Lorsqu’il fut publié pour la première fois aux États-Unis en 1990, Épistémologie du placard devint immédiatement un classique qui, aux côtés des travaux de Judith Butler et Teresa de Lauretis, posa les termes de ce qui serait bientôt connu sous le nom de « théorie queer ». Dans cet ouvrage de référence, Eve Kosofsky Sedgwick affirme que l’ensemble de la culture occidentale moderne s’articule autour du binarisme homo-/hétérosexuel et que celui-ci affecte les binarismes qui structurent l’épistémologie contemporaine tels que savoir/ignorance, secret/révélation, privé/public ou santé/maladie. S’appuyant sur de nombreux textes datant de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième siècles (Wilde, Proust, Nietzsche, Melville et James), elle traque l’émergence des nouveaux discours institutionnels taxinomiques (médical, légal, littéraire, psychologique) qui produiront en miroir les figures de « l’homosexuel » et de « l’hétérosexuel », au détriment des multiples différences au cœur des sexualités.
Auteurice.s:
Eve Kosofsky Sedgwick
Commentaire
Axiomatique
Peut-être pourrais-je commencer à résumer ce livre maintenant que j'ai finie la partie introductive de l'introduction (lol). S'el y a bien quelque chose à retenir de cette partie, c'est bien avant tout son cadre très post-moderne et cherchant à destabiliser les normes.
Ce livre, comme l'autrice le dit elle même si bien n'est « en lui-même qu'une longue introduction » (P.34). Refusant l'idée d'une analyse pré-determinée et algorithmique et dans laquelle seuls quelques (contre-)exemples pourraient amener à infirmer ou confirmer sa thèse, et en ce sens versant completement dans l'idée de deconstruction entamé par Derrida (et surement d'autres), Kosofky Sedgwick insiste sur l'idée que son texte n'est qu'un début de reflexion et que ce n'est que par un « un processus minutieux d'accumulation d'analyses [...] » (ibid) que ses hypothèses pourront être testées. Ce faisant, elle refuse totalement l'utilisation du sens commun qui, trop embourbé dans une culture acritique et trop marqué par son sujet d’étude, ne nous serait ici d'aucune aide. Postmoderne en quel sens cependant ? Durant toute cette introduction, et comme je le résumerais plus loin, l'autrice n'a cesse de montrer son tournant " queer ". Que cela soit par son refus de supposer un sous-mouvement prioritaire en ce qui concerne les mouvements gays/lesbiens ou encore l'explicitation de la parenté de sa pensée redevable au féminisme mais qui, en même temps, considère qu'il est « possible et nécessaire de prendre une voix différente en son sein » (P.37); que cela soit son envie d'élargissement et de redefinition de lecture de texte dit litteraires ou son insistance pour dépasser les binarismes, ce texte sue le postmodernisme par tout ses pors. Continuant d’ailleurs dans son projet de destabilisation, et reprenant ici ce que j’ai pu développer dans le paragraphe précedent, l’autrice refuse d’ailleurs de reconnaitre la portée de son oeuvre et insiste sur la possibilité « d’autres alternatives, parfois contradictoires [...] » (P.36) comme de conditions même de son oeuvre.
Introduction
De quoi parle donc le livre ? Je parlais plus haut d'hypothèses à tester. Mais quelles sont-elles ? L'idée centrale que ce livre cherche à développer est cette idée selon laquelle el y a un lien marquant entre les discours culturels liés à l'homosexualité (le « placard ») et la culture prise dans son ensemble et que le discours et la théorie gay et lesbienne serait un formidable point d’entrée sur l’étude de cette tension en ce qu’els viendraient exacerber cette tension que le sens commun vient faire taire, cacher. Plus précisement, selon elle, la redéfinition du binarisme hétéro/homo durant le XXe siècle fut l’un des points-clé historiques permettant la rédefinition de la culture et l’étude de ces discours culturels minoritaire, de ce placard, permet ainsi de nous informer plus généralement sur tout les autres binarismes affectés par ce changement (que cela soit savoir/ignorance, masculin/féminin ou encore santé/maladie pour en prendre 3 évidents). Prenant sur Foucault de ce côté-ci, el s’agit cependant pour l’autrice de dépasser le cadre binaire en ne faisant pas la distinction entre ce qui est dit et ce qui ne l’est pas, mais bien plutôt en pretant plus attention aux multiples façons de ne pas dire, ce qui est précisement éludé au travers même de l’instauration de ce placard.
Dans le cas de ce dernier donc, el s’agit bien de préter attention aux divers silences qui le créer, tout autant et si ce n’est plus que l’acte performatif créant le coming-out qui ne vient pas forcément rajouter d’informations. Effectuant ainsi son premier lien, elle cherchera à montrer – entre autre - en quoi ce mécanisme silences/paroles est en lien avec le mécanisme savoirs/ignorances. Je met ici ces termes aux pluriels car en effet, et tout comme el y a des silences différents dans nos relations au placard, el ne peut pas y avoir pour l’autrice d’ignorance unique. Appliquant ici le postmodernisme de façon très clair, el s’agit pour elle de préciser que savoir et ignorance sont tout les deux liés et que l’ignorance n’est pas un quelconque résidu pré-culturel diabolisable, une simple absence de savoir – et tout comme le mouvement des lumières, le mouvement « moderne » (wink wink) voudrait nous le faire penser - mais que bien au contraire « elles [en] sont coextensives et circulent en tant que bribes de regimes particulier de verité » (P.30).
Enfin, poursuivant sa deconstruction, et similaire à Butler en ce sens, Kosofsky Sedgwick cherchera à renverser le binarisme hétéro/homo pour en montrer son instabilité. A ce binarisme au sein duquel on valorise l’hétérosexualité « au niveau ontologique » (P.32), el s’agit de montrer en quoi le terme « hétéro » est dépendant d’un terme qu’il exclus et qui le définis. Ainsi, si tout deux se chevauchent, prétendent à l’originalité, « tout le cadre de la copie et de l’original se montre radicalement instable, à mesure que chaque position s’inverse dans l’autre et brouille ainsi possibilité de toute solution stable pour localiser l’anteriorité temporelle ou logique de chacun des termes » (marché au sexe, Imitation et insubordination du genre, J.Butler, P.55). Mais attention, el ne s’agit pas par là de dire qu’el faille considérer que faire une déconstruction telle que l’autrice entends le faire, que mettre à jour ces binarismes et ces tensions soit suffisant et Kosofsky Sedgwick se place ici en opposition à des personnes telles que Beaver [1] pour qui « dès lors que le paradigme est brouillé, l’utopie commence » (P.32) et qu’ainsi, montrer la non-naturalité du terme dominant suffirait à decentrer le système dans son ensemble. Car en effet, et comme l’aurait dit De Lauretis, le champ créer le hors-champs ; mais est simultanément « développé au milieu des ronces de ces décentrements » (ibid).
Tout ceci dit, peut-être pourrais-je dès lors m’interesser à un cas particulier d’opposition structurant la culture et dont le livre traite, ou du moins de façon très brêve dans cette introduction : l’opposition minorant/universalisant. Dit succintement, el s’agit de l’opposition entre une vision des personnes gays comme distinctes des autres et dont l’importance de ce point-clé précedemment cité n’a d’utilité que pour elleux, et une vision les voyant comme plus contigues aux autres et dont le binarisme hétéro/homo et d’importance pour tout le monde, quelque soit sa sexualité. Un des exemples que Kosofsky Sedgwick prend pour illustrer cette opposition est le mécanisme juridique de la « gay panic » permettant de justifier son homophobie sous pretexte d’un dégout légitime à des avances. Ce mécanisme est révélateur puisqu’il permet de mettre en lumière cette idée de distinction dont je parlais en ce que cet argumentaire suppose, en face des personnes gays, un groupe tout aussi patologiques, minoritaire et distinct et dont « leur sentiment d’insécurité à propos de leur masculinité est tellement anormal qu’il peut permettre de prétexter que la responsabilité mormale normale est dans leur cas diminiué » (P.41).
Axiomes
Dans cette partie, Kosofsky Sedgwick développe plus en profondeur ses axiomes de pensée qui ont permis l'écriture de ce livre. On peut résumer ces positions en deux parties : une partie Queer, et une partie litteraire; bien que, dans les faits, ces axiomes ne soient pas totalement séparables. Une partie des axiomes traitent spécifiquements des relations de genre et de sexualité, et l'autrice y tente de déconstruire et de brouiller les pistes en proposant trois idées : la sexualité et le genre ne sont pas coextensifs; la sexualité est de plus construite, et enfin, la séparation nature/culture ne fait pas de sens.
tourant queer
Genre/Sexe/Sexualité ont bien evidemment des liens, mais des liens troubles. Posant le sexe comme un element purement biologique et le genre comme purement culturel, Kosofsky Sedgwick commence par expliquer les multiples liens et confusions tant discursives que materielles qui les relient et qui, par là même les relient à la sexualité ; cette sexualité qui est « biologiquement indispensable à la survie de l’espèce » (P.49) - et ce, au travers de la reproduction ; mais tout en transcendant cette prérogative. Biologique, innée, mais aussi culturelle, construite, la sexualité semble prendre des deux parts. Mais bien sûr·e ; l’autrice ne s’arrête pas là. Car les liens et les confusions ont beau être nombreuses, el ne faut pas oublier que la sexualité est construite, tout du moins dans la mesure où « le rétrecissement définitionnel, opéré durant ce siècle, de la sexualité en son entier à une équation binaire homo- ou hétérosexualité est un fait majeur mais entièrement historique » (P.51) qui vienant camoufler la séparation que l’on pourrait faire entre genre et sexualité. Et dès lors, si genre et sexualité ne sont plus aussi fondamentalement liés entre eux, el en advient logiquement que les études gais et lesbiennes et le féminismes ne sont plus la même chose. Nuançant tout de même son propos en indiquant qu’el n’est pas possible de connaître à l’avance le degré de cette séparation, Kosofsky Sedgwick indique cependant que ces même études gais/lesbiennes ont beaucoup à apprendre des questions que le féminisme - champ institutionnel bien plus vieux que sa contre-partie sexuelle - à appris à poser. Et c’est d’ailleurs dans cet espace discursif ouvert par la sexualité que va s’engrouffrer l’autrice dans un autre de ses axiomes. Car si la sexualité est sur une ligne de partage entre inné et acquis, alors peut-on surement développer ce binarisme même. Dans un de ses axiomes Kosofsky Sedgwick appuie sur l’importance d’oublier cette distinction inée/acquis et qui structure autant notre culture. Car bien que ce binarisme existe, toujours est-el qu’il n’est lui-même pas objectif et qu’il semble lui-même se heurter à tout un tas de fantasmes. Par exemple, selon cette division, l’inée est ce qui est inaltérable alors que la culture est ce qui est maléable. Mais qu’est-ce qui nous permet donc d’affirmer cela, et pourquoi ne pas voir la culture comme une force imovible ? Après tout, la société même est forgée de sorte à reproduire certains comportements, certaines structures et met un frein à ce fantasme du « choix », l’idée selon laquelle « [l]es personnes sont [...] « libres de choisir à tout moment » d’adhérer à une identité sexuelle particulière » (P.60). Et cette idée est importante car elle va de pair avec la conception Butlerienne du genre comme performativité, et en ce qu’elle préfigure ce que Serano pourra dire des années plus tard, et ce que Connel avait déjà pu exprimée en 84’, c’est-à-dire que, « [...] le procesus social traite avec les modèles biologiques qui lui sont donnés. (Tout comme les processus biologiques doivent traiter avec les forces sociales qui les affectent [...]) (Repenser le genre, P.52).
Et c’est aussi pour cette raison que l’autrice lui préfère le binarisme minorisant/universalisant en ce que ce dernier cherche plus à centrer la question de savoir « pour qui la question de l’homosexualité est-elle importante » plutôt que de chercher à faire une séparation elle-même impossible puisque « le fossé conceptuel qui sépare ces deux perspectives opposées fais désormais partie intégrante de la structure même de chacun des outils théoriques dont nous disposons » (P.59). Et parlant de ce nouveau binarisme justement, l’autrice ira dans une direction postmoderne puisqu’elle cherchera à expliciter dans un autre axiome comment, et à contrario d’une version linéaire de l’histoire, les discours s’entrechoquent plutôt ensemble. Pour cela, Kosofsky Sedgwick prend en exemple deux récits sur l’homosexualité emblématiques de leur époque : celui de Foucault et celui de Harlepin. Sans entrer dans les détails de leur argumentation, el est à noter cependant que, bien qu’écrit durant la même periode, ces deux récits sont hautement contradictoire et ce, malgré leur structure argumentative similaire. Ces exemples permettent à l’autrice d’effectuer deux tournures rhétorique importantes. Dans un premier temps, cela lui permet de déstabiliser le présent, mais surtout, et dans cette même idée, de montrer en quoi nous ne savons pas bien ce qu’est l’homoséxualité moderne et que cette fiction du « je sais », ce discours pré-construit pour nous, n’est là que pour nous indiquer une chose : « chut, tais-toi, ignore-toi, reste dans le placard ».
tournant litteraire
L’autre partie des axiomes de l’autrice se base plus sur la littérature qui est le cadre de son étude ; mais tout en contiuant les reflexions déjà commencées plus avant. Elle y énonce par exemple que la relation entre les études gais et lesbienne et le canon littéraire se doit d’être ambivalente. Faisant analogie au féminisme qui a permis d’interroger le cannon littéraire jusqu’à là neutre, Sedgwick entends faire de même avec les études gais et lesbiennes de sorte à créer tout un ensemble de cannons, d’interprétations minoritaires, qui viendraient destabiliser les lectures établies et remettre en question la posture dominante du canon litteraire hégémonique. L’autrice exemplifie cela parfaitement dans sa suite de question presque tautologiques : « Y-a-t-il déjà eu Socrate [...] un Shakespear [...] un Prouste gai ? ». Cette suite de questions pourrait porter à faire sourir tant on aurait envie d’y répondre platement « oui. ». Mais la question que pose en creux ces questions est bien plus fondamentale. Car non seulement, la réponse y aurait été oui ; mais aussi un « oui, et voici la forme que cela à pris ». Appliquant sa reflexion du « je sais » à la litterature, et similaire en cela a ce que j’ai pue evoquer plus haut, el s’agit aussi pour Kosofsky Sedgwick de critiquer plus avant le canon. Car en effet, et jusqu’en 1990 tout du moins, le canon allait plus loin. Dictant sa verité, il refusait aussi d’être interprété. El s’agissait de ne pas savoir - « mieux vaut ne pas savoir » - et même pire « [c]essez de poser ces questions, [...] ça ne change rien » (P.71), ne signifie rien.
Chapitre 1
Dans ce chapitre, Kosofsky Sedgwick s’interesse à deux des concepts qu’elle avait commencée à aborder dans son introduction. Plus précisement, el s’agit du binarisme savoir/ignorance et des oppositions majeurs structurant la conception homo/hétéro que sont les binarismes minorisant/universalisant et " inversion/séparation de genre ". Ici, el s’agit de montrer pour l’autrice que le placard est un concept qui a structuré l’identité gay durant le siècle et qu’el n’est en outre pas possible d’avoir une vision objective sur l’opposition minorisant/universalisant tant et si bien que cette opposition structure notre pensée. Dit autrement, on ne peut pas y échapper, se trouver en dehors, et ainsi el est impossible de trouver des « méthodes alternatives suffisement cohérentes » (P.87) autre que celle de se ranger d’un côté où de l’autre (et ce, j’imagine, sans casser le binarisme H/H lui-même, mais ce qui, comme elle le dit elle-même en page 100 est impossible puisque cette catégorisation décrivant « leur propre experience de leur sexualité et de leur identité, suffisement en tout cas pour que leur emploi [...] du terme vaille l’énorme prix à payer qui l’accompagne », alors « la catégorisation mérite [...] qu’on la respecte).
Kosofsky Sedgwick commence son argumentation du côté des binarismes en général et du binarisme savoir/ignorance. Argumentant par un exemple historique que les discours juridiques contrainent et oppressent les véçus gays [2], l’autrice avance cependant l’hypothèse que ces même discours n’ont pu gagner en précision et en surveillance qu’au travers du rapport particulier qu’à eu l’homosexualité avec d’autres binarismes. En se structurant autour du binarisme placard/coming-out, et ce dernier agissant sur d’autres binarismes plus génériques tel que privé/public qui dès lord prenèrent une connotation homo/hétéro, une certaine augmentation des discours « contre » à pu être crée. Alors, bien sûr, nous pourrions dire que de nos jours, cette relation n’est plus aussi présente et que le placard n’est plus gay, mais ce n’est pas l’avis de l’autrice pour qui l’ensemble des binarismes est affecté de cette charge. Plus précisement, concernant le binarisme savoir/ignorance, Kosofsky Sedgwick affirme que dans sa grande majorité ce dernier s’articule autour de la notion de sexuel - de savoir/ignorance sexuel·le - et que cela est au travers d’un recit historique du secret et de l’exclusion que ceci à pu avoir lieu. Prenant en effet exemple sur Diderot, l’autrice nous indique que le savoir sexuel comme secret à découvrir n’a pu être créer qu’en ce que l’identité et la sexualité gay avait d’ors et déjà été constitué en secret au préalable. Autrement dit, Freud n’a pu lui-même découvrir son savoir sexuel que parce que le secret de la sexualité gay avait été réifié par le passé avant lui, que parce que « une sexualité particulière que l’on avait distinctement constitué en tant que secret s’était en fait déjà développée, et constituait par conséquent un objet de choix pour l’anxiété epistemo-sexuelle » (P.91).
Dans un second temps, et après s’être interessée aux interactions entre savoir et ignorance et comment l’un créer l’autre, Kosofsky Sedgwick va se pencher plus avant sur les spécificités de l’identité gay. Dans un premier temps nous pourrions dire qu’être gay est très différent d’être racisé·e en ce que cela n’est pas pleinement visible à première vu et qu’une meilleure analogie pourrait être une avec la religion. Cela serait une bonne idée, et Proust lui-même avait fait ce rapporchement au travers du recit biblique d’Esther. Esther, c’est l’histoire d’une reine juive qui cache à son mari le roi son identité en tant que tel puisque ce dernier veut génocider la population juive qu’il contrôle (si je comprends bien). Dans un premier temps, ce « cas limite de coming out » (P.93) décrit par Proust pourrait nous semble satisfaisant. Mais, et comme l’autrice nous le montre, de nombreuses différences existent avec l’identité gay, et non des moindres celle qui consiste en l’opposition indépendant/relationnel. En effet, et contrairement à l’identité religieuse d’Esther, l’identité gay n’est pas indépendante de l’objet du coming-out. L’identité gay, par définition relationnelle, inclut dans sa révélation autre chose qu’elle-même, est ex-statique. Qui n’a jamais vu·e le trope de la personne lesbienne qui ne fait son coming-out que pour se faire entendre dire par ses amies femmes : « ça veut dire que t’es attirée par moi / que tu veux me baiser ? Eww ». Le recit d’Esther n’est donc pas une bonne analogie gay et « s’appesantir sur ces instants d’aveu à la Esther [contribue] nécessairement à representer inadéquatement [...] l’oppression gay » (P.95). Cependant, ce que le récit d’Esther nous permet de mettre en lumière est que, et contrairement à cette dernière, el n’y a jamais eu de moyen pour que les personnes gays (en général) puissent mettre en avant leur identité, la stabilise et la rende légitime avec comme contre-parti la réification du patriarcat (je pense qu’elle fait ici référence implicite à l’homonationalisme entre autre ?).
Ce jeu des sept différences – litteralement – auquel l’autrice se prête est d’ailleurs très important puisqu’il nous permet de faire la transition avec la suite de l’argumentaire. Ce jeu, ou plutôt, cette ensemble de règle qui différent dans le cas de l’homosexualité n’est là que pour restreindre l’incohérence et la pluralité fondamentale de l’identité gay et donc, de l’identité hétérosexuelle par ailleurs et érigent une distinction hétéro/homo stricte. Mais bien sûr, déconstruire cette opposition binaire ce n’est pas – comme l’autrice l’a dit en introduction – la mettre à mal, et on remarque aisement que la tendance qu’à la catégorie nominative « homosexuel » a resist[er] avec robustesse à la désintegration sous la pression » (P.100) est avant du aux personnes qui s’y définissent en oppositions. Ici, Kosofsky Sedgwick avance l’argument selon lequel ce n’est que parce qu’une frontière stricte est érigée que « homosexuel » ne peut être compris comme une catégorie évidente, fixe, pour la description. Ceci pourrait sembler paradoxal, mais encore faut-el se rappeler que dans un monde qui conçoit les identité comme fluides – et ce, ne serait-ce que par la contamination supposé des mots, on y reviendra – ériger des barrières est un mécanisme nécessaire et vital pour se protéger soi-même identitairement parlant. Dit autrement, ce n’est que parce que l’identité et la sexualité sont implicitement vues comme floues, fluides qu’une importance toute particulière peut être apportée à eriger des barrières de plus en plus stricte, et raison pour laquelle « l’insistance paranoïaque avec laquelle les barrière définitionelles [...] sont fortifiées [...] sap[pent] le plus fortement notre capacité à croire en « l’homosexuel » en tant que catégorie évidente permettant de définir des personnes » (P.100). Et cet exemple est là aussi très important en ce qu’il nous permet clairement de comprendre l’incohérence dont Kosofsky Sedgwick parle lorsqu’elle parle d’incohérence même au coeur de la définition de homo/hétéro et de subordiniation d’un terme à l’autre. Ici, on voit clairement comment une vision minorisante vient jouer avec une vision universalisante ; l’une voyant les personnes gays comme ontologiquement séparés des autres, l’autres croyant cependant que les personnes hétéro peuvent tout de même être tentés par les personnes gays et tout l’environnement gay omniprésent dans la société. Ici, au coeur même de cette incohérence se confondent des visions minoritaire et majoritaire de l’homosexualité. Et bien que de nombreuses personnes aient plaidées pour un côté ou l’autre (minoritaire ou majoritaire), el semblerait qu’aucun camp n’ai réussi à prendre le dessus, et même ni arrive jamais.
Enfin, et en dernière partie, l’autrice s’interesse davantage aux liens entre homosexualité et genre. Car si ce lien peut paraitre éloigné de notre préoccupation initiale en ce qui concerne les définitions hétéro/homo et les oppositions structurantes, el n’en est rien. Dans un premier temps, Kosofsky Sedgwick s’interesse au trope de l’inversion sexuelle selon laquelle une personne gay serait en réalité de l’autre sexe (« un homme dans le corps d’une femme ») et analyse cela, à la suite de Christopher Craft, comme encore et toujours d’un mécanisme de pression à l’hétérosexualité. Opposé à ce discours existe d’ailleurs un autre discours non pas d’inversion, mais de séparatisme de genre qui tend à lier identification et désir. Et ce qui est interessant dans cela – outre la propension à montrer en quoi les discours sont pluriels et contradictoires – est le fait que ces discours se croisent et ne sont pas hérmétiques à la définition hétéro/homo, minorisant/universalisant. En effet, alors que l’inversion de genre devrait se faire solidariser ensembles les personnes gays et les femmes hétérosexuelles (de même désir), la séparation de genre devrait se faire se solidariser les femmes lesbiennes avec les autre femmes (même identification). Ce que cela nous permet ainsi de voir est que les deux discours, quels qu’ils soient, ont cette tendance à la croisade, à verser dans l’autre. Le séparatisme, par exemple, minorisant en ce qu’il sépare les gays des hétéro et à fortiori ici les femmes, a quand même eu la trendance universalisante à brouiller les pistes par exemple, au travers du concept de continnum lesbien de Adrianne Rich. Ainsi, des visions que l’on pourrait dans un premier temps voir comme symmétriques, opposées, ne le sont pas tant que cela ; et minorisant et universalisant sont parcourus de fractures, de croisements. En conclusion, l’impasse même créée par ces oppositions érige incohérence fondamentale et insoluble et qui est fortement lié à la distinction des genres. Insoluble elle l’est puisque c’est cette dernière qui structure notre pensée.
Commentaire
J’apprécie beaucoup ce chapitre, non seulement pour son début de tentative de destabilisation des identités tout en reconnaissant l’impossibilité de s’en extraire totalement ; mais aussi, et peut-être surtout car, trente ans plus tard, ce livre est encore d’actualité en ce qu’il évoque en creux la non-originalité des oppressions et la continuité de ces dernières. A plusieurs reprise durant ce chapitre ais-je pu écrire des notes qui me rappelle ce que nous vivions aujourd’hui en tant que personnes trans. Que cela soit la panique moral sur le genre que l’on voit se développer de nouveau aux US et qui consiste à dire que simplement dire le mot « gay » serait exposer les enfants à le devenir ou que les drag-queen dans les écoles renderaient les enfants trans ou leur apprendrait à le devenir; que cela soit la trope de l’inversion de genre tout simplement transférée aux personnes transgenres que l’on décrit comme étant « dans le mauvais corps » et dont la charge historique dévoile cette pression à l’hétérosexualité ; ou encore le fait que le savoir est avant tout devenu un savoir sexuel ; je n’ai cesse de voir une continuité entre ces deux formes d’oppressions et la manière qu’elles ont de se baser sur cette même contradiction d’un petit groupe mais qui serait en même temps omniprésent dans la société. Concerant cette dernière justement, el est interessant de noter que l’adaptation à bien eu lieu. La crise n’est maintenant plus tellement sexuelle qu’elle n’est sexuée, et le savoir est avant tout un savoir des organes génitaux. Et d’ailleurs, plus subjectivement, je suis aussi contente d’avoir une charge de plus contre le trope du mauvais corps. J’avais déjà de nombreuses critiques à son sujet, mais là, j’en ai une de plus.
[1] Oui, c’est un nom
[2] Je prends ici et à partir de maintenant le parti de dire gay pour dire « gays et lesbiennes ».