Avant que Black Lives Matter et le mouvement #MeToo ne viennent secouer l'Amérique et le monde occidental, bell hooks montrait, dans cet essai incisif, que l'abolition du racisme et l'éradication du sexisme vont de pair. Sans le féminisme, la lutte antiraciste risque de rester une affaire d'hommes. Sans l'antiracisme, le féminisme s'expose à servir de courroie aux logiques de domination raciale. bell hooks insiste sur le bien-fondé de la rage qui anime les masses populaires et la jeunesse noire, et sur la nécessité d'en faire un moteur de changement social radical. Elle propose une théorie et une pratique révolutionnaires, dont la fin est une communauté solidaire fondée sur l'égalité réelle et la volonté de tous et toutes de travailler au changement.
Auteurice.s:
bell hooks
Commentaire
Je pense que, pour une fois, je ne vais pas tant chercher à résumer le livre, bien plutôt que de chercher à en résumer certaines idées. Cela peut paraître confus à priori (un résumé n'est-il pas un assemblage d'idée ?), mais ce que je veux dire par là est que le livre, de mon point de vue, n'a pas été écrit pour moi. Il n'a pas été écrit - ou tout du moins, pas seulement - pour les personnes blanches. Et je pense que cela est davantage clair.e lorsque Hooks insiste non pas sur des comportements racistes de la part de personnes blanches, mais analyse plutôt la situation des personnes noires. En tant que tel, et bien que cela soit interessant, je ne vais pas tant résumer ces points-ci plutôt que ceux qui ont un lien direct avec le racisme/suprématie blanche; et que je trouve bien plus pertinent, en tout cas, en ce qui me concerne.
Ce n'est pas à dire cependant que je ne vais pas passer sur quelques idées que transmet le livre. Durant le début de son oeuvre, Hooks élabore une idée très interessant qui est celle de la rage. Dans ses chapitres Rage Assassine, résistance militante et Au delà de la rage noire, mettre fin au racisme, cette dernière cherche à articuler les ressorts de la rage dans un contexte de race. Une idée tout particulièrement puissante est celle selon laquelle la rage peut être un moteur d'acte, qu'elle peut être - et si l'on arrive à dépasser la « rage narcissique » - une rage millitante. Cette idée n'est pas tellement nouvelle, certes, mais elle fait écho - et d'une façon très limité j'en conviens - à ce que j'ai moi-même pu ressentir dans un contexte différent. Lorsque j'ai commencée à lire, lorsque j'ai lue Le génie lesbien et En finir avec les violences sexuelles et sexistes, je me souviens de cette rage qui m'avait animée et que je penais à contrôler. Bien sûr, il ne s'agit pas ici du même type de rage et Hooks insiste bien sur le fait que « la rage noire que le pouvoir blanc veut réprimer n'est pas la pleurnicherie narcissique des classes noires privilégiées, c'est la rage des déshérité.es et des opprimé.es, qui pourrait être mobilisée pour forger une résistance millitant à la suprématie blanche.
En ce qui concerne le racisme en tant que tel, quatres grandes idées semblent ressortir dans le livre de Hooks que je vais tâcher d'expliciter au mieux. Ce sont, la question des médias, les valeurs occidentales, le déni du racisme et l'institutionalisation de ce dernier. Bien sûr, je vais séparer ces quatres grands thèmes, mais il est bien sûr à noter que tout est intriqués, bien que je puisse en donner l'impression contraire.
Les médias et la question de la représentation est une grosse critique de l'oeuvre de Hooks. Concernant ce pan de lecture, cette dernière précise que ces derniers ont un rôle tout particulier en ce qu'ils permettent de formenter le racisme, ne serait-ce qu'au niveaux des valeurs qu'ils transmettent. En effet, alors que dans les années 60, un certain séparatisme avait permis la création d'une culture séparée, « cette barrière c'est effondré lorsque les télévisions sont arrivées dans nos salons » (P.148). Car dès lors, les valeurs occidentales pouvaient pénétrées jusque dans les vies privées des personnes noires et leur faire rêver « d'avoir accès aux récompenses materielles accordées par les Blanc.hes [...] » (P.147). Mais cela ne s'arrête pas là, et bien loin de seulement faire preuve d'assimilations, les médias usent de la representation pour pratiquer un certain effacement, laissant penser, « à travers les dialogues libéraux [...], à travers l'intégration d'acteur.ries racisé.es, que le racisme n'est désormais plus un obstacle » (P.149). Cela rejoint d'ailleurs parfaitement la critique de Zappino dans Communisme Queer, qui critiquait les mécanismes de représentation pour des raisons légerement différentes, mais liées. Selon lui, la représentation, n'est pas une fin en soi et ne font surtout rien pour améliorer la vie de personnes réelles. En effet, « éduquer aux différences », c'est le nom que nous devons donner à une pédagogie réactionnaire. [...] il n'y a rien de transformatif dans une action pédagogique qui enseigne à respecter l'existence phénoménique de différences de genre, en s'abstenant respectueusement de mettre en cause ce qui les produit [...] Qu'y-a-t-il de souhaitable dans l'éducation [...] au fait que, dans le monde, il existe des personnes [TPBG], quand jamais ces personnes ne seront leurs enseignants ? » (P.179).
Outre cette question des médias, et que l'on pourrait bien sûr développer bien plus, nous pouvons aussi nous tourner du côté des valeurs occidentales. J'ai déjà pu les évoquées, mais détaillons ce point plus précisement. Un sous-thème qui revient régulièrement dans l'oeuvre de Hooks et l'idée selon laquelle la supprématie blanche nous pousse à la compétition en formantant en nous un individualisme marqué. Développant ce propos, elle cite un ouvrage écrit par des personnes anonymes et qui ne citent pas leurs sources, comme si elles avaient réussies « « naturellement » à se détourner de la pensée et des allégeances de la supprématie blanche [...] » (P.140), comme si cela tenait « d'une sorte de pensée originelle » (P.142). Mais outre ce culte de l'individualisme, il y aussi - et cela est lié - un culte du materialisme - par là entendre du confort à outrance, du luxe. En effet, nous avons internalisé.es « cette idée de la bonne vie », qui n'est rien d'autre qu'une « forme d'imperialisme occidental qui renforce l'idée que la majorité des gens dans le monde [...] vivent des vies [sans] valeur parce qu'ils manquent de ressources materielles » (P.334). Une idée que l'on peut bien sûr liée une fois encore à la compétition et au désir d'assimilation parmis les classes bourgeoises.
Du point de vues des personnes blanches plus particulièrement, il est aussi très interessant de remarquer comment la supprématie blanche fonctionne. Cette dernière est particulièrement efficace en ce qu'elle active un déni et un effacement du racisme qui renforce le privilège blanc. A titre d'exemple, Hooks cite le refus de la subjectivité des personnes noires. Alors qu'il est totalement accepté qu'il existe des stéréotypes de la part des blanc.hes envers les noir.es, « [c]ertain.es Blanc.hes peuvent [...] s'imaginer qu'il n'existe pas de représentations de la blanchité dans l'imagination noire » (P.55) [1]. Un autre mécanisme de déni étant la croyance en laquelle « tout le monde [a été] habitué par la société à être raciste contre son gré » (P.202), avec d'ailleurs, une insistance sur l'idée que cela n'est pas modifiable, que quoique l'on fasse, l'on sera toujours un tant soit peu raciste quoiqu'il arrive. À contre-courant de cette idée, Hooks lui prefère l'idée de la capacité d'agir, l'idée selon laquelle nous sommes touste « capables d'actes [racistes] » bien plutôt que de nous voir comme « « naturellement » [racistes] parce que nous sommes né.es dans une culture [raciste] » (P.267, elle parle d'antisémitisme, mais c'est similaire). Tout ce que ce pan plus psycologique nous permet de réaliser est donc que « [t]ant que [...] tout le monde aux [US], [deumeurera] incapable de reconnaître le trauma psychique que les agressions et les attaques racistes ont infligé aux Noir.es, il n'y aura pas de compréhension culturelle collective du fait que ces torts ne peuvent être redressés par un simple programme de répartition économique, par une inégalité des chances ou par des efforts pour créer une égalité sociale [...] » (P.183) [2]. La suprématie blanche est véritablement institutionnalisée dans nos vies, et l'intégration raciale, bien loin de l'idéal qu'on nous a promis, n'est que la dernière facette en date de la supprématie blanche. Car permettant aux personnes noires d'intégrer la structure existante (en lieu et place de sa réformation), ce « nouvel environnement néocolonial a donné aux Blanc.hes davantages de contrôle et d'accès aux mentalités des Afro-Americain.es. Les structures d'enseignements inclusives ont fait partie des lieux où les Blanc.hes pouvaient le mieux colonialiser les esprits [...] » (P.147), et notemment au travers de la déformation de l'histoire (on se souviens de Colomb). Au travers de la croyance aveugle en les droits civiques, en les voyant comme une fin, tout comme l'intégration raciale par ailleurs, il était facile de se convaincre que « la lutte millitante n'était plus nécessaire. » (P.163). Ainsi, « [é]tant donné la force ininterrompue du racisme, l'intégration raciale, qui s'est traduite par l'assimilation, sert en fin de compte à renforcer et alimenter la supprématie blanche » (P.244).
Il y aurait bien évidemment beaucoup plus à dire sur ce livre, et je n'ai faite là qu'éffleurer l'ensemble des thèmes dont le livre traite. Par exemple, un point que je n'ai pas citée est la croyance, la séparation qui est effectuée et qui poussent les femmes blanches commes noires à se voir comme des groupes séparés avec des divergences (Hooks cite la compétition pour le désir masculin entre autres choses). J'espère tout du moins avoir (un tant soit peu) fait justice à ce livre (pas assez selon moi) en mettant en lumière quelques grands thèmes dont il parle. Quand j'ai commencée ce livre, j'attendais de lui qu'il puisse me donner avec plus de détails les ressorts du racisme. J'entendais bien souvent parler du fait que le racisme est systémique, qu'il est partout dans notre société, mais outre l'exemple évident des médias, il n'était pas chose facile pour moi que de trouver d'autres exemples. J'avais entendue dire, concernant le sexisme, qu'il s'agissait comme d'un fantôme, de quelque chose d'invisible, mais de partout présent, planant au-dessus de nous. Je comprends maintenant bien mieux pourquoi. Je ressors de cette lecture, je pense, avec une meilleure compréhension de ce qu'est le racisme et la supprématie blanche (en tout cas, dans le contexte US, mais m'est avis que cela est similaire en europe, bien qu'il y ait des divergences). Bien sûr, il va me falloir lire plus, et surtout dans un cadre francophone pour pouvoir d'avantage arriver à argumenter. Still, je pense que cela me permet d'avoir une base. Et c'est dans cet état d'esprit que je pense que je vais commencer La matrice de la race de Dorlin qui fait exactement ça (et que je comptais de toute façon lire après).
[1] Lisant plus récemment l’autobiographie de Malcolm X, j’ai été surprise de voir que le cliché de « les noir.es ont une odeur différente » se trouvait aussi de l’autre côté.
[2] Voir l’oeil le plus bleu de Toni Morrison que j’ai aussi eu l’ocassion de lire plus récemment, et qui explicite très bien cette idée au travers d’une fiction; mettant en avant l’interiorisation des normes et canons de la blanchité des personnes noires.