En 1978, Monique Wittig clôt sa conférence sur « La Pensée straight » par ces mots : « Les lesbiennes ne sont pas des femmes. » L’onde de choc provoquée par cet énoncé n’en finit pas de se faire ressentir, aujourd’hui encore, dans la théorie féministe et au-delà. En analysant l’aspect fondateur de la « naturalité » supposée de l’hétérosexualité au sein de nos structures de pensées, que ce soit par exemple dans l’anthropologie structurale ou la psychanalyse, Monique Wittig met au jour le fait que l’hétérosexualité n’est ni naturelle, ni un donné : l’hétérosexualité est un régime politique. Il importe donc, pour instaurer la lutte des « classes », de dépasser les catégories « hommes »/ « femmes », catégories normatives et aliénantes. Dans ces conditions, le fait d’être lesbienne, c’est-à-dire hors-la-loi de la structure hétérosexuelle, aussi bien sociale que conceptuelle, est comme une brèche, une fissure permettant enfin de penser ce qui est « toujours déjà là ».

Auteurice.s:

Monique Wittig

  • Féminisme Lesbien Féminisme Materialiste
  • Commentaire

    La catégorie de sexe

    Qu'est-ce que le sexe ? La pensée courante conçoit le sexe comme de cette donnée physique unique et immédiate, et qui sépare l'humanité en deux catégories distinctes. De plus, et suivant les sensiblités, plusieurs assertions y seront ajoutées, et Wittig en distingue trois spécifiquement. L'approche métaphysique, qui fonde les sexes comme d'une caractéristique relative à l'être d'une personne (et donc pré-sociétale). L'approche scientifique, qui utilise cette distinction pour fonder des verités sociologiques. Et enfin, l'approche marxiste qui fonde sur cette différence une division sexuée du travail. Mais n'est-ce pas là un mensonge ? Et si ce qui nous apparaissait être le plus ancré en nous, le plus naturel et le plus solide n'était en réalité qu'une chimère ? Pour Wittig, cela ne fait aucun doute. En tant que constructiviste, l'auteur [1] refuse d'accepter qu'el puisse y avoir un semblant de naturalité en dehors de la société. Ainsi, le sexe - ou plutôt faudrait-el parler de catégorie de sexe - n'est-il qu'une production sociale. Loin de nier, je pense, toute différences physiques mesurables, que le sexe ne soit pas naturel mais construit ouvre tout un champ de reflexion. Si « la biologie n'est pas le destin », alors cela veut dire qu'el y a une veritable pensée, une machinerie qui nous fait croire que le sexe et naturel et qui utilise de cet idéologie politique pour que les femmes soient « assassinée[s] et mutilée[s], [...] torturée[s] et maltraitée[s] physiquement et mentalement » (P.45); bref, en un mot, pour garder les femmes en position d'inferiorité. Cette pensée selon Wittig, c'est la pensée de la domination, la pensée de la différence.

    Que le sexe soit construit veut donc dire que ce dernier n'est pas la cause de l'oppression, mais bien plutôt sa marque, et que les hommes comme les femmes sont des catégories sociales et donc en ce sens contigentes. Mais dans quelle but cette pensée nous est-elle donc inculcée, dans quel but là fait-on infuser lentement toute la société et de sorte à ce qu'elle « possède nos esprits de telle manière que nous ne pouvons pas penser en dehors d'elle » (P.50). J'ai évoquée plus haut que ce but était de garder les femmes dans une position d'inferiorité. Mais surement pouvons nous être plus précis·e ? Qu'à cela ne tienne, Wittig à un mot tout trouver pour cela : l'hétérosexualité obligatoire. La société, et au travers de ses « inquisitions, ses cours de justice, ses tribunaux, son ensemble de lois, ses terreurs [... et de] sa police » (P.50), utilise de beaucoup d'efforts de re-naturaliser sans cesse l'injonction à l'hétérosexualité et dans le but de profiter du travail reproductif des femmes. Procréation, travail domestique ou encore travail ménager, toutes ces tâches majoritairement effectuées par les femmes n'ont en ce sens pas à être faites par les hommes qui peuvent ainsi s'élever au dessus d'elles. Redefinissant ainsi les hommes et les femmes comme de ce qui est opprimé et de ce qui opprime, Wittig en vient donc à comparer les femmes à des esclaves qu'on oppresse. Cette définition étant importante, je voudrais m'y arrêter quelques instant. El faut bien comprendre que Wittig définit les hommes et les femmes comme des classe sociales et où l'une d'entre elle (les hommes) exploite materiellement les autres (les femmes). « Il n'y a de sexe que ce qui est opprimé et ce qui opprime » (P.44) et en ce sens les femmes ne sont-elles donc définies ni en termes biologiques, ni en termes psychologiques. Ce qui fait le lien entre les femmes c'est l'oppression et leur lien au mythe de La-Femme pour ce qui est du versant idéologique. Dans ce contexte, el est d'ailleurs interessant·e de faire un détour entre Wittig et d'autres féminismes. A De Beauvoir pour qui les hommes comme les femmes sont marqué·es par leur sexe, A Irigaray qui pense au contraire qu'el n'y a de sexe que le masculin, Wittig boucle la boucle et ne pense au contraire qu'el n'y a qu'un sexe : le feminin. Prenant un peu d'avance sur le livre, Wittig considère en effet que les hommes font parti de l'universel [2] et que par conséquent el n'y a que les femmes qui puissent être ainsi particularisées. Mais revenons à nos moutons. Si les hommes et les femmes ainsi définis forment des classes mutuellement exclusives, définis en des termes dialectique donc, c'est alors que la lutte des classes n'est pas très loin. Etendant l'approche Marxiste qu'elle critique cependant pour son incapacité à rendre compte de l'hétérosexualité obligatoire, Wittig affirme donc que ce n'est qu'au travers de la lutte des classes et de l'abolition de la catégorie de sexe qui s'en suit que les femmes pourront se libérer de l'oppression qu'elles subissent.

    On ne nait pas femme

    On l'a vu au chapitre précedent, Wittig considère les hommes et les femmes sous un angle materialiste, et donc avec une vision de classes. Une définition qui à par ailleurs la conséquence interessante qu'une femme ne pourra jamais devenir un homme et puisque, ce dernier étant défini par son rapport d'appropriation aux femmes, el faudrait qu'elle ait « sa conscience, c'est-à-dire, la conscience de quelqu'un qui dispose par droit d'au moins deux esclaves " naturelles " durant son temps de vie » (P.57) [3]. Continuant cette reflexion, el s'agit donc pour l'auteur de dire que, non seulement ce qui définit une femme est la relation d'oppression qui la lie à un homme, mais que la suite logique est donc que « les lesbiennes ne sont pas des femmes » (ni des hommes aussi du coup). A cette phrase souvent maltraitée, on en comprends désormais mieux le sens. Car si une femme est défini en relation avec un homme et de façon économique, politique ou encore idéologique, c'est alors que les lesbiennes qui, par définition ne relationnent pas avec eux, n'en sont pas.

    Et ainsi s'agit-el pour Wittig de se créer une conscience de classe en realisant dans un premier temps que " le personnel est politique ", et que donc des problèmes que l'on pensait dans un premier temps isolés, sont en fait partagés. Ceci dit, l'étape suivante - celle de la lutte des classes en tant que telle et de leur abolition - est bien plus tricky. En effet, le Marxisme n'a-t-il pas réussi à faire cette même chose qu'il s'était juré de faire. Le Marxisme, en créeant une théorie de l'histoire et dans laquel le sujet n'a aucune place [4] a-t-il non seulement du mal à théoriser une véritable conscience de classe, mais en plus réduit-il cette classe à l'économie. Au travers d'un réductionnisme de classe qualifie-t-il en effet l'hétérosexualité obligatoire (ou son équivalent dans d'autres systèmes) de problème bourgeois et qui se reglera de lui-même et lorsque la base sera détruite. Or, une telle vision est problématique à partir du moment où ne sont pas opprimés que les hommes, et en ce que cette théorisation élide completement la question des femmes, une vision dans laquelle ces dernières restent piégées des hommes.

    C'est dans ce contexte que Wittig va-t-elle implicitement - quoique pas tant que cela [5] - dire que " le feminisme est la théorie, le lesbianisme la pratique ", « [r]efuser de dévenir hétérosexuel (ou de le rester) » ayant toujours voulu dire « refuser, consciemment ou non, de vouloir devenir une femme ou un homme » (P.57). Mais c'est ici qu'el me semble qu'el faille prendre des précautions. Car que Wittig indique vouloir créer une société de lesbienne en conséquence n'implique en rien un idéalisme binaire et dans lequel le lesbianisme serait completement en dehors de toute hétérosexualité. Car quand bien même les lesbiennes ne sont pas des femmes que Wittig reconnait cependant qu' « il ne s'agit pas à strictement parlé de " sociétés " en ce sens que les lesbiennes n'existent pas de manière completement autonome, en dehors des systèmes sociaux hétérosexuels » (P.53, note 1). Ainsi, loin d'un troisième genre ou d'une binarité problématique, l'auteur envisage-t-elle plutôt les lesbiennes comme d'un point de fuite - les comparant de ce fait à des esclaves en fuite - et comme son roman Virgile, non l'explicite très bien.  Wittig à cependant des compte à rendre à d'autres branches du feminisme/lesbianisme. En effet, nombre de personnes adhérant à ce mouvement en sont venues à chercher l'oppression des femmes non pas en des termes sociaux et tel qu'elle peut le faire, mais bien plutôt en des termes biologiques. En ce sens Wittig critique-t-elle tant le concept de patriarcat que de matriarcat et en ce que les deux se basent sur une présomption d'hétérosexualtié forte; les deux supposant une organisation pré-sociétale hétérosexuelle [6]. Mais n'est-ce pas là le seul mouvement du féminisme que l'auteur décrit, et s'attaque-t-elle aussi au différentialisme pour ne pas être allé assez loin. Ayant remis en cause le mythe de l'inferiorité, ce dernier n'en a-t-il pas moins gardé le mythe de La-Femme et au travers d'une pense de la différence.

    La pensée Straight

    Dans les années 70 - et donc au moment où Wittig écrit son article - la linguistique le structuralisme [7] prennent leur essors, et notemment au travers de plusieurs courants tels que la psychanalyse de Lacan ou encore l'antropologie structurale de Levi-Strauss. Dit autrement, " la théorie " cherchait-elle à expliquer l'ensemble de la réalité humaine au travers du langage. Wittig est très critique du structuralisme en général pour son anhistoricité, et en particulier de la psychanalyse qu'elle considère comme du charlatanisme. Que cela soit le recours à des experts seuls habilités à l'interprétation de signes peux nombreux et peu complexes par ailleurs, sa pensée totalisante ou encore l'interet financier qu'elle génère; quelque soit le point de vue adopté que Wittig ne considère pas la psychanalyse comme d'une discipline viable. En pour cause, la psychanalyse - mais peut-on étendre cela au structuralisme dans son entièreté - en vient-elle à naturaliser l'oppression et au travers de structures universelles qui nous dépassent et sur lesquels nous n'avons aucune capacité d'agir. Or, cette manière de penser qui non seulement est prompte à universaliser, mais qui en plus se base plus ou moins explicitement sur une hétérosexualité naturelle, Wittig lui donne un nom : la pensée straight. La pensée straight - et tout comme la société hétérosexuelle qui en découle - sont toutes deux fondées sur le primat de la différence et que Wittig à déjà pu évoquer dans La catégorie de sexe. Toutes deux vont ainsi constituer un ensemble de différences ontologiques qu'elles vont ensuite chercher à contrôler dans un but normatif de séparation définitive et totale; les personnes étant désignées comme l'Autre dans ce contexte devenant dès lors inferieures aux Sujets ainsi institués.

    Est-ce à dire que ces discours ne sont que cela, des discours ? Contrairement à Marx et pour qui la culture est une superstructure de la base économique, Wittig refuse catégoriquement la séparation entre langage et materialité. Pour cette dernière, loin d'être « divorcé du " réel " » (P.70) et comme peuvent l'affirmer les semioticien·nes, le langage à des effets concrets et matriels sur les personnes opprimées; et à commencer par le discours pornographique. Wittig cible tout spécifiquement la pornographie en ce que cette dernière n'a de cesse que d'humilier et de dégrader les personnes qui y sont cibles. Agissant comme d'un « avertissement, il nous ordonne de rester dans les rangs, il nous met au pas » (P.71). On comprends dès lors que, pour Wittig, el y a deux niveaux de réalité, de « materialité », et dont le langage en constitue cette seconde partie. Une telle conception pousse ainsi Wittig - et similairement à Aimé Césaire dans un contexte différent - à plaider pour une révolution culturelle, une « transformation politique des concepts-clés » (P.75), et étant en ce sens persuadée qu'une « transformation économique et politique ne dédramatisera pas ces catégories de langage » (P.74).

    A propos du contrat social

    Alors qu'au "début" l'existence de la société était expliquée au travers de Dieu, la dé-christianisation de l'Europe fit la part belle à des théories de la société de plus en plus athée. Plus spécifiquement, des philosophes tels que Hobbes tentèrent de l'expliquer comme de l'avènement d'un ordre par la force et de sorte à canaliser une nature sauvage. De son côté Rousseau, lui, concevait le contrat social davantage comme d'une hypothèse volontariste, une « forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant » (P.81). Reprenant la vision Rousseauiste du contrat social, Wittig pose le langage comme du contrat social fondamental et égalitaire. Cependant, pour cette dernière, ce contrat idéal n'est malheureusement pas celui qui est en vogue actuellement, et pour cause, un second contrat lui fut aposé par dessus - un contrat batardisé et n'incluant pas l'ensemble des sujets. Ce contrat, c'est l'hétérosexualité. Or, ce contrat est-il pernicieux en ce que non seulement s'agit-el de quelque chose de flou, de quelque chose que l'on ne puisse saisir que dans ses effets mais qui pourtant nous conditionne dans tout; mais en plus ajoute-t-elle que l'hétérosexualité ne s'avoue pas comme d'un régime politique. Prenant l'exemple de Levi-Strauss et de sa théorie de l'échange des femmes qu'elle trouve paradigmatique à ce sujet, Wittig la critique de façon véhemente et parce que, se posant en naturalité, elle masque sa veritable nature qui est celle d'un contrat qui exclut les femmes. Wittig a tout à fait conscience que la vision Rousseauiste est un mythe. Un contrat social n'est jamais volontaire, et d'ailleurs n'est-elle pas pour la suppression de tout contrat social, une tentative qu'elle pense vouée à l'échec. Cependant est-elle d'avis que « tant que les contractants ne [seront] pas satisfait » (P.86), alors faudra-t-el refaire le contrat social encore et encore, et une vision qu'elle met en lien avec l'avis de Marx et Engels sur la question. Car quand bien même ces derniers étaient-ils critique de la notion de contat social, qu'ils reconnaissaient que « dans la mesure où il implique une idée de choix individuel et d'association volontaire, [il] peut s'appliquer aux serfs » (P.80). Mais pourquoi un tel avis interesse-t-il Wittig ? Nous avons vu·es que Wittig considérait les hommes et les femmes comme des classes. Dans un tel contexte est-el donc facile pour l'auteur que de comparer les femmes à des serfs que l'on asservies. Or, que s'est-el passé·e avec les serfs ? C'est dernians ont progressivement quitté·es leur domaine et pour s'associé·es de sorte à créer les villes. Els se sont associé·es, et par là même ont-els cassé·es le contrat social jusqu'à là en vigueur. Par conséquent la comparaison permet-elle à Wittig de plaider pour une fuite progressive des femmes de la même manière.

    Homo sum

    Wittig commence a relater l'histoire de la métaphysique et de la dialectique qui l'accompagne avec Aristote. En effet, c'est à lui que l'on doit selon elle le passage de la différence - purement descriptive et mathématique - à l'opposition, cette fois-ci d'ordre moral. Ainsi des couples tels que clair/obscur ou encore régulier/irrégulier se sont ils vus accolés à d'autres copules telles que male/femelle ou encore bon/mauvais. Or, ce principe binaire d'opposition s'est vu être réutilisé et naturalisé par de nombreux philosophes, et dont Hegel. Hegel est tout à fait important pour notre discussion et puisque ce dernier considérait - dans un mouvement quasi-théologique et plutôt statique - à peut près tout en ce monde comme traversant les étapes dialectiques que sont la thèse, l'anti-thèse et la synthèse. Une opposition que Marx n'a pas manqué de reprendre à son compte et de sorte à l'historiciser. A Hegel qui considèrait ce mouvement comme quelque chose de trascendant, Marx le met en mouvement et au travers du concept de la lutte des classe. D'une conception idéaliste, Marx va donc appliquer cette notion à la materialité. Or, le problème est que la dialectique n'a jamais réussie à faire ce qu'elle escomptait. Prenant Marx comme exemple - et outre au travers du reductionnisme de classe qu'il opère et l'empêchant d'imaginer d'autres rapports de luttes comme de n'étant pas subordonés au capitalisme - Wittig le critique pour le fait que son opposition, loin de se résoudre dans une sythèse anhiliant les deux termes opposés, n'a fait que reprendre la tactique de l'oppresseur et en ce que, historiquement parlant, l'opprimé s'est toujours retrouvé à sa place. Une position qui se retrouve d'ailleurs très clairement dans sa conception de la révolution, et en ce sens que les masses ont besoin d'un parti fort pour pouvoir mener la révolution à bien; un parti qui - n'étant qu'une partie de la bourgeoise - ne pouvait donc en aucun cas chercher à s'auto-détruire. Critiquant ainsi un universalisme général qui ne concerne en réalité " qu'une minorité de personnes : les hommes blancs, les propriétaire des moyens de production ainsi que les philosophes " (P.89), qui n'est qu'un positionnement qui ne dit pas son nom; Wittig suggère au contraire que les points de vues particulier - et ici lesbien - sont au contraire bien plus humain que ces derniers. Re-affirmant le caractère double des lesbiennes qui, un pieds dans le système n'en restent pas moins en dehors, Wittig plaide pour une veritable révolution du genre qui ne soit pas un simple renversement des termes et, dialectisant la dialectique, que cette révolution réussisse enfin à passer du côté de l'Un, du Même.

    Paradigmes

    Du désir psychanalytique comme d'une caricature hétérosexualisée du véritable désir jusqu'au fait que la femme est une classe à abolir; et en passant par l'hétérosexualité comme régime politique qui ne dit pas son nom ou encore " la différence " comme d'une opposition politique qui s'auto-fonde en ontologie, dans cet article structuré comme d'un dictionnaire, Wittig semble vouloir construire succintement les définitions des termes qu'elle à pu employer jusque là. On y retrouve tout particulièrement deux idées jusqu'à lors non développées. Dans un premier temps, et en lien avec ce que Wittig à deja pu énoncer dans ses articles précedent, s'agit-el pour elle d'appuyer le fait que les lesbiennes ne sont pas opprimées parce qu'elles sont des femmes; mais bien au contraire parce que ceci n'est pas le cas. Ensuite, ajoute-t-elle aussi que la sexualité telle qu'elle la conçoit est à des années lumières de ce qui est considéré·e comme sexualité par le régime hétérosexuel, une vision qui se lie bien avec l'idée qu'el existe « n sexes » - et en reprenant par là même Deleuze et Guattari.

    Le point de vue, universel ou particulier

    Dans cet article censé être une préface à La passion de Djuna Barnes, Wittig explicite les traits remarquable de l'oeuvre qu'elle décrit.

    Wittig ne conçoit pas que le masculin soit genré. En effet, pour elle, le masculin étant l'uinversel, ce qui s'est d'ors et deja transcendé, il s'en voit séparer de ses caractéristiques physique, il est l'esprit. Au contraire la femme est-elle donc le corps, ce qui est particularisé et qui en ce sens ne peut jamais désigner la totalité. C'est donc dans ce contexte que Wittig refuse de parler d'écriture féminine. « féminine » est ce qui est lié au mythe de La-Femme, ce qui rends intemporel et immateriel, et en ce sens l'auteur considère-t-elle que l'écriture féminine est un mouvement réactionnaire face à un autre mouvement qui, lui, veut l'abolition des catégories de sexe.

    Mais c'est dans ce texte que Wittig va pour la première fois (dans le recueil) évoquer la figure de l'écrivain minoritaire. La litterature étant le lieu de la construction du sujet par excellence explique-t-elle donc que le rôle de l'écrivain minoritaire est d'universaliser son point de vue. Mais que veut donc dire universaliser ? Commençons par nous prévenir d'une mauvaise lecture de l'universalisme de Wittig. Dans Homo sum, Wittig énonce que « dialéctiser la dialectique revient pour moi à se demander ce qu'il arrivera vraiment à la question de l'humain une fois que toutes les catégories de l'Autre seront transférées du côté de l'Un, de l'Être, du Sujet » (P.96). Se plaçant ici dans une trajectoire qui refuse clairement la possibilité que « l'Autre (une catégorie d'autres) [prenne] la place de l'Un [et] sous pretexte de révolution, domin[e] d'énormes groupes de personnes opprimées dont le sort est de devenir l'Autre des ex-autres » (ibid), Wittig se refuse de simplement re-créer une autre binarité de par son mécanisme d'universalisation. Mais si l'universalisme n'est pas un moyen de re-créer une hégémonie, alors qu'est-ce ? Comme je l'ai évoqué dans la pensée straight, pour Wittig le langage n'est pas séparé de la materialité. Ainsi, universaliser - et dans le contexte des catégories de sexe que Wittig cherche à détruire - n'est-ce toujours qu'un choc occasioné sur lea lecteurice, une reconfiguration qui lea force à repenser l'universel. L'universalisation est-elle donc un moyen de mettre en crise le faux universalisme, de le fracturer. Le point de vue lesbien n'est pas une position qui se cherche en hégémonie, mais bien plutôt une subjectivité qui cherche à éclater notre considération de ce qui est « humain » [8].

    Le cheval de troie

    Dans cet article Wittig remet-elle en question de manière plus approfondie le dualisme entre la materialité et le langage. A l'opposé des conceptions (post-)marxistes et pour qui le langage n'est qu'une superstructure représentant les idées de la classe dominante, une enième representation de la base materielle, l'auteur nous enjoint au contraire à penser le langage non pas comme une idéologie mais bien plutôt comme d'un materiau. A la politique et à l'histoire qui utilisent le langage tel quel, dans son sens commun, Wittig leur oppose la litterature, seule discipline travaillant materiellement les mots. Les mots sont en effet capable d'être travaillés et tout comme lea sculpteurice travail l'argile. Or, ce travail est important car, dès lors que l'on a réussi à neutraliser les mots, à leur faire perdre leur sens commun, que c'est seulement à partir de ce moment-ci que le travail de l'écrivain·e peux commencer; un travail qui transforme l'oeuvre litteraire en véritable cheval de troie. Prenant Proust et son livre à la recherche du temps perdu qu'elle trouve paradigmatique de ce phénomène, Wittig énonce que toute oeuvre litteraire importante est un veritable cheval de troie capable de détruire et de reconfigurer les « vieilles formes et les règles conventionnelles » (P.124) et au travers de l'universalisation.

    La marque du genre

    Dans cet avant-dernier article, Wittig s'interesse à ce qu'elle nomme à la suite des linguistes la marque du genre. De tout temps les philosophes ont-ils considérés que le genre était de ce corps de concept fondamental. Tellement fondamental d'ailleurs qu'existant « avant toute pensée, tout ordre social, dans la nature » (P.134), ces derniers ne pouvaient raisonner sans. Ainsi, et se présentant notamment au travers du langage, n'était-il qu'une façon de décrire la réalité et non pas d'interpréter. Wittig, qui remet en question ce présupposé, s'interesse tout particulièrement aux pronoms et comme forme grammatical faisant advenir le genre des personnes qui les emploient. En effet, et mettant en ce sens de côtés les pronoms à la 3e personne de par leur caractère trivial, l'auteur nous indique-t-elle que les pronoms à la 1ere personne sont-ils aussi touchés. Et pour cause, le genre infeste-t-il aussi la conjugaison et la grammaire, et de telle sorte que le « je » qui parle ne puisse le faire sans la marque du genre. Pour Wittig, la marque du genre n'est rien d'autre que la representation linguisitique du sexe, et en ce sens sont but est-il pour l'auteur de l'afficher publiquement, et de la même façon que l'état civil. En outre - et reprenant en ce sens ses reflexions passées sur la materialité du langage - Wittig affirme-t-elle non seulement qu'el « y a une plastie du langage sur le réel » (P.135), ce dernier projettant des « faisceaux de réalité sur le corps social » (ibid); mais va-t-elle plus loin en allant jusqu'à énoncer que « même notre physique est transformé (ou plutôt formé) par le discours » (P.137). Ce point est très important en ce qu'il nous montre que ce genre qui participe à la construction du contrat hétérosexuel n'est pas divorcé du materiel.

    Mais pourquoi parler de marque du genre, et pas juste de genre ? Cela s'explique par le fait que, pour Wittig et à la suite de Beneviste, le langage fonde le sujet, mais le fonde en tant que sujet absolu. Le « je » qui parle est ontologiquement neutre et ainsi « se réapproprier tout le langage, ne peut se faire que par un je entier, total, universel, sans genre » (P.138). Ainsi nous explique-t-elle que ce n'est qu'au travers d'une « manoeuvre, [d']une entourloupette » lorsque le « je se constitue » que le genre tente de créer « une division dans l'être même » (P.138). Pris dans un double mouvement, le sujet absolu qui parle ne le fait-il qu'en se référant à un pronom qui le fonde sans cesse en tant que sujet relatif, et une méthode qui rend le genre « ontologiquement [...] totalement impossible, impraticable » (P.138). Or, ceci, nous dit Wittig n'est le cas que des femmes, les hommes eux, s'étant appropriés le neutre, et ce qu'ils peuvent faire au vu du fait que l'être est deja et avant tout neutre. Or, cette appropriation n'étant jamais définitive, se refaisant sans cesse et de par la complicité des gens, la conclusion de Wittig est dès lors qu'el faut « détruire le genre totalement » (P.139).

    Avis

    Je tiens à dire que je retire de cette troisième lecture une bien meilleure compréhension et une vision bien plus nuancée de Wittig que les deux premières fois que je l'ai lue, et en ce sens me permet-elle d'ammorcer une certaine reconcilliation avec une tradition plus materialiste du genre.

    Langage, materialité et post-structuralisme

    Le premier sujet que je souhaiterais aborder au sujet de Wittig est sa vision du langage. Wittig est unique en son genre et en ce qui concerne le materialisme puisque étant aussi écrivain, elle s'interesse à la langue. Ainsi considère-t-elle très justement dans nombre de ses essais que le langage « n'est pas divorcé du réel [...] il est la réalité » (P.72). Refusant la dicotomie entre le langage est la materialité, Wittig se place ainsi en contre-champ d'une vision plus Marxiste et où le langage comme superstructure ne fait que refleter sa base économique. Et bien que je serais moins affirmative qu'elle dans le fait de penser le langage comme ayant une dimension materielle - et dans le sens où j'aurais moins tendance qu'elle à les égaliser - je ne peux qu'approuver cette vision des choses et qui lui fait dire que « même notre physique est [formé] par le discours » (P.139). Et cela est une vision encore plus interessante lorsque l'on connait les critiques à Trouble dans le genre de Sedgwick. Dans Touching feelings cette dernière reproche en effet à Butler une pensée binaire qui n'a fait, en définitive, que renverser l'ordre des choses. En effet, s'interessant tout particulièrement au langage, Butler à institué·e une priorité du verbal sur le non-verbal et au travers de son concept de performativité. Cependant, Wittig ne faisant pas - ou presque - de distinction entre les deux en vient-elle justement à avoir une vision bien plus planaire en ce qui concerne le langage et la materialité.

    On a souvent affirmer que Wittig était une humaniste en puissance. Et effectivement ses textes font-ils la part belle à un sujet absolu qui puisse modifier le contrat social, réaffirmer le genre quasi-volontairement et en sortir. Cependant, j'ai pu affirmer dans mon article _Wittig était-elle postmoderne ? Repenser la question du sujet dans la marque du genre_ que la question était plus complexe. Loin d'affirmer que les femmes sont les seules à être marquée, y ais-je suggérer que l'article de Wittig, la marque du genre, laisse aussi sous-entendre que les hommes renient en réalité leur propre marque. Cette nuance effectuée, cela m'a ainsi permise de placer les hommes sur un continnum de l'universel plus que dans une position binaire et distincte des femmes.

    La question de l'autre et l'humanisme

    Cette reflexion sur la théorisation de Wittig est importante car elle me permet de faire le lien avec un débat plutôt important au sein du féminisme, c'est-à-dire la question de savoir comment faudrait-el concevoir la relation entre le feminin et le masculin. Sans re-rentrer dans tout les détails de l'opposition Wittig / Beauvoir / Irigaray (allez voir Trouble dans le genre) que je suis d'avis que ces conceptions me semble empêtrées dans une fixité problématique et où le féminin, pour construit qu'il soit, reste fixe. En ce sens la conception de De Lauretis me parait-elle pertinente pour continuer la reflexion de Wittig. Affirmant que le sujet du féminisme est ex-centré - un pieds dans le champ, un pieds dans le contre-champ, les marges - me permet-elle ainsi d'affirmer que le féminin est encore et toujours un double mouvement circulaire. Certes le masculin créer-t-il le féminin et comme l'énonce Irigaray, mais ce dernier déborde-t-il aussi de l'économie signifiante du masculin et puisque la norme créer toujours son exterieur. Un débordement que le masculin cherche cependant à contenir en ce l'appropriant mais qui est en ce sens toujours voué à l'échec. Or, si le masculin n'est pas aussi totalitaire que le prétends Wittig, si le masculin n'est en définitive toujours qu'un déni plus ou moins prononcé de sa propre marque, c'est alors que le masculin peut être modifié par le féminin qu'il tente d'accaparer et contre lequel il se définit.

    Et pour revenir à Wittig suis-je tout de même consciente qu'elle reste humaniste. Je l'avais évoquée plus haut, et je voudrais ici insister sur le fait que la subversion de sa théorie que j'ai ainsi tentée de faire n'avait aucunement pour but de réhabiliter sa position. Je suis fondamentalement postmoderne [9] et en ce sens, je pense toujours que la position de Wittig se trompe. Car outre la discussion que je viens d'avoir au sujet du rapport masculin/féminin, que Wittig à aussi la tendance à rétablir un sujet transcendental. Non seulement le fait-elle dans la marque du genre, mais en plus critique-t-elle dans On ne nait pas femme le Marxisme  pour avoir débarassée sa théorie du sujet, pour l'avoir mis aux poubelles de l'histoire [10]. Mais peut-être cela est-el le plus visible dans sa vision du contrat social. Wittig considère en effet qu'el existe deux contrat social, le premier étant le langage. Et outre le fait que j'ai du mal à comprendre en quoi le langage puisse être une " forme d'association qui protège ", outre que j'ai du mal à concevoir le fait qu'un contrat social (l'hétérosexualité) puisse être modifié et pas l'autre (le langage); qu'elle suppose dans tout les cas un contrat social avant toute culture.

    Lutte des classes et suppression des catégories de sexe

    L'autre partie essentielle de la pensée de Wittig est le concept de lutte des classes et qu'elle reprends du Marxisme. Et peut-être ici pourrais-je commencer par une remarque. Wittig critique le Marxisme pour sa tendance à rétablir l'Autre à la place de l'Un. C'est une remarque pertinente, et effectivement c'est ce qu'el s'est passé·e historiquement parlant. Mais cette vision me semble (legerement) de mauvaise foi et en ce que Wittig ne fait que citer l'idéologie allemande, et une fois le manifeste du parti communiste, deux "premiers" ecrits de Marx. Je ne vais pas m'avancer davantage, mais Marx aurait-il modifié quelques positions en ayant vu la commune de Paris. En oute, pour Wittig qui ne voulait pas rétablir l'Autre et qui avait à coeur de nier le principe du parti central, je me demande clairement si elle avait connaissance de l'anarchisme et ce que cela aurait pu apporter à sa théorisation. Ceci dit, la théorie des classes de Wittig est-elle interessante et en ce que - comme toute théorie materialiste - elle permet de penser l'oppression "physique" des femmes. Je ne sais pas si Wittig aurait fini TERF ou non, mais puis-je dire que, théoriquement parlant, concevoir des femmes comme d'une classe de part leur oppression et leur relation aux hommes est une vision anti-essentialiste des plus attraillante. Critiquant la simple révolution économique et plaidant en plus pour une révolution culturelle, elle nous permet de penser l'abolition des catégories de sexe, tout du moins à l'état civil, et le fait de repartir sur d'autres bases.

    Cependant, vais-je tout de même considérer sa théorie comme totalisante. Le problème de considérer les hommes et les femmes comme des classes - et en tout point de l'analyse - est dans un premier temps qu'une telle vision, bien souvent, à tendance à considérer les classes comme fixe. Wittig n'y réchappe pas, et ais-je l'impression que selon elle le régime politique de l'hétérosexualité est-il surplombant. En lisant la pensée straight ou à propos du contrat social par exemple, je ne peux m'empêcher de penser que Wittig conçoit de l'hétérosexualité comme de ce régime d'où rien de bon ne sort, mais qui en plus agit sur les sujets de tels sorte à ce que ces dernier n'ait aucune marge de manoeuvre. Un tel système n'autorise aucune possibilité de subversion, et une subversion qui ne serait dans tout les cas considérée que comme symptomatique de l'hétérosexualité et puisque « refuser de devenir hétérosexuel (ou de le rester) a toujours voulu dire [...] de vouloir devenir une femme ou un homme » (P.57). Considérant que les lesbiennes sont à cheval entre l'hétérosexualité et son dehors qu'elle ne les voient que dans un mouvement de fuite d'un système pourri jusqu'à la moelle. Or, je trouve qu'une telle façon de penser - et en ce qui concerne le genre - tends à réinscrire le prescriptif comme limite du descriptif, le second ne pouvant encore et toujours que s'exprimer dans le premier. Une vision que je renie et en ce que je préfère davantage considérer que le prescriptif et descriptif, bien que liés, ne sont pas des cercles concentriques. En outre, considérer le genre comme d'un système totalisant à aussi le défaut de tendre vers une société androgyne. Je l'ai dit et je le redis encore, je ne suis pas forcement contre une suppression des concepts d'hommes et de femmes - et même si je pencherais plus pour une re-définition - mais je continue cependant de penser que cela ne doit pas être une excuse pour faire totalement sans le genre, compris comme interprétation des corps. Non seulement parce que vouloir abolir les catégories de sexes totalement est, comme le dit Thierry Hoquet dans Mon corps a-t-il un sexe, une vision antropocentrique mais aussi en ce qu'elle prétends que l'on puisse faire reference aux corps sans jamais les genrer. Car si le système est pourri, et si el faille totalement le détruire, c'est alors que la seule voie de sorti est de faire totalement sans. Or, quand bien même j'apprécie Wittig pour sa critique de la « femme » comme faisant parti de l'hétérosexualité que je trouve que cela la fait jeter le bébé avec l'eau du bain, laissant par la même un vide conceptuel difficilement gérable. Et d'ailleurs, suis-je d'avis que le problème est avant tout le réductionnisme biologique, une nuance que Wittig ne semble pas prendre en compte et puisque pour elle, toute différence ne peut pas être autre chose qu'une marque de l'oppression.

    Le lesbianisme politique

    Le dernier point que je souhaiterais traiter ici concerne le lesbianisme politique et dans lequel Wittig semble s'inscrire, notemment dans On ne nait pas femme. Dans un premier temps souhaiterais-je noter qu'el y a chez Wittig une romantisation de l'esclavagisme que je trouve problématique. Comparant la femme à des « serfs » ou a des « esclaves marrons », elle considère la femme comme devant se libérer de ses chaines. Or, une telle vision applatit totalement les différences entre les femmes racisées lors de l'esclavage et les femmes blanches de classe moyennes. Dans Always Trouble, Isabell Dhams évoque le livre de Hortense Spillers, Mama's baby, Papa's maybe, et dans lequelle cet·te dernian effectue une différence entre le corps et la chair, cette dernière étant vue « comme du degré zero de la conceptualisation sociale ». En effet, la traite transatlantique a-t-elle marquée « un vol du corps - une rupture volontaire et violente du corps captif de sa volonté et de son désir. Dans ces conditions perdons-nous à tout le moins les différences genrées dans ce processus, le corps de la femme et de l'homme devenant un locus de manoeuvre politico-culturel agenré », une conception qui se transmet d'ailleurs de façon inter-générationnel. Dans ce contexte me semble-t-el donc que, comparer des lesbiennes - à priori blanches - à des esclaves en fuite est une vision problématique en ce que nous n'avons clairement pas là affaire au même degré de déshumanisation.

    Le second point que je souhaiterais soulever, et à propos du lesbianisme politique de Wittig est sa tendance à faire la remarque de la " réification du patriarcat ". Cette phrase que j'utilise en générale, s'adresse à tout système de pensée qui finit par conceptualiser l'oppression comme étant unique et totalisante, qui se lève vent debout contre un système considéré comme d'un bloc. Wittig, parce qu'elle considère les hommes et les femmes au travers du prisme de l'oppression écrit dans One ne nait pas femme qu'une lesbienne ne pourra jamais devenir un homme et puisque cette dernière devrait pour cela avoir sa conscience, qui est celle de l'oppression. Je passerais sur le possible essentialisme des hommes qu'opère l'auteur ici et pour me borner à dire que, quand bien même j'ai précedemment énoncée plus haut que Wittig avait un cadre pro-Trans que la chose est en réalité un peu plus complexe. Car dès lors, que cela veut-el dire ? Si une non-femme ne peut pas devenir un homme, alors logiquement un homme ne peut pas devenir une non-femme, ou même une femme. Transphobie much ? Et une vision qui va d'ailleurs de pair avec la conception du genre linguistique de Wittig et pour qui, dans la marque du genre, les pronoms n'ont que pour but de signifier publiquement le sexe. Je sais bien que Wittig écrit à un moment où les identités non-binaires n'existaient pas encore, mais si le genre est le reflet du sexe en ce sens, alors que dire des néopronoms ?

    Conlusion

    Je disais dans mon résumé de Notre Sang que le féminisme radical était pour moi lié à la colère. El ne fait aucun doute pour moi que la pensée de Wittig est de la même façon lié à un traumatisme du genre/sexe; et en ce sens suis-je portée à me demander s'el n'en est pas du genre comme el en est plus ou moins de la religion. L'anarchisme a, par exemple, été historiquement fortement anti-clérical. Cela était compréhensible et puisque l'Eglise avait-elle la main mise sur la vie sociale. Cependant, et à mesure que cette influence diminua-t-elle - et une influence qui, dans le cas du genre est toujours bien présente - que la vision majoritaire se nuança. Loin de vouloir laisser les institutions en l'état en sommes-nous venu·es, en tant qu'anarchiste, à laisser les croyant·es tranquille. Cette vision linéaire de l'histoire cache bien sûr le fait que cela n'a jamais été " aussi simple " et que de tout temps de l'anarchisme religieux a-t-il existé, mais me permet-elle de mettre en lumière que la force de la résistance était-elle aussi liée à la force de l'oppression.

    La pensée Wittig est fascinante, et malgré ses shortcoming, elle a tout de même eu le point positif de mettre en lumière le fait que l'hétérosexualité était un regime politique et non pas quelque chose de naturelle, une simple orientation. Je lisais quelque part - peut-être dans Touching feelings - que Wittig était un pont entre le queer et le materialisme, et je suis tout à fait d'accord. A une pensée qui à la tendance à ne pas conceptualiser le materiel comme d'une " réalité physique " et à une autre qui, au contraire, semble délaisser le langage, Wittig nous rappelle que l'alliance materialisme-queer est possible et que les désaccord ne se situent pas dans cette question.

    Notes :

    [1] Tout comme je respecte le souhait de bell hooks de voir ecrit son (pré)nom en minuscule, je respecte le souhait de Wittig de se voir utiliser le masculin générique.

    [2] Et en ce sens, je pense, rejoint Scott dans la citoyenne paradoxale.

    [3] Paie ta transphobie btw. Wittig qui accuse les autres de réifier les hommes et les femmes semble faire la même. Elle a beau dire que les femme sont pas def par leur psychologie qu'elle me semble faire la même ici, et en disant que la sociabilisation masculine va forcement engendrer un type de conscience chez les mecs. Alors oui, on pourrait dire que je fais une personne de paille et que ce qu'elle voulait dire c'est la majorité et que c'est pas une fatalité. Mais honnêtement ? Après tout ce qu'on vient de lire ?

    [4] Critique du determinisme historique de Marx pour qui tout passe par des forces economiques exterieures en définitive.

    [5] On en jugera pas la citation suivante, « ce qu'une analyse materialiste accomplit par le raisonnement, une société lesbienne l'effectue en fait » (P.54)

    [6] Par exemple, certaines ont cherchées à expliquer que le problème venait de la préhistoire en ce que les femmes, devant faire des gosses, sont restées clouées sur place tandis que les hommes partaient chasser.

    [7] Je vais pas encore faire une definition du structuralisme, cf. Trouble dans le genre ou Touching feelings

    [8] Je suit ici la lecture qu'en fait Butler dans Wittig's material practice

    [9] Ou, tout du moins, pour le moment

    [10] A noter ici que la critique n'est pas forcement fausse non plus. Marx était un structuraliste  (selon moi). Mais ce faisant Wittig semble pencher de l'autre côté.