normes. « Nul n'arrive dans le monde en dehors de l'ensemble de normes qui l'y attendent déjà » (P.49), et ainsi, « nous ne sommes jamais simplement formés, et nous ne nous formons jamais nous-même inconditionnellement » (P.50)
Chapitre 1 - TW religion
Dans ce premier chapitre, el s'agit pour Butler de poser les bases de sa reflexion. Tout en exposant ce qu'iel appelle la « scène mondiale », iel montre aussi succintement quelques contradictions du mouvement anti-genre, et quelques problèmes auquels nous devons faire face. Ce chapitre est surtout un chapitre d'introduction et on y apprends, sans surprise, que l'église y joue un grand rôle.
L'exemple qui m'a marqué est celui de l'Afrique en 2005. En effet, j'avais déjà entendue parler dans Une théorie féministe de la violence de programmes de contraceptions visant « à "atteindre" trois millions de femmes dans l'Afrique subsaharienne et l'Asie du sud en trois ans avec 12 millions de doses du contraceptif Depo-Provera. » (P.80), montrant ainsi la déshumanisation des femmes vues come « "excessivement reproductives" » et par conséquent « fixant des "cibles" » qui amènent à toute sorte d'horreures; plutôt que de leur donner un accès meilleur, et voulu, à la contraception. Or, dans ce livre, j'apprends par ailleurs que, durant l'année 2005, Bush aurait « financé pas moins de 8 millions de dollars de programmes d'abstience sexuelle en Ouganda » (P.86).
Mais l'influence de l'église ne s'arrête malheureusement pas dans une ingérance étrangère puisque les églises locales elles-même en viennent à accroître leur influence de diverses manières et à devenir des facteurs déterminants sur la question du genre. Par exemple, du a des tensions post-URSS mettant en opposition la Russie et l'Occident sur le sujet de la nation, l'église orthodoxe à du prendre position entre « "l'hétéronationalisme conservateur" prescrit par le patriarcat de Moscou, [et] trouver un terrain d'entente avec les normes européennes [en rejoignant l'UE j'imagine] » (P.104). Autre exemple, leur récupération des services publiques du au délaissement néoliberal en Afrique. Dans ce contexte, les églises locales peuvent créer des relations ambigues avec le Vatican. Car bien qu'elles puissent avoir des visions différentes de ce dernier en ce qui concerne les relations de genres, et « si la plupart des Africains ont rejetés le colonialisme, ils n'ont pas rejeté le christianisme » pour autant (P.92-3) comme l'affirment Kapya K et Petronella C. Les églises peuvent ainsi prendre de plus en plus de place dans le paysage national et mettre le genre au centre de divers conflits. Mais el serait faux de croire que l'église est la seule composante de ce mouvement et bien sûr on retrouve aussi tout un tas de dirigeants, ayant par ailleurs plus ou moins des liens avec cette dernière, et qui mettent en avant une idéologie anti-genre qui ne soit pas seulement fondé sur la religion. On pourra ainsi retrouver Erdogan pensant qu'el s'agit de « valeurs culturelles imposées de l'exterieur de manière intolérable » (P.103). Ainsi, bien souvent, « [l]'opposition au " genre " présenté comme un danger pour la " famille naturelle ", est souvent liée au combat contre la menace des migrants [...] » (P.76).
En conséquence, et hors des mécanismes sexistes et misogynes, que cela soit à cause de la religion, de la culture, ou de la nation, la famille comme « le coeur de la nation » ou comme d'un noyau central sans lequel l' « [é]tat religieux et ne peux continuer d'exister » (P.101) apparait comme d'une sorte de crystallisation colonialiste et raciste qui vient appuyer sur la mouvance anti-genre. Et outre le côté raciste de la chose, nous pouvons aussi remarquer que des considérations économique entrent en jeux et qui viennent complexifier le tableau. Car en effet, l'entrée dans l'UE ou encore la réception de dons monétaires de par la banque mondiale peuvent être conditionnés par l'acceptance de lois, ne serait-ce que concernant le genre. Or, comme nous l'énonce Butler, on voit mal pourquoi ce serait à l'UE ou à la banque mondiale de faire ce travail puisque « les pouvoirs de coercition de ces institutions, leur capacité à produire de la dette [...] confond l'exploitation et la liberté » (P.91). Dit autrement, quand bien même la lutte est-elle légitime, qu'el s'agit là tout bonnement d'un levier de domination du à un privilège. Ainsi, les pays dominés ont-ils vite fait d'identifier le genre « à des puissances financières qui cherchent à l'imposer de force »; le genre ne pouvant conséquemment plus s'inscrire dans une « lutte de gauche contre ces [même] puissances » (ibid).
Et c'est donc dans ce contexte qu'une réhtorique fantasmique peut voir le jour. Ici butler touche de manière superficielle le sujet en indiquant quelque unes des contradictions de ces discours. « Si le genre tient les gens sous son emprise, c'est parce qu'il est au choix tout à la fois une liberté personnelle et l'abolition de toute liberté, une forme d'individualisme exacerbé, une usurpation du pouvoir divin, un endoctrinement et un totalitarisme [...] » (P.69). Il est « tyran de la tolérance » (P.80) et il est le paravent « à un programme marxiste » qu'un « cartel de milliardaires [...] essaie de redéfinir la notion de droits humains pour promouvoir un soci-constructivisme radical » (P.101). Mais pour Butler, c'est petri·e de ces contradictions qu'il fait le plus sens, puisque « [p]our peu que cet assemblage syntaxique s'avère persuasif, quiconque s'oppose à la tyrannie ou refuse la mort de la civilisation s'opposera logiquement au genre [...] » (P.81). Par conséquent, et de sorte à rébuter cette rhétorique improbable et insensée, comme l'énonce Beltran et Creely, « la tâche critique, dans ces circonstances, n'est pas de se demander ce qu'est le genre, mais ce qu'il fait » (P.71)
Chapitre 2 - TW Religion / Pédophilie
Dans ce chapitre, el s'agit pour Butler de s'attaquer un peu plus précisement au cas du Vatican et à sa conception du genre. Ici, rien de nouveau j'ai envie de dire, puisqu'el s'agit de dire que le fantasme du Vatican agit en tant que projection.
La cadre conceptuel auquel d'attaque Butler est celui du dogme de la complementarité. Dit simplement, el s'agit de l'idée selon laquelle « l'humain se définit par l'homme et par la femme », « que cette division à été créée par Dieu » et que « le mariage doit être réservé aux hétérosexuels » (P.110). Dans cette vision assez restreintre et potentiellement historiquement située [1], est érigée en tant que conséquence tout un champ d'exclusion. Car si la famille est immuable, si « la famille est la famille ! » (P.111), alors el en va par là-même que toute tentative de déviation n'est qu'anormalité. El s'agit là d'une tautologie excluante dans laquelle tout contre-argumentaire peut juste être exclu d'emblée. Mais outre cela, cette complementarité à une autre conséquence. Car si l'hétérosexualité se doit de rester privilégié, c'est aussi parce que dans le cas contraire, le mariage n'aurait « ni plus ni moins de valeur que " le concubinage, l'union homosexuelle, la polygamie ou la pédérastie " » (P.121). Et bien que l'on puisse comprendre le début de la liste [2], on remarquera l'ajout du dernier terme. Ce terme est important pour deux raisons, la première étant qu'il met à distance. Je parlais de tautologie juste au dessus, et el s'agit ici du même argument tautologique. Quand bien même les personnes concernées defendraient-elles des valeurs morales allant contre la pédophilie, leur opinon est par la même disqualifiée en tant que d'emblée non-morale parce qu'ammenant à un supposé relativisme extrême, à une certaine dissolution dans le nihilisme; ce que la comparaison avec la pédophilie examplifie. A des cas extrêmes de raisonnement, on retrouve par ailleurs cette même idée que juste prononcé le mot "gay" rendrait les enfants elleux-même homo (ce que Butler conceptualise comme un glissement syntaxique à la suite de Lacan). La deuxième raison quant à elle, est celle du mécanisme de projection. « Hantée par les crimes dont elle est elle-même coupable, l'[é]glise externalise l'origine des violences faites aux enfants » (P.123). D'ailleurs, et avant d'enchainer sur la conclusion, l'on pourra aussi remarquer un troisième ressort d'exclusion. Car si pour le vatican l'idéologie du genre peut être compréhensible, toujours est-el qu'elle cherche à « s'imposer comme une pensée unique » (P.113), ce qui n'est pas sans rappeler la façon dont opère l'église en refusant « d'un côté l'endocrinement perçu [... et de l'autre en] inocul[ant] dans l'esprit des enfants sa propre doctrine » (P.117).
Ces deux mécanismes que sont la projection et la tautologie sont très important car ils nous permettent dès lors de mettre au jour un certain fantasme (mon interprétation) : le genre comme rempart à ce qui ne doit pas être pensé. On pourrait ici bien sûr faire allusion au slogan « Think of the childrens ! » [3] si souvent brandis par les mouvements conservateurs. Ainsi, en reprenant les termes de Beltran et Creely et en s'interessant à ce que le genre fait on réalise dans ce cas-ci qu'il permet une mise à distance de l'impensable qui,
« [...] doit rester impensable, et il faut pour cela un long travail psychique. Lorsqu'il apparait, lorsque « l'impensable » est pensé, il lui faut de nouveau devenir impensable, si bien qu'un mécanisme est nécessaire pour l'empêcher de jamais être pensable. [Les detracteurices du genre] l'ont déjà, en réalité, pensée, et c'est pourquoi leur efforts doivent être acharnés et répétés. » (P.131).
Chapitre 3
Dans ce chapitre, Butler répète selon moi un peu de ce qu'iel à déjà pu dire concernant l'église. Ici, el s'agit de parler de la censure et des interdictions aux US et l'importance est mise sur ce mouvement anti-genre qui croit que " dire c'est faire ".
Je l'avais évoquée avant, dans les pire cas de tautologie, le genre est pensé comme d'un transformateur : ne serait-ce que prononcé le mot "gay" serait un moyen de le devenir. L'accent est donc porté sur la censure qui, de ce point de vue, n'est donc pas un mal, mais au contraire le remède puisqu'elle permetterait d'empêcher toute contamination. Chose drôle puisque pour pouvoir s'étendre et être effective, cette censure se doit d'être répété dans des discours et donc doit pouvoir être dite; malgré la volonté de l'interdire. El va s'en dire que dans ce cadre-ci l'éducation à un rôle clé. Vue comme un pur endoctrinement, et bien loin de la réalité, el s'agit de penser l'école comme un lieu de bourage de crâne; projection total puisque cherchant à « étouffer la pensée critique au nom d'une pensée doctrinale [ils] supposent [...] que leurs adversaires en font autant » (P.143).
Et parlons du mot "critique" d'ailleurs. Ce terme est important pour Butler en ce qu'il permet de condenser des peurs de la même manière que le genre. Prenant exemple sur la theorie critique de la race, Butler développe l'idée selon laquelle "critique" serait ici vue comme une attaque envers les personnes blanches dans leur ensemble - la fameuse _white fragility_ (iel n'emploie pas le terme, c'est moi). Loin de l'idée de base voulant étendre les possibles et cherchant à remettre en question des termes jusqu'à là indiscutés, le terme de critique serait alors un camouflage, « le mot "critique" [étant] un synonyme de "destruction", et le mot "race" [une] attaque contre la nation [...] » (P.156). Dès lors "theorie critique de la race" ne voudrait tout simplement que dire " destruction de la nation [blanche] ".
Dans les deux cas - que cela soit la critique ou le genre - on voit donc comment l'éducation devient le site privilégié d'un fantasme, où l'école même _devient_ le fantasme par lequel - et au travers de glissements syntaxiques - on en vient à croire que « " votre pays est raciste " ou " Vous devez devenir gay ou changer de genre ! " » (P.158)
Chapitre 4
Un chapitre assez court à résumer en ce qu'il ne dit pas grand chose. Dans ce chapitre, Butler parle de Trump et de sa tentative (échouée) de redefinir le sexe par les organes génitaux; et développe sur l'idée que lorsque l'on discrimine sur le sexe, c'est bien plutôt sur le genre qu'on le fait. Car « [s]i le sexe est encadré par des normes culturelles, alors il est déjà genre. » (P.173) Bien souvent, la personne discriminant ne connait pas le sexe de sa cible et ne le fait que « sur la base de " règles fondées sur le sexe ", c'est-à-dire des présuppositions [...] » (P.172) puisque ce qui est attaqué n'est pas tant le sexe plus que « le scénario fantasmatique dans lequel [il] est représenté [...] construit [...] » (P.176)
Enchainant sur les libertés en général, el s'agit ainsi pour Butler de dire que la cadre qui apparait sous nos yeux (tout du moins aux US) n'est pas seulement celui de la privation de certaines libertés, mais bien plutôt de « l'idée même qu'il puisse y avoir de _nouvelles_ formations historiques de liberté (et d'égalité) [...] » (P.188). A rebourds de la tendance récente à prendre en compte l'histoire « dans les processus de décisions. » (P.186), les conservateurices entendent figer le droit pour toujours. Revenant ainsi sur une notion qu'iel avait déjà évoqué·e 35 ans plus tôt dans Trouble dans le genre, Butler insiste sur la création de coallitions qui ne soient pas juste des politiques de l'identités. Car si effectivement l'objectif de la droite est celui d'un rembobinage - et si, à titre d'exemple « [t]out en méprisant [...] la "liberté" des femmes, la cour suprême élargit la liberté d'expression des firmes » (P.190) - alors cela ne concerne pas juste une ou deux personnes marginalisées, mais tout le monde.
Chapitre 5 - TW discussion autour du viol, transphobie
Je vais même pas me fatiguer à résumer ce chapitre tant et si bien que l'on connait trop bien le mouvement "féministe" anti-trans. Cependant, je relèverais quelques remarques que j'ai trouvée pertinente dans ce chapitre.
La critique de réservation des espaces femmes aux femmes cis n'a bien sûre aucun sens. Et ainsi, outre que,
- Beaucoup, si ce n'est la majorité, des femmes trans n'ont pas l'envie d'utiliser leur penis (quand bien même els en ont un).
- Els sont bien plus souvent assujetti·es à la violence et que l'accusation fait inverser la balance.
- supposer que laisser les femmes trans entrer dans ces espaces seraient ouvrir la porte aux viols présuppose implicitement que cela ne soit pas déjà le cas (i.e que des hommes ne puissent pas déjà pénétrer dans de tels espaces).
- Peut-être et avant-tout, outre le fait que qu'importe la personne, si el se comporte de façon problématique, alors el devra être dégagé du-dit espace.
Outre ce début de rebutal; Butler avance des points très interessants auquels je n'avais pas pensée. Iel critique l'argumentaire selon lequelle admettre les femmes trans dans les prisons pour femmes serait porte ouverte à plus de viols. Outre des faits bien connus et rappelés ci-dessus, Butler souligne tout d'abord que ce point omet les violences que les femmes cis peuvent elles-même commettre entre-elles dans les prisons, rendant le viol l'appanage d'une classe "masculine", mais qu'en plus, cela met totalement sous silence les cas de viols perpétrés par les gardes eux-même, sans que cela ne fut une seule fois remis en cause qu'une prison pour femmes accueille des gardes masculins. Et dans le cas génériques des espaces pour femmes, el est aussi interessant de se demander pourquoi - alors que l'argument de " être une femme n'est pas une question de sentiment " est souvent brandi contre nous - pourquoi alors que le « "subjectif" est réputé frivole, infondé, capricieux [...] » (P.239); mais pourquoi donc JKR (dans ce cas-ci et développant sur son ticket de blog) utilise-t-elle donc sa propre experience personnelle comme d'un argument ??
Mais outre le cas des prisons et des espaces pour femmes, nous pourrions aussi développer le cas du viol en général. Car en effet, quand bien même ces personnes voudraient-elles faire en sorte que le penis devienne l'arme privilégié du viol; la réalité n'en est pas moins vraie et « [c]e type d'argumentation trahie une scène fantasmatique structurante : le pénis y est la cause et la condition du viol, et sans le pénis dans la pièce, il n'y aura pas de viol » (P.228), ce qui est bien evidemment faux puisque le viol peut tout aussi être « l'oeuvre d'un poing, d'un pénis et de tout ce qui peut faire office d'instrument contendant » (P.228). D'une façon plus générale maintenant, et dans ce cadre fantasmatique, el devient alors interessant de se demander pourquoi, pour ces personnes qui voient tous les hommes comme des potentiels violeurs, pourquoi donc « quand [elles élèvent leur] fils, [... elles ne s'écartent pas] de leur pénis comme s'ils n'étaient toujours qu'une menace potentielle pour les femmes » (P.229).
Chapitre 6/7/8
Blablabla, le sexe est pas que biologique et est - comme la nutrition qui « affecte la croissance et la densité des os » et dépends elle-même « de la production et l'accessibilité » (P.256) de celle-ci - le résultat de processus d'interactions complexes, et ça se saurait si la puberté masculine suffisait à faire de quelqu'un un grand athlète (occultant par la même les conditions sociales).
Les femmes trans sont des femmes et doivent pouvoir participer aux compétitions sportives, le CIO à révisé ses pratiques (qui restent recommandations) en 2021, Money était un connard et c'est ultra évident que ce que les gens voient comme « la materialité du sexe », les « faits », est en réalité un honteux positivisme qui ne s'interroge même pas sur « si les règles et les habitudes qui régissent l'observation ont été cultivées par le prisme ou le cadre à travers lequel nous-mêmes observons » (P.261). Le sexe n'est pas à la nature ce que le genre est à la culture. On retrouve les arguments comme quoi definir une femme par rapport à sa capacité reproductive (ou d'ailleurs, en général, qu' « une capacité biologique en particulier soit celle par laquelle le genre est défini » (P.250), c'est mal et que le genre reste utile en tant qu'instrument nous informant sur « la manière dont les significations des corps sexués sont produites en relation les unes avec les autres, et dont elles sont déployées et changées » (P.269)… Bref, allez lire Trouble dans le genre, lol.
Chapitre 9
Bonjour bonjour, est-ce que j'ai besoin de rappeler en quoi le genre c'est colonial ? Non, ok on passe; à plus tard. Plus serieusement, cf. ma review de La matrice de la race de Dorlin que j'ai pue faire par le passé. Outre la partie sur la nation (et qui est pas déconnante soit-dit en passant) Dorlin s'attaque à montrer en quoi le genre moderne s'inscrit dans une démarche colonisaliste et imperialiste. Ici, Butler nous en donne quelques clés dans un contexte plus Etats-Uniens et à une discussion très interessante sur l'évolution du langage dans les pays ne faisant pas partis de l'occident, et citant Stella N. affirmant « l'urgente nécessité d'un mode de pensée qui " dépasse le cadre fortement occidentalisé de l'acronyme LGBTQI " » (P.321) (en ce concentrant sur l'afrique tho; pour cette partie [j'ai vue du japonais + loin]). El n'est donc pas étonnant que les deux recherches se rejoignent. Dorlin, tout comme Butler, rapporte le cas des mutilations génitales et d'autres pratiques dégeulasses qui ont servis à asseoir cette idée (blanche) du genre ou encore le fait que dans l'occidentalité, certains peuples sont vus plus proche de la nature, tandis que d'autres sont plus proches de l'esprit (avec les hommes blanc en haut bien sûr) [4].
Chapitre 10
Euh, le genre - et tout ce qui y est associé - et bien evidemment un terme difficilement traduisible d'une langue à l'autre. Mais ceci n'est pas un mal puisque c'est dans l'effort de traduction - par un certain "rapprochement" qui en est la conséquence, si je puis dire - que nous pourrons lutter contre les gens qui voient dans la traduction même un certain imperialisme (cela peut l'être tho); une contamination qui viendrait entâcher leur langue; quand bien même cette traduction même est libre d'évoluer contre et au gré même de leur traducteurices [5]. De la même manière, et de façon symmétrique, les mots ne sont pas les propriétés des colons, et ceux-ci n'ont pas la main mise sur la diffusion et le sens des mots dans un premier temps imposés. C'est donc aussi par ce mécanisme de traduction que l'on pourra faire l'ébauche d'un féminisme transnational : Accepter un cadre multilinguiste, c'est faire preuve d'humilité.
A rebourds de toute ces personnes qui recherchent une pureté de la langue donc (qui, bien sûr, n'existe pas, si ce n'est, peut-être, dans des temps très très reculés) pour appuyer leurs dessins nationalistes, il faut au contraire mettre en avant un monde ou chacum puisse vivre de la façon dont el l'entends (en acceptant ou en refusant le genre par exemple) sans pour autant imposer une certaine vision du genre. Rapprochant ici vie vivable et multilinguisme, Butler insiste sur le fait qu'el n'y a pas de meilleur façon de parler (tout comme de vivre) de son experience et chaque langue est légitime dans sa façon d'aborder les choses. Un féminisme ne devrait pas avoir à imposer sa propre vision des choses.
Conclusion
Je vais faire la conclusion avant de lire la conclusion du livre; déjà parce que j'ai trop lue d'un coup et qu'el faut que je me repose.
Je vais le dire clairement : je suis mitigée. Je suis mitigée parce que je suis d'avis - et comme je l'ai évoquée plus haut - que je ne suis pas le public cible de ce livre. Car quand bien même il avait des remarques interessantes, la façon de présenter les choses me fait me dire que ce livre est davantage destiné à des gens dont le genre n'est pas la préoccupation constante. Ici, pas de grandes analyses ou de théories poussées (quoique), mais une vision superficielle et introductrice; quoique peut-être un peu plus profonde par moments. Dit autrement, si vous cherchez à introduire quelqu'un au concept de genre, cela peut-être une bonne porte d'entrée (pas forcément la seule); mais c'est pas là-dedans que l'on y verra des choses pointues.
La seule grosse critique que je ferais au livre est celle de promettre à priori (j'ai pas lue la conclusion) deux choses qu'il ne fait pas : le fantasme et l'imaginaire.
On se souvient comment, au début de ce livre, Butler oeuvre à parler du fait de savoir « comment faire un sorte qu'un contre-imaginaire puisse défaire l'emprise de l'idéologie telle qu'elle est exemplifiée par ceux-là même qui accusent le genre d'être une idéologie » (P.42). Cependant, aucune mention de ceci durant tout le livre (encore une fois, ci ce n'est peut-être dans la conclusion); et je trouve cela dommage. Pour un livre qui parle des intersections economiques et nationalistes du genre; pour un livre qui discute des peurs fondamentales liées au genre, j'aurais trouvée interessant de tenter une ébauche de cette vision qui ne soit pas (potentiellement) reléguée à la conclusion. Alors oui, on en a une certaine idée lorsqu'iel parle, et ce à plusieurs reprises, de vies vivables et de cohabitation; mais cela ne va pas au-delà de choses qu'iel à déjà pu·e énoncer par le passé (de ce que j'ai déjà pue lire de Butler). Dit succinctement, j'aurais voulu·e plus; quitte à ce que cela soit plus risqué·e. Car effectivement, parler d'imaginaire, c'est quelque chose de compliqué·e, et une tâche qui n'est bien souvent pas faite - préférant être laissée aux lecteurices - par peur (j'imagine) d'être critiqué·e de vouloir imposer son point de vue. Et cela ties in neatly avec le second point de ma critique, celui du fantasme. Butler parle beaucoup du fantasme, mais je reste sur ma faim. Iel en parle, mais tout en n'en parlant jamais. Iel reconnait le point de vue psycanalytique, mais ne le développe presque jamais (et quand iel le fait·e, c'est très rapide). Je comprends que - et si mon hypothèse est correcte - dans le cadre d'un livre grand public, mieux vaut ne pas s'y tenter; mais je trouve que par la-même Butler manque le coche de son argumentation et manque l'ocassion d'une analyse un peu plus profonde. Et c'est d'ailleurs là ou je pense que son approche montre ses limites et où - qu'on soit d'accord ou pas - el aurait pu être inteessant de parler de psycanalyse queer par exemple. Car Butler n'est pas practicien·ne, iel reste dans la théorie, et en tant que tel, je pense qu'el s'agit potentiellement d'une des raisons pour lesquelles iel ne s'est pas aventuré·e dans une ébauche de solution; au moins d'un point de vue psycanalytique.
Cependant, je vais quand même finir par un bon point, c'est la prise en compte de la race dans la discussion. C'est quelque chose qui était absent de trouble dans le genre, qui commençait à emerger dans Ces corps qui comptent, et que Butler prends tout à fait en compte (malgré une ou deux reserves que j'aurais) dans son analyse dans ce livre.
EDIT : ces reserves étant l'outright comparaison entre la théorie critique de la race et le genre comme deux choses égales dans les critiques qu'on leur fait (non ?). El y avait aussi un autre passage où Butler dit.e
“Imaginez que vous soyez juive et que quelqu'un vous dise que vous ne l'êtes pas. Imaginez que vous soyez lesbienne et que quelqu'un [vous dise que vous ne l'êtes pas]. Imaginez que vous soyez noire et que quelqu'un dise que vous êtes blanche [...]” (P.219).
Je suis là, c'était obligé.e ? C'est pas les même oppressions, est-ce que tu peux vraiment comparer ici ? Je suis pour les analogies (pas les comp), mais…
On retrouve aussi dans la conclusion la thèse selon laquelle le genre serait un cache-misère du néoliberalisme. Qu'en réalité, il viendrait là pour remplacer en quelque sorte la peur de l'économie qui s'éffondre, et qu'ainsi, on aurait tords de croire « que les critiques du genre ne sont que des conservateurs culturels qui tiennent à tout coeur à préserver la famille traditionelle. », en effet, comme l'énoncent Agnieszka G. et Elzbieta K. (sorry pour les accents que je coupe), « [i]ls réagissent en réalité [...] au déplacement et à l'insécurité produit par le néoliberalisme » (P.366).
Après lecture de la conclusion donc, je reviens en partie sur ma critique du fantasme, et plus précisement, sur la partie qui traite du non-développement. Comme le rappel la conclusion - et je pense qu'ici mon problème est plus sur la définition de fantasme, ce qu'il veut dire - iel à bien parler du fantasme. Je peux aussi en partie revenir sur ma critique de l'imaginaire, puisque, comme le dit Butler, non seulement « [p]ersonne ne sait très bien imaginer le futur » (P.349) [même si, imo, c'est pas ce qu'on demande, mais bref], mais aussi que
dans nos actes et nos pratiques, nous reproduisons implicitement une idée du futur sans toujours savoir précisement ce qu'il est » (P.350).
Et bien que cela ne soit pas suffisant, vivre, c'est déjà pas mal.
J'vais quand même dev un peu parce que je viens de lire une critique acèrbe de Elizabeth T. du bouquin que je rejoins. La personne critique tout comme moi Butler pour être trop shallow, rien proposer. Et effectivement, dans ce livre on parle que de choses que " si tu vis pas sous un rocher, t'en as forcément entendue parler " (sous entendu imo que qqun de droite lira pas ce bouquin et si t'es de gauche, normalement c'est logique [6]). De plus, et en lien avec ce que j'ai pue dire ci-dessus, on a aussi la critique (très valide) selon laquelle Butler ne s'attarde pas sur les TERF en tant que tel, et à titre d'exemple sur l'intersection femme / lesbienne si présente dans le mouvement (par exemple B. parle pas du fait que le genre, selon elles remet en cause l'identité lesbienne, ce qui aurait été effectivement un great point to tackle). La critique s'attache aussi à parler du fait que l'ajout du chapitre sur la co-construction est juste là "pour faire plaisir", Butler rechignant à incorporer du matérialisme dans ses écrits (c'est +- visible un peu partout ça).
Par contre, là où je suis plus contre cette critique, c'est quand elle dite que Butler énonce tout et son contraire en page 228 (pour la vfr) :
TW : mention de viol
Si l'idée est que quelqu'un qui à un penis, ou même qui en a eu un dans le passé, est voué à violer parce que le penis est la cause du viol, ou que la sociabilisation des individus ayant un penis est la cause du viol, alors, à tout le moins, devrait-on pouvoir en débattre. Le viol est un acte de domination sexuelle et sociale [...] il en résulte des relations sociales qui établissent la domination masculine […]
Utilisant les deux phrases que j'ai foutue en gras, la critique dite que Butler affirme en même temps que le viol est et n'est pas social. Je cite (en anglais parce que flemme de trad)
Butler uses this chapter to make a “guns don’t kill people, people kill people” style argument regarding rape. As though it is entirely unreasonable someone might associate rape with traditional male anatomy. This is not to say that women don’t rape, that all men have penises, that transgender women are predatory, or that sexual dimorphism is a natural fact - it is simply to live in reality; certain tools and the socialization around them enable violence. You can understand there is a relationship between penises and rape without believing trans women are rapists or denying their womanhood. Instead, Butler makes this ridiculous claim:
[la citation d'en haut] Let me get this straight: Butler does not agree that the socialization of those who have penises is a cause of rape but does assert that social relations which establish masculine domination are a cause of rape (in the same paragraph, no less). Is the socialization of those who have penises not relevant to the social relations which establish masculine domination?
Or, là, je suis pas d'accord puisque Butler parle bien dans cette citation du terme " est voué " [will]. Je pense donc que Butler prends tout à fait en compte la partie social, mais critique la vision qu'une sociabilisation va inevitablement créer cela. Genre, oui c'est pas déconnant d'associer les deux dans la société dans laquelle on vit, on est d'accord. Mais de là à rester dans cette pensée et croire que c'est le cas de tout les penis-havers ? En fait, et quitte à jouer sur les mots (litt.) j'ai cette impression que la critique à pas vu le mot de "will rape" as in inevitable et qui contrebalance toute la critique à mon avis.
Fin du TW
Donc ouais, je l'avais deja dite, et je le redis, contrairement à la critique, pas 1 star, mais pas trop loin non plus quoi. Je sais plus trop ou j'avais lue ça (p'être par delà les frontières des corps de Frederici), mais en fait, ce bouquin, ça ressemble à un bouquin - et ça me fait.e mal de le dire - de fin de carrière. Genre, c'est le truc typique où tu sais plus trop quoi dire, mais faut continuer à publier j'ai l'impression. Ce qui est dommage.
[1] D'après certaines personnes, le dogme de la complementarité serait apparu dans la 2nd moitié du Xxe.
[2] Oui, effectivement, cassons les frontières entre mariage, concubinage etc. Je suis d'accord avec le Vatican sur ce point, mais au contraire de ces derniers, n'en ai pas peur.
[3] Pensez aux enfants !
[4] Alors, en toute rigueur Dorlin dit pas ça, mais parle du fait que, par exemple, les indiens étaient (sont ?) vus comme effeminés. Mais y a +- la même idée.
[5] Je peux pas m'empêcher de parler de l'académie française et de se traductions qui ont été reprises XD.
[6] On pourrait quand même critiquer cette vision un peu binaire (" The arguments in these chapters are incredibly obvious if you have not been living under a rock: concerns around gender from the church largely have to do with concerns around homosexuality, teaching comprehensive sexual education does not make children gay, and trans affirming healthcare does not harm cis people. "). Surtout en ce qui concerne le dernier, hein.