La quasi-totalité de la pensée féministe traitant de la mondialisation économique ou culturelle qui circule au plan international se fonde sur des concepts et des méthodes développés dans les Nords. C’est un problème si l’on veut comprendre les fondements du savoir féministe et le statut de concepts allant du patriarcat et de l’identité jusqu’au genre proprement dit. Pour surmonter cet obstacle, Raewyn Connell suggère, d’une part, d’identifier le degré d’intégration du féminisme dans une puissante économie mondiale de la connaissance, structurée par les inégalités entre métropole et périphérie ; d’autre part, de reconnaître que, malgré cela, le Sud global produit bien des théories et qu’il faut les prendre au sérieux, les étudier avec la même attention que celle que nous accordons aux textes de Simone de Beauvoir, James C. Scott ou Judith Butler. À partir de là, de nouvelles perspectives s’offrent à la théorie féministe.

Auteurice.s:

Raewyn Connell

  • Féminisme
  • Commentaire

    Théoriser le genre

    Le premier article, théoriser le genre, s'interesse - et comme je l'ai dite plus haut - aux deuc grandes théories jusqu'à là en vigueur. Si je comprends bien, el s'agit de parler du genre comme d'un comportement (théories des rôles), ou comme d'un rapport de pouvoir entre classes (ce qu'elle nomme le categoricialisme). Mais, el se trouve que ces deux visions sont empreintes d'erreurs fondamentales.

    La première théorie, celle des rôles, est bien connue de nous puisqu'el s'agit de l'ancêtre du féminisme liberal, du pop-feminism. Cette théorie énonce que le genre est construit en relation à des attentes, c'est-à-dire des charges explicites données aux personnes qui y sont sujettes (un système de recompenses/punitions). La seconde quant à elle, s'interesse au façonnement du genre au travers des relations de pouvoir, mais tout en prenant en compte le genre comme on prendrait en compte la classe : une catégorie homogêne. De cette théorie émane le féminisme radical.

    Sans surprise, toute deux sont faussées. La théories des rôles à ce problème qu'à voir le genre comme un comportement, elle voit le genre, non plus comme un déterminisme biologique, mais social où le système de punition récompense amène invariablement à un résultat. De plus, embourbée dans sa fixation sur l'individu, elle voit le genre comme d'un volontarisme pur où ce même système est perpétué consciemment, faute de quoi, c'est la théorie qui s'éffondre sur elle-même. Car en effet, si les attentes se transmettent et sont dus (ou au moins liés) aux rôles de genres, ce sont les rôles des genres eux-même qui sont aussi créés par ces même attentes. Rôles => Attentes => Rôles. Ca tourne circulairement. Et puis, avec un vocabulaire plus actualisé, on pourrait critiquer cette vision consciente en ce que, par exemple, une personne trans pourrait transmettre ces même attentes, quand bien même elles ne seraient pas en correspondances avec son rôle. Et c'est d'ailleurs la critique si souvent fait au féminisme libéral. A ce courant de pensé qui affirme, plus ou moins explicitement, qu'el suffirait que tout le monde change de comportements pour régler l'oppression sexiste; el faut répondre que cela dépends d'institutions plus larges. Le catégoricialisme quant à lui pêche dans sa vision trop global. Il prends en effet en compte les structures sociales (et donc implicites, différents des attentes qui elles sont explicites); mais ne faisant que cela, réifiant ces dernières dans des classes fixes, il en vient à faire des généralisations abusives. Comme l'exprime très bien Connell,

    l'argumentation se développe à travers l'analyse d'un cas standard normatif [... ou] présumé normatif. Les résultats sont [ensuite] implicitement généralisés aux « femmes » et aux « hommes » au sens large. (P.34)

    Cette vision est empreinte d'un universalisme criant que Connel critique en ce que « [l]'un des effets majeurs de tout ceci aura été d'éloigner la théorie féministe des divisions qui la traversent [...] » (P.35); universalisme créant ainsi un système binaire rigide dans lequel el n'y a pas de compromis possibles (comment rendre compte de l'oppression envers les personnes homosexuelle dans un système ou tout les hommes dominent toutes les femmes).

    Dès lors, Connel pensait que la meilleure façon de s'extraire de ces soucis était avant-tout d'avoir recours à la pratique. Car « on sait comment construire ce type de théorie sociale. En principe, le catégoricialisme peut être résolu par une théorie de la pratique, en ce concentrant sur ce que font les individus pour façonner les relations sociales [...]. En principe, on peut [aussi] surmonter le volontarisme en prêtant attention à la structure des relations. » (P.42). Ce dernier paragraphe est emblématique car il préfigure selon moi les deux visions futures qui sont nées dans les années suivantes. Car l'intersectionalité (ou la consubstantialité, comme vous voulez) résouds ce problème des cases rigides (tout du moins, dans une certaine mesure), et la théorie queer s'interesse aux formes du pouvoir qui faconnent les individu·es contre leur grés, s'interessant par la même aux mécanismes inconscient de création du genre.

    un dernier point que j'ai pas réussie à caser là-dedans, mais que j'adore (et on est en fucking 84' je rappel), est la citation suivante :

    Le social est radicalement antinaturel [...] Mais cette innaturalité n'est pas synonyme de deconnexion, de séparation radicale d'avec la nature. La négation pratique implique une incorporation de ce qui est nié dans la pratique tranformée. [...] Cela revient à dire que le processus social traite avec les modèles biologiques qui lui sont donnés. (Tout comme les processus biologiques doivent traiter avec les forces sociales qui les affectent [...]) (P.52).(mon soulignement indique l’italique dans le texte initial)

    Préfigurant par la Serano, et même peut-être Haraway (j'ai pas la temporalité); el s'agit pour Connel (selon moi), de vraiment prendre en compte une interaction réelle entre la nature et la culture qui soit séparer de cette vision binaire de nature/culture au profit d'un modèle interactionniste.

    Repenser le genre

    Le second article de ce livre s'interesse au féminisme dans un cadre mondial et vient répondre au premier dans une certaine mesure.

    Ici, Connel y défends l'idée d'un féminisme mondial liberé de l'imperialisme. Car aujourd'hui, et malgré l'avancé notoire réalisée durant ces dernières années et aux cours desquelles, par exemple, « [d]es revues du Nords [...] mettent un point d'honneur à inclure des contributions du monde entier [...] » (P.65), el n'en reste pas moins qu'une disymmétrie persiste en ce que « [c]ette litterature fonctionne sur le postulat implicite que le Sud global produit des données et des politiques, mais pas de théorie » (P.68), domaine réservés aux pays du « Nord global ». Connel plaide donc non seulement pour une inclusion, mais aussi une inclusion qui ne soit pas que cela. Non contente de donner une place à titre honnorifique, el s'agit de supprimer son monopole de pouvoir; question encore plus pertinente lorsque l'on sait que de nombreux écrits préfigurent des analyses réalisés plus tard dans le nord, mais qui, faute d'attention et de traductions, n'ont jamais reçus l'attention qu'ils méritent. Cette vision explicitée par Connel pourrait ainsi nous faire penser qu'el faudrait laisser le sud devenir "valide", dans le sens où chaque théorie devrait pouvoir revendiquer sa place de validité en indépendance total avec les autres. Mais Connel nous avertit ici. Car ce mécanisme de " mosaication " (néologisme) est dangeureux dans un monde ou l'élite dirigeante est devenue internationale, maintenant composée « d'hommes d'affaires internationaux, et non [de] patriarches locaux » (P.73). Mais si on ne peut eviter l'eurocentrisme que par cette mosaication, mais que de l'autre, cette dernière est à repousser à cause d'un besoin criant « d'hybrider [...] leurs travaux respectifs » (ibid.); comment faire ? Pour résoudre cette tension, Connel propose d'inclure le féminisme dans une « puissante économie mondiale de la connaissance » (ibid) permettant de reconnaitre cette même asymétrie tout en, je pense, gluant l'ensemble composé de cette altérité "nouvellement" découverte en reconnaissant activement les théories du Sud.