Dans les épreuves et les violences du monde contemporain. l'invivable est la pointe extrême de la souffrance, de l'injustice, et du soin qui peut et doit y répondre. Mais qu'est-ce qui est invivable ? Puisqu'il exige immédiatement une action et un soin, comment s'en prémunir et le réparer? Judith Butler critique les normes qui rendent des vies « précaires » et « invivables » (depuis Trouble dans le genre), mais sans pour autant la lier à une philosophie de « la vie » ou du « soin ». Frédéric Worms, de son côté revendique un « vitalisme critique », pour lequel tout ce qui cause la mort relève de la vie, mais d'une manière différenciée selon les vivants, de sorte que « l'invivable » qui tue quelque chose en nous, reste littéralement vital et révèle la spécificité des vivants humains. Mais tous les deux voient dans la différence entre le vivable et l'invivable le fondement critique pour une pratique contemporaine du soin. Pour l'un et pour l'autre, le soin complet rendra la vie humaine vivable, « plus que vivante ». Il faut s'appuyer pour cela sur les pratiques concrètes des humains confrontés à l'invivable, les réfugiés dans le monde contemporain, les témoins et les écrivains des violations du passé. Ce sont eux qui nous apprennent et nous transmettent ce qui dans l'invivable est insoutenable, mais aussi indubitable, et ce qui permet d'y résister. Un dialogue transcrit et traduit d'une séance tenue à l'Ecole normale supérieure.
Auteurice.s:
Judith Butler, Frédéric Worms
Commentaire
je vais le résumer avec le paragraphe de fin
“ Judith Butler et Frédéric Worms ancrent tous deux leur reflexion sociale et politique dans une pensée de ce que le vivant, dans sa précarité et sa fargilité, requiert de nous. Ils jugent que la reconnaissance de la relationalité et de l'interdépendance constitutives des vies humaines doit conduire à formuler une exigence d'égalité radicale entre les vivants humains, qui se traduit par un effort démocratique pour assurer à chacun les conditions d'une vie vivable, sans se prononcer sur la forme concrète que cette vie prendra. […] ” (P.76)
il y a une discussion très intéressante autour de ce que sont le vivable et l'invivable. Notamment, je pense à Worms qui énonce que l'invivable c'est ce qui ne peut être décrit. A comprendre ce qui peut être "véçu" mais non pas exprimable par le langage. Je mets véçu entre guillemets parce que, entrez dans ce domaine; et le sujet disparait. Et Butler qui lui réponds que l'invivable compris comme tel peut être mélangé au vivable. Les récits traumatiques en attestent. Il y a un récit qui est fait d'une experience passée. L'invivable reste dans la vie, il y a une « coexistence [...] de la survie et de l'invivable, sans pour autant dissoudre l'invivable dans le vivable » (P34). Et Worms de répondre, « Mais je préciserais que le récit n'est pas une description. Raconter n'est pas décrire, et surtout pas décrire l'invivable ou le trauma, mais une autre façon de le saisir. Et cela se fait à travers les limites du récit et de l'innérable, qui est précisement une dimension du récit et de l'invivable. Le récit de l'invivable a des caractéristiques particulières : il est brisé, lui aussi, de l'interieur. Raconter le trauma comme une anecdote n'est pas possible : ce serait une entorse à la vérité de l'evenement » (P.43-44)